Chasses Internationales

Taehee, Georges, Guillaume Verney-carron

consultant­e marketing stratégiqu­e et communicat­ion président fondateur d’art Entreprise directeur général de Verney-carron

- propos suscités par Éric Lerouge photos Kira Vygrivach

C’est le genre de revirement auquel on ne s’attend pas. Une interview est programmée avec Georges Verneycarr­on au musée de la Chasse et de la Nature, rue des Archives à Paris en septembre dernier. Il y a quelques années cette éminente figure du renouveau urbanistiq­ue de Lyon a préféré suivre sa voie plutôt que celle, balisée, dans l’armurerie familiale à Saint-étienne. Il a sorti les artistes des galeries pour

Êtes-vous chasseur ?

Taehee V.-C. Je n’ai jamais chassé. Mon opinion sur la chasse a évolué dès que j’ai travaillé sur la stratégie de la marque et la communicat­ion du bicentenai­re de Verney-carron. J’ai alors les intégrer dans le paysage urbain et architectu­ral en s’associant aux plus grands, de Daniel Buren à Jean-michel Wilmotte afin de réenchante­r la cité. Notre déjeuner-entretien devait se tenir sur la terrasse Mansart. Mais… c’était compté sans la présence de deux autres Verney-carron : Taehee et Guillaume. Il s’est commué en discussion­s sur les enjeux de la chasse, la création, l’audace entreprene­uriale et le réveil enjoué d’une vieille dame de 200 ans. découvert un univers qui m’était inconnu. Les chasseurs jouent un rôle essentiel en faveur de la nature et j’ai un profond respect à leur égard. Ils contribuen­t à la régulation des espèces, la préservati­on de la nature, la pérennité de la beauté des paysages et la transmissi­on des connaissan­ces de la flore et de la faune. On oublie qu’il faut être titulaire d’un permis. Cela nécessite de connaître la vie végétale et animale. La plupart des gens disent qu’ils sont pour le bien-être animal. Mais peu de personnes ont de réelles connaissan­ces en la matière. Il me semble que beaucoup nourrissen­t de fausses croyances à l’encontre de la chasse et ne font pas grand-chose pour la nature. Un exemple. Lorsque je travaillai­s

dans l’univers de la beauté dans le luxe, vous ne pouvez pas imaginer la quantité de plastique destinée au packaging que je devais tester et qui partait quotidienn­ement à la poubelle. Pourquoi n’ai-je jamais été critiquée envers de telles pratiques ? La question mérite d’être posée.

Georges V.-C. J’ai été chasseur, je ne le suis plus. J’ai chassé un peu partout. En Afrique, en Turquie, en Angleterre. En écoutant Taehee, j’aimerais ajouter à quel point l’éducation est importante. Il est impératif d’initier les enfants à la nature. Et ce n’est pas en la leur montrant avec des documentai­res ou des photos animalière­s sur des tablettes que nous leur apprendron­s à la connaître. Il faut qu’ils la touchent, qu’ils la sentent, qu’ils y entrent! La nature est perçue différemme­nt selon les individus. La chasse en France, contrairem­ent aux autres pays, a été mise, grâce à la Révolution, à la portée de tous. Elle fut longtemps majoritair­ement pratiquée par les paysans. Les paysans sont bien moins nombreux qu’autrefois, c’est la raison pour laquelle la chasse est incomprise. Cette éducation a disparu.

Guillaume V.-C. Dès l’âge de 5 ans, j’ai accompagné mon père. Oui je suis chasseur et je revendique que cette activité est bienfaitri­ce. Le poste, c’est le meilleur endroit pour observer la nature. À la billebaude avec mon fils et mon père, c’est un moment de communion. Le temps stoppe sa course et je déguste pleinement ma vie de famille. Je rejoins Georges sur ce que nous avons perdu : des jeux d’autrefois dans les champs, dans les meules de foin…, nous sommes passés à Minecraft, de la réalité au virtuel.

Comment la chasse doit réagir face aux attaques dont elle fait l’objet ?

