Chasses Internationales

Alexandre Dumas

- Reine Margot texte Cordouan dessins Marie-joëlle Cédat (www.mariejoell­ecedat.fr)

Il y a cent cinquante ans cet écrivain féru d’histoire disparaiss­ait. Ce mousquetai­re est toujours lu avec un plaisir inoui pour la fluidité de son style et la justesse de son récit historique. Sa en est l’illustrati­on, reprise au cinéma par Patrice Chéreau avec Isabelle Adjani, Daniel Auteuil et Virna Lisi. Dans son roman, une exceptionn­elle chasse à l’homme et au sanglier nous replonge dans la passion de Charles IX pour la chasse, seul moment où ce roi faible s’évade des griffes de sa mère Catherine de Médicis.

En ce matin de chasse au sanglier, Catherine de Médicis a obtenu du roi Charles IX, son fils, l’arrestatio­n, après la chasse, de Henri de Navarre, ce gendre qu’elle déteste et accuse de jouer le jeu des protestant­s au lendemain de la Saint-barthélemy. La reine Margot épouse du futur Henri IV l’informe des desseins meurtriers de la reine mère et du roi Charles IX son frère ! « C’est l’heure, la chasse de tous les dangers part du Louvre en direction de Bondy dans un tourbillon doré de chiens, de chevaux, de voitures. À distance, les hommes du duc de Guise, à la solde de la reine mère sont présents eux pour une chasse à l’homme. » Leur sanglier s’appelle Henri de Navarre.

L’hallali « Les aboiements de la meute commencère­nt à se faire entendre. Presque aussitôt le sanglier déboucha. Derrière lui et lui soufflant au poil, venaient trente ou quarante chiens des plus robustes, puis à vingt pas derrière les chiens, le roi Charles, sans manteau, ses habits déchirés par les épines, le visage et les mains en sang. Un ou deux piqueurs restaient seuls avec lui. Le roi ne quittait son cor que pour exciter ses chiens. Le monde tout entier avait disparu à ses yeux. Le cheval paraissait aussi ardent que le maître ; ses pieds ne touchaient pas la terre et ses naseaux soufflaien­t le feu. Le sanglier, les chiens, le roi passèrent comme une vision. “Hallali ! Hallali !” cria le roi ; et il ramena son cor à ses lèvres sanglantes. Le sanglier quitta le sentier qu’il suivait et se jeta dans les bois ; mais, arrivé à une clairière, il s’accula à une roche et fit tête aux chiens. »

Aux cris de Charles qui l’avait suivi, tout le monde accourut. L’animal paraissait résolu à une défense désespérée. Les chiens, animés par une course de plus de trois heures, se ruaient sur lui avec un acharnemen­t que redoublaie­nt les cris et les jurons du roi. « Tous les chasseurs se rangèrent en cercle, le roi un peu en avant, ayant derrière lui le duc d’alençon armé d’une arquebuse, et Henry, qui n’avait que son simple couteau de chasse. Alençon détacha son arquebuse du crochet et en alluma la mèche.

Henry fit jouer son couteau de chasse dans le fourreau. Quant au duc de Guise, assez dédaigneux de tous ces exercices de vénerie, il se tenait un peu à l’écart avec tous ses gentilshom­mes. Les femmes réunies en groupe formaient une petite troupe qui faisait le pendant à celle du duc de Guise. »

Très surveillé par le duc de Guise et ses hommes, François, duc d’alençon et dernier frère du roi, est prêt à trahir la couronne et renoncer à sa religion pour épouser la Réforme. Prince lâche et versatile, il attend que Henry assume la responsabi­lité de la fuite. Une quarantain­e de cavaliers, réunis autour d’eux, comme pour faire opposition à la troupe du duc de Guise, favorisera­ient leur fuite. En détournant la tête, Henry leur fait comprendre que ce n’est pas le moment. Alexandre Dumas nous tient en haleine avec ces deux chasses parallèles où celle de l’animal gagne en action sur la traque de Henry marquée par les catholique­s et défendue discrèteme­nt par les parpaillot­s.

Tout ce qui était chasseur demeurait les yeux fixés sur l’animal dans une attente pleine d’anxiété. « À l’écart se tenait un piqueur se raidissant pour résister aux deux molosses du roi qui, couverts de leurs jaques de mailles, attendaien­t en hurlant et en s’élançant de manière à faire croire à chaque instant qu’ils allaient briser leurs chaînes, le moment de coiffer le sanglier. L’animal faisait merveille ; attaqué à la fois par une quarantain­e de chiens qui l’enveloppai­ent, comme une marée hurlante, qui le recouvraie­nt de leur tapis bigarré, qui de tous côtés essayaient d’entamer sa peau rugueuse aux poils hérissés, à chaque coup de boutoir, il lançait à dix pieds de haut un chien, qui retombait éventré, et qui, les entrailles traînantes, se rejetait aussitôt dans la mêlée tandis que Charles, les cheveux raidis, les yeux enflammés, les narines ouvertes, courbé sur le cou de son cheval ruisselant, sonnait un hallali furieux. » En moins de dix minutes, vingt

chiens furent hors de combat. « “Les dogues !” cria Charles. À ce cri, le piqueur ouvrit les portes mousqueton­s des laisses, et les deux molosses se ruèrent au milieu du carnage, renversant tout, écartant tout, se frayant avec leurs cottes de fer un chemin jusqu’à l’animal, qu’ils saisirent chacun par une oreille. Le sanglier, se sentant coiffé, fit claquer ses dents à la fois de rage et de douleur. »

On présenta au roi un épieu de chasse durci au feu et armé d’une pointe de fer.

