Dominique Lelys
Là, juste au-dessus des lunettes cerclées de Dominique Lelys, deux yeux déterminés, vifs, directs vous en disent (déjà) long sur sa personnalité. Sa courtoisie, sa distinction, sa pondération, sa délicatesse, sa loyauté règlent une existence vouée à ses convictions, sa foi, sa sensibilité artistique. Je pourrais ne me limiter ce jour-là, un samedi de septembre, du côté du VIIE arrondissement de Paris, qu’au souffle créatif, l’objet de cette rubrique, de cette figure de l’élégance parisienne. Mais ce serait opter pour l’arbitraire et escamoter les raisons de la régénérescence typique d’un esprit artistique animée par une effervescence naturelle. Commençons par la chasse, car les prémices, qui s’inscrivent entre passion amoureuse et amour des arts, vont installer durablement son inclination pour la nature. Dominique a 20 ans, il est étudiant à l’école Camondo en architecture d’intérieure et création de modèle à Paris. La jeune fille qu’il convoite lui suggère de voir Taxi mauve d’yves Boisset tiré du roman du formidable Michel Déon et interprété par les éblouissants Charlotte Rampling et Philippe Noiret. « J’y ai découvert l’irlande, ses paysages, la chasse à la bécassine, au canard. Puis j’ai lu le bouquin. J’ai compris ce qu’était l’automne, moi le Parisien, ses odeurs, le bruit des feuilles sous mes pas. Je me suis mis à aimer la pluie, la forêt après la pluie, un lièvre, un faisan, un canard qui surgissent. » Si la jeune fille lui échappe… la chasse l’a conquis. Définitivement. Il ne la pratiquera qu’un peu plus tard et en Bretagne.
Son diplôme en poche, s’ensuivent un bref passage chez Hermès, une année chez Ralph Lauren, des projets en mobilier et architecture d’intérieur, des collaborations pour Daniel Crégressions mieux. Puis, il repère le nom d’arnys dans un article sur la garde-robe de Philippe Noiret, dont l’élégance le fascine. Il pousse la porte du grand costumier parisien tenu par les frères Grimbert qui, lorsqu’ils entrevoient son trait, lui propose de dessiner pour eux des motifs textiles. Il commence à travailler en free-lance dès 1983; il y fera toute sa carrière à la tête du bureau de création. Finalement grâce au rachat d’arnys par Berluti en 2012, l’occasion lui est donnée de goûter à la liberté. Depuis il oeuvre cette fois seul à l’illustration des montres Hublot, à des créations pour Berluti, le lunetier Meyrowitz et Artumès. « Je me souviens être souvent passé devant Holland & Holland avenue Victor Hugo sans jamais oser proposer mes services et, aujourd’hui, je travaille avec Alain Drach, qui dirigeait la boutique, et ses fils Thomas et Nicolas. » Derrière les foulards Tourdesoi de l’adresse de la rue du Faubourd-saint-honoré, ces couleurs, ces dessins de platines, de chiens courants, de cerfs…, l’esprit de Dominique galope au rythme des saisons et toujours de la chasse à tir et à courre. Car la vènerie est aussi un mode de chasse dont le rituel attise son attention.
Sur le raffinement vestimentaire, quelques mots. Grand amateur de Barbour, il l’est tout autant de tweed. Oui à la pochette, oui à la couleur des chaussettes avec les knickers, elles sont celles de la nature. « J’ai un pull Holland & Holland dont les teintes sont si semblables à la bruyère, la fougère, le lichen qu’une fois posé sur la lande vous ne le retrouvez plus… » Quelques di
sur l’importance de sa foi catholique dans sa vie, le rôle et la vertu de la royauté passée en France et les errements de la société française actuels, j’interroge Dominique Lelys sur la guerre que livrent les animalistes à la chasse. Des citadins, en mal de croyance, inspirés par une imaginaire Gaïa, déracinés des campagnes depuis deux générations ont oublié le cycle de la nature. La faille se trouve là. Les militants de l’écologie si différents des Waecher et Lalonde s’y sont engouffrés. C’était si facile. Sur le grand écran de son Mac, je découvre afin d’illustrer cet article ses études, ses réalisations, nous oublions les mesquineries des antispécistes.
À la mi-novembre, alors que je rédige ce portrait je trouve cette citation de Michel Déon dans son Taxi mauve : « L’ambre du whisky, le diamant de la vodka et de l’aquavit, le vert et le jaune verni des chartreuses, le jaune éteint des pastis, le velours des vermouths. Pourquoi ne demandait-on jamais une couleur au lieu d’une marque? » Les figures de style de Dominique Lelys sont certainement moins alcooliques mais tout aussi poétiques. ■