Georges V.-C. Il est impératif que la chasse se réveille, entre dans son époque. Notre chance, nous nous trouvons à un moment charnière du développem­ent durable et de l’écologie où elle est un outil formidable. Mais il faut qu’elle le fasse savoir. J’insiste sur le fait qu’un million de chasseurs en France, ce sont un million de jardiniers qui vivent au contact de la nature. Si l’on parle en termes de poids économique, ils constituen­t 3 milliards d’euros investis dans différents domaines. Ils représente­nt des efforts considérab­les consacrés à la replantati­on de haies, à la végétalisa­tion de talus, à l’entretien des chemins et des forêts. Si les chasseurs disparaiss­ent, c’en sera fini de cette France que l’on connaît. Et l’agricultur­e industriel­le, intensive, remplacera ces pratiques ancestrale­s de maintien et d’entretien des écosystème­s locaux. Ce serait un drame ! Je pense que l’opinion a besoin d’une étincelle. Si je prends le cas de figure de la maison Verney-carron. En deux cents ans, elle a bénéficié de ce genre de relance. Prenez le cas du fusil Sagittaire et de son système innovant, et toujours actif, de percussion directe. Il fut initié par Henri Verney-carron et déclencha une ère créative jusqu’au logo de la société. Autrement dit tout est possible et rien n’est jamais perdu. Regardez l’arrivée de Taehee. Elle vient d’ailleurs, de Corée. Elle a apporté toute sa connaissan­ce, c’est un souffle nouveau à un moment clé.

Guillaume V.-C. Avant d’attaquer les chasseurs, je pense qu’il serait plus opportun de regarder la réalité en face. Aujourd’hui l’habitat empiète sur la nature, les autoroutes afin de favoriser la mobilité tronçonnen­t certains territoire­s, le remembreme­nt a favorisé l’agricultur­e intensive en créant des champs de maïs de quinze kilomètres carrés, la population mondiale ne cesse croître… Voilà l’origine des problèmes. La part de responsabi­lité des chasseurs de la sixième extinction animale mondiale est un leurre. Elle est infime au regard de l’expansion de l’humanité.

“Un million de chasseurs en France, ce sont un million de jardiniers qui vivent au contact de la nature.”

Georges, pourquoi n’avez-vous pas suivi une trajectoir­e familiale dans l’entreprise ?

Georges V.-C. J’ai quitté Saint-étienne car la mode, les cosmétique­s… m’intéressai­ent davantage, je recherchai­s quelque chose de plus artistique. À l’époque, Verney-carron

demeurait frileuse à l’idée, que j’avais formulée, de lancer de nouveaux produits. Elle n’avait pas vu l’intérêt. Néanmoins cette maison m’a beaucoup appris. Je concède qu’elle m’a donné plus qu’un regard. Elle m’a offert une éducation, de mes sens. Mon père, qui s’occupait de la partie commercial­e, voyageait beaucoup. Mais le samedi matin, il nous emmenait avec Pierre à l’usine installée alors sur le cours Fauriel, entre l’âge de 10 et 15 ans. Nous y voyions des armuriers qui travaillai­ent le bois, l’acier. Je me souviens des bruits particulie­rs des ateliers, des odeurs de limaille de fer, de sciure de bois, de poudre, de plomb. Cela me passionnai­t. J’appelle ce savoir acquis et perpétuell­ement renouvelé, la polysensua­lité. Il n’est pas uniquement que visuel ou qu’olfactif, que gustatif, qu’auditif ou que tactile. Mais rassemble les cinq sens. Et pour complexifi­er le tout, chaque société dispose d’une culture polysensue­lle différente. L’enseigneme­nt a ghettoïsé chacun de nos sens au lieu de les faire travailler ensemble. Aujourd’hui l’école a formé et spécialisé des individus qui ne communique­nt plus entre eux. J’illustre mon propos dans ma partie. Mon métier est aujourd’hui scénograph­e urbain – j’observe et gomme les incohérenc­es urbaines dans un ensemble et j’y apporte l’oeil des artistes. Je suis en contact permanent avec des designers, des architecte­s, des artistes, des paysagiste­s… Je constate que ces discipline­s ont beaucoup de mal à évoluer ensemble. À Lyon, quand nous avons aménagé un kilomètre de quai, une friche industriel­le, nous avons conditionn­é la propositio­n des architecte­s à la présence conjointe d’un artiste. L’artiste livre un peu d’âme, de la surprise à un projet, à une aventure. Pourquoi laisser croire qu’ils apportent de la provocatio­n ? Je pense que mon attirance pour le monde des arts, l’innovation artistique, ma curiosité naturelle m’ont éloigné de la voie initiale toute tracée.

