À la table de Stéphanie Le Quellec
Avec le reconfinement de novembre, beaucoup de portes de restaurants se sont à nouveau fermées. Des tables ont adapté leur offre et refusent de renoncer. Comme celle de cette chef qui continue à déclamer son art dans son très beau théâtre : La Scène.
Je suis à Paris. Dans le VIIIE arrondissement. Au 32, avenue Matignon. Cette rue est célèbre par l’institution républicaine qui y siège et aussi son théâtre… pardon, que dis-je ? son restaurant, La Scène. Je suis chez Stéphanie Le Quellec. La femme aux deux étoiles Michelin.
Née à Enghien-les-bains en région parisienne, elle trouve très tôt sa vocation. « J’ai toujours été gourmande. Toute jeune, je réalisais des sablées et des pâtisseries. Ce métier a toujours été une évidence pour moi. » Lorsque je dialogue avec elle, je ressens chez elle la maîtrise de son art. Elle se définit comme rigoureuse, besogneuse, croit aux valeurs du travail, à la passion et au dépassement de soi. C’est grâce à cela que sa cuisine est droite, brute et franche. Le plus difficile à atteindre est toujours la simplicité. Car le génie du maître réside en sa capacité à se débarrasser de l’accessoire aux fins de ne garder que l’exceptionnel. « Détenir deux étoiles au Michelin n’est pas une finalité. Même si cela demeure tout de même un symbole d’excellence, de qualité et de reconnaissance. » Soudainement une image me gagne, celle d’une comédienne de théâtre, dont l’éloquence est si proche finalement de la virtuosité de Stéphanie. Son pari, fou, est de proposer un art du spectacle vivant grâce à la discipline où elle excelle : la gastronomie. Sa “troupe” d’acteurs qui composent sa brigade virevolte en cuisine à chaque service comme d’autres sur les planches. Sa table est charnelle. Comme au théâtre, la magie en trois actes naît de la rencontre entre la “scène” et la salle. Il ne s’agit plus d’aborder une pièce telle qu’elle est écrite mais telle qu’elle est jouée, telle qu’elle se montre, telle qu’elle se voit, telle qu’elle se vit, telle que la reçoit le spectateur.
D’aucuns diraient que nous sommes loin du Paris des grands boulevards, du monde du théâtre et des marivaudages et pourtant La Scène honore deux représentations par jour, à mijournée et le soir venu. Le rôle-titre, Stéphanie, exécute un art maîtrisé. La salle est comblée et applaudit en silence. L’artiste nous fait oublier la technique, trouve l’équilibre juste, celui de la simplicité que j’évoquais tout à l’heure. La réalité, c’est la somme de travail, clef de la réussite. J’aime citer l’humaniste, philosophe, peintre et théoricien des arts du Quattrocento
Leon Battista Alberti qui confessait dans son traité De Picture en 1436 : « Il s’agit d’enseigner au peintre la manière dont il peut imiter par la main ce qu’il aura conçu par l’esprit. » Voilà le secret, la main et l’esprit, la réflexion et l’acte, tout en un.
L’esprit en ces temps troublés par la Covid…, dopé de courage, il faut en avoir ! Stéphanie Le Quellec, interviewée le soir de l’annonce du reconfinement, exprime son inquiétude. Les expressions de son visage et ses propos en disent long sur l’avenir terni par la pandémie et la fermeture des bars, restaurants et palaces. Le rideau de La Scène a dû une nouvelle fois tombé face à l’urgence sanitaire. Mais qu’en est-il de l’aide qu’elle peut recevoir ? Rien. Alors, elle
se bat, seule et sans assistance de l’état. Telle une guerrière. Et si son grand “théâtre” d’expressions savoureuses ne ferme pas complètement ses portes, il s’adapte au public. Elle a donc décidé de ne pas abdiquer et propose des plats à emporter, comme beaucoup de ses confrères. L’ensemble de la carte est livré à domicile ou est à retirer directement au restaurant. Car La Scène est aussi une entreprise, avec ses obligations, et une clientèle construite de longue haleine. « L’identité de ma table ne doit pas être oubliée », défend-elle.
Comme toutes grandes cartes parisiennes, son restaurant propose un plat de gibier. En respectant la saisonnalité des produits, Stéphanie concocte en ce moment un Lièvre de Beauce à la royale façon Antonin Carême – connu au XVIIIE siècle comme “le roi des chefs et le chef des rois”. Imaginez, vous êtes à Paris, le confinement de novembre vous a privé de sorties cynégétiques. Les parfums de la terre et des feuilles de l’automne vous manquent, tout autant que la quête de votre chien, la joie de prendre et celle de partager un dîner d’aprèschasse entre amis. Eh bien la table de Stéphanie vous tend ses bras. Un lièvre délicieux, fondant, étoilé. Vous y êtes !
À l’heure où nous bouclons, j’apprends que bars, cafés, restaurants devront séjourner dans l’antichambre de cet enfer au moins jusqu’au 20 janvier, portes closes. Pensez à eux ! Il ne tient qu’à vous qu’ils résistent. Les fêtes favorisent les évasions gastronomiques, de chez soi, L’art doit vivre pour notre plus grand bonheur.
À la manière du théâtre classique, Stéphanie, comme beaucoup de chefs, respecte les unités de temps, de lieu et d’action. En un service, le décor est planté et s’invite chez vous. Le paroxysme de la pièce se joue une fois votre première bouchée dégustée. À la manière de Denis Diderot sur sa conception du théâtre, Stéphanie fait de sa cuisine et de son restaurant « le lieu où la nature est amplifiée, où elle doit avoir une résonance plus forte – une nature présentée sous forme hyperbolique ». De sorte que son assiette préserve les saveurs et les fruits authentiques des saisons.
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La Scène - Stéphanie Le Quellec, u
2, avenue Matignon, Paris VIIIE.
Rens. : 01.42.65.05.61 et www.la-scene.paris