À dix pas de Henry, déjà roi de Navarre et futur Henriiv, le vicomte de Turenne, chef du parti protestant, sort d’un fourré et invite Henry à le suivre alors que tous les regards sont vissés sur la mise à mort. Henri après avoir consulté, le visage impassible et l’oeil terne du duc d’alençon, tourne deux ou trois fois la tête sur son épaule comme si quelque chose le gênait dans le col de son pourpoint. Réponse négative bien reçue par le vicomte qui disparaît dans les bois. « Mettant son épieu en arrêt, le roi fondit sur le sanglier, qui, tenu par les deux chiens, ne put éviter le coup. Cependant à la vue de l’épieu luisant, il fit un mouvement de côté, et l’arme, au lieu de pénétrer dans la poitrine, glissa sur l’épaule et alla s’émousser sur la roche contre laquelle l’animal était acculé. » En se reculant, comme le faisaient les chevaliers lorsqu’ils prenaient du champ, il jeta à dix pas de lui son épieu hors de service. Un piqueur s’avança pour lui en offrir un autre. « Mais au moment, comme s’il eût prévu le sort qui l’attendait, et qu’il eût voulu s’y soustraire, le sanglier, par un violent effort, arracha aux dents des molosses ses deux oreilles déchirées et, les yeux sanglants, hérissé, hideux, l’haleine bruyante comme un soufflet de forge, faisant claquer ses dents l’une contre l’autre, il s’élança, la tête basse, vers le cheval du roi. »

Charles IX était trop bon chasseur pour ne pas avoir prévu cette attaque ; il enleva son cheval, qui se cabra ; mais il avait mal mesuré la pression : le cheval, trop serré par le mors ou peutêtre même cédant à son épouvante, se renversa en arrière. « Tous les spectateur­s jetèrent un cri terrible : le roi avait la cuisse engagée sous lui. “La main, Sire, rendez la main”, dit Henry. Le roi lâcha la bride de son cheval, saisit la selle de la main gauche, essayant de tirer de la droite son couteau de chasse ; mais le couteau, pressé par le poids de son corps, ne voulut pas sortir de sa gaine. “Le sanglier! le sanglier! cria Charles. À moi, d’alençon ! »

Cependant le cheval, rendu à lui-même, comme s’il eût compris le danger que courait son maître, tendit ses muscles et était parvenu déjà à se révéler sur trois jambes, lorsqu’à l’appel de son frère, Henry vit le duc François pâlir affreuseme­nt et approcher l’arquebuse de son épaule ; mais la balle au lieu d’aller frapper le sanglier, qui n’était plus qu’à deux pas du roi, brisa le genou du cheval, qui retomba le nez contre terre. Au même instant, le sanglier déchira de son boutoir la botte de Charles.

« Le sanglier labourait la cuisse de Charles lorsque celui-ci sentit quelqu’un qui lui levait le bras, puis il vit briller une lame aiguë et tranchante qui s’enfonçait et disparaiss­ait jusqu’à la garde au défaut de l’épaule de l’animal, tandis qu’une main gantée de fer écartait la hure déjà fumante sous ses habits. Charles qui, dans le mouvement qu’avait fait le cheval était parvenu à dégager sa jambe, se releva lourdement, et se voyant tout ruisselant de sang devint pâle comme un cadavre.“sire, dit Henry, qui toujours à genoux maintenait le sanglier atteint au coeur, Sire, ce n’est rien, j’ai écarté la dent et Votre Majesté n’est pas blessée. Puis il se releva, lâchant le couteau, et le sanglier tomba, rendant plus de sang encore par la gueule que par la plaie. »

Charles, entouré de tout un monde haletant, assailli par des cris de terreur qui eussent étourdi le plus calme fut un moment sur le point de tomber près de l’animal agonisant. « Mais il se remit, et se retournant vers le roi de

“Le sanglier déboucha. Derrière lui et lui soufflant au poil, venaient trente ou quarante chiens, puis à vingt pas, le roi Charles, sang.” ses habits déchirés par les épines, le visage et les mains en

Navarre, lui serra la main avec un regard où brillait le premier élan de sensibilit­é qui eût fait battre son coeur depuis vingtquatr­e ans. “Merci Henriot”, »

lui dit Charles IX. Marguerite s’approcha pour féliciter Henry. « “Ah! Ma foi, oui, Margot, dit Charles, fais-lui ton compliment, et bien sincère même, car sans lui, le roi de France s’appelait Henriiii, mon deuxième frère le duc d’anjou.” “Hélas Madame, dit le Béarnais, M. le duc d’anjou, qui est déjà mon ennemi, va m’en vouloir bien davantage. Mais que voulez-vous ! On fait ce qu’on peut ; demandez au duc d’alençon.” » Et se baissant, il retira du corps du sanglier son couteau de chasse, qu’il plongea deux ou trois fois dans la terre, afin d’en essuyer le sang. L’histoire a le dernier mot,

Alexandre et Henri de Navarre aussi. En sauvant la vie de Charles IX, Henry avait fait plus que sauver la vie d’un homme; il avait empêché trois royaumes de changer de souverain. Charles IX tué, le duc d’anjou devenait roi de France, et le duc d’alençon, selon toute probabilit­é devenait roi de Pologne. Marguerite avait tout compris de l’interventi­on de Henri pour sauver le roi et avait admiré l’étrange courage de son époux, futur Henry IV qui, pareil à l’éclair, ne brillait que dans l’orage. ■

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