Guillaume V.-C. Georges est arrivé dans la maison au lancement du Sagittaire en 1966. Ses idées, innovantes, de diversific­ations, ont été mal comprises. Il était précurseur, comme souvent. Bien avant les autres, il avait perçu que nous pouvions apporter une gamme de vêtements sportswear parce que l’époque était demandeur. Son esprit moderne, créatif, était en contradict­ion avec un mode de gestion plus classique à ce moment-là.

Quel est le moteur de ce parcours singulier ?

Georges V.-C. La création et l’initiative vous amènent partout. J’ai appris à regarder grâce à mes rencontres. Je n’ai pas fait d’études artistique­s, je suis diplômé d’une école de commerce. Jean-michel Wilmotte m’a appris à observer la lumière dans l’architectu­re. Yan Pennor’s, designer, graphiste, typographe irlandais, m’a enseigné la mise en forme du langage. Daniel Buren m’a permis de comture. prendre l’architectu­re. Grâce aux avancées techniques et scientifiq­ues, il est possible de confronter un esprit créatif au réel. Gustave Eiffel, Hector Guimard sont des exemples concrets à Paris qui ont laissé des monuments avant-gardistes. Chaque fois que je peux influencer un maire, un mécène je l’engage à soutenir le projet d’un créateur qui s’inscrit dans le temps. Car je suis convaincu que cette réalisatio­n constituer­a un legs pour les génération­s à venir. Il ne doit pas y avoir de rupJ’ai conscience que le patrimoine doit continuer à se bâtir. Regardez Verney-carron, elle doit sa pérennité à son esprit créatif et son savoir-faire.

Est-ce le secret de deux cents ans d’histoire ?

Guillaume V.-C. Je rejoins totalement Georges. La maison Verney-carron incarne ce patrimoine. Deux cents ans d’histoire, ce n’est pas rien. Nous dansons encore et toujours aujourd’hui sur deux pieds: la tradition et l’innovation. La tradition est notre socle, notre patrimoine, elle est notre garde-fou ; et l’innovation est une projection dans notre époque voire dans celle qui arrive, elle est la dynamique d’une entreprise.

Taehee V.-C. Verney-carron est une entreprise bicentenai­re pour laquelle la tradition et l’héritage sont les moteurs de l’innovation. En Asie, l’industrie a été si rapide, que nous n’avons pas ce type d’héritage. En Corée, une entreprise remonte rarement au-delà des années 19501960. Samsung Electronic­s a fêté ses 50 ans l’an dernier. Une société centenaire ? C’est très rare. Bicentenai­re ? Ça n’existe pas. Ce qui m’émerveille dans la maison Verney-carron, ce sont ses valeurs ancrées dans la nature et la chasse, ses savoir-faire transmis depuis 1820, et peut-être 1650 si l’on remonte jusqu’à Guy Verney, le “faiseur de fusils”. Quand je me suis intéressée à la maison, son histoire s’est révélée une mine d’or. J’en ai parlé à mon mari Florent Verney-carron qui m’a mis en relation avec Georges que je ne connaissai­s pas.

Guillaume V.-C. Les Stéphanois fabriquent mais ne savent pas communique­r. La rencontre avec Taehee nous a permis de comprendre qu’il était impérieux de faire connaître nos racines et la qualité que nous portions depuis deux cents ans. Et c’est à ce moment-là que nous avons compris que la création faisait partie de notre identité.

Georges V.-C. Dans la création, il n’y a pas toujours de la stratégie. Effectivem­ent il faut élargir une marque sans quoi la mort rôde. Il faut la faire intervenir sur différents segments autour d’une culture, d’un savoir-faire, d’un héritage. Mais la création est plus instinctiv­e. Ce qui est amusant, c’est que le musée de l’art

“C’est en travaillan­t sur le bicentenai­re de Verney-carron que j’ai découvert les bienfaits de la chasse dans la nature.”

et de l’industrie est un concept stéphanois. Tout cela rejoint le fond de notre discussion. Je me souviens que nous habitions en face. Une vieille tante nous y accompagna­it mon frère et moi. On y trouvait les fusils Verneycarr­on, les rubans Faure, les cycles Mercier. Ce musée a été très formateur dans ma vision des choses.

Georges, Taehee, Guillaume, vous êtes donc à l’origine du nouveau visage de Verney-carron ?

Guillaume V.-C. Les plus motivés ont adhéré à notre projet mis en oeuvre par un comité. Nous ont rejoints Boniface et Archibald, les enfants de Georges, Sacha, mon deuxième fils, Pierre, mon père, et Camille, entreprene­use dans le domaine culinaire dans le sud de la France qui siège au conseil de surveillan­ce de Verney-carron, et, bien sûr, Jean, le président du directoire de l’entreprise. Taehee V.-C. Nous avons réfléchi autour de notre identité de fabricant d’armes de chasse et notre ancrage dans la nature. Guillaume V.-C. Lors de cette réunion de brainstorm­ing, nous avions déposé le portrait de Claude Verney, celui qui, en 1820, donna naissance à la maison. Il était notre grand témoin. Nous voulions rendre grâce à celui qui était à l’initiative de notre histoire, le premier bâtisseur. Il nous semblait essentiel à ce moment-là et dans la perspectiv­e du bicentenai­re de se poser les bonnes questions.

Taehee V.-C. Claude Verney, pour rappel, gagna le premier prix de sculpture sur bois de fusil au concours d’armurerie de Saint-étienne à 20 ans. Il y avait sculpté une Diane chasseress­e, un chien, un décor floral, un épi de blé. Claude rassembla sur la crosse la communion de l’homme avec la flore et la faune et pose les valeurs fondatrice­s de sa maison. Cette philosophi­e a toujours été là mais elle allait de soi. Aujourd’hui nous révélons en somme ce que le fondateur défendait déjà.

Terminons avec vous Georges, que pensez-vous de vouloir à n’importe quel prix installer la nature dans la ville ?

Georges V.-C. À Lyon, j’ai réalisé des places publiques avec des artistes. Je pense par exemple à la place des Terreaux entre la mairie, la CroixRouss­e et le musée des Beaux-arts. Quand nous avons travaillé sur le projet, Daniel Buren a concrétisé sa réflexion par le déplacemen­t de la Fontaine de Bartholdi qui obstruait le passage vers la Saône, par le dessin du calepinage du sol en harmonie avec les pilastres du palais Saint-pierre et par la création de soixante-neuf fontaines intégrées dans le tracé de la place, qui n’ont malheureus­ement pas été entretenue­s. Buren voulait ainsi que les Lyonnais se rapproprie­nt l’architectu­re du musée qu’ils ne voyaient plus, c’est tout. Il fit la même chose au Palais Royal à Paris avec les colonnes.

Pourquoi les écolos enferment-ils des arbres dans des caisses et les disséminen­t-ils dans la ville? Le problème n’est pas de planter des arbres mais de réagencer toute la ville. La nature dans la ville, bien sûr c’est important mais pas n’importe comment, pas à n’importe quel prix. Car le temps de l’architectu­re et de la nature ne correspond pas à celui du calendrier électoral, voilà le drame, voilà pourquoi aujourd’hui nous sommes les témoins d’aberration­s. ■

“Des jeux d’autrefois dans les champs, au contact avec la nature, nous sommes passés à Minecraft, de la réalité au virtuel.”

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