Vincent Guerre
Il a inventé son métier, est l’unique antiquaire miroitier et a restauré la Galerie des Glaces du château de Versailles. C’est dire si l’homme est armé d’une volonté de fer, d’un talent de chercheur d’une matière dont la fabrication a cessé en 1860, d’une soif de connaissances, d’une ferveur pour les savoir-faire et d’un amour de l’esthétique. Ô surprise ! il est aussi passionné de rugby et… de chasse. Depuis quand chassez-vous ? Quel chasseur êtes-vous ?
Je suis issu d’une famille de chasseurs. La transmission est pour moi un acte extrêmement important. Ma première chasse a eu lieu en Irlande lors d’un voyage linguistique, je devais avoir 16 ans. La famille qui m’accueillait y chassait le pigeon et les lapins. J’ai accompagné mon père en Alsace aussi qui dirigeait une chasse de plaine de petit et grand gibier. Mais la chasse fut très vite occultée par le rugby que je pratiquais au Stade Français. J’y suis revenu un peu plus tard quand j’ai arrêté de jouer. Et très rapidement, je me suis mis à chasser le grand gibier. J’ai eu la chance de jouir d’un territoire public avec des chasses de L’ONF qui se mettaient en place dans le mont Ventoux. Avec mon père, nous avons été les premiers chasseurs de grand gibier (de mouflon, de chamois) sur ce territoire de plusieurs milliers d’hectares. J’y ai aussi chassé avec lui le cerf au brame et très souvent je chassais seul à l’approche en montagne. Nous avions “les clés” du mont Ventoux, c’était fabuleux. Mes parents ont ensuite acquis un territoire en bordure du Ventoux et là, j’ai pu chasser chez moi, toujours à l’approche et parfois en battue avec des gens du cru et des amis.
Que vous apporte la chasse ?
La nature est une évasion. J’essaie de rechercher une espèce de communion avec elle. Lorsque l’on s’y trouve, on se sent tout petit. Vous avez cette sensation d’être vu par l’animal avant que de le voir, d’être entendu avant que de l’entendre, d’être senti… La nature éveille les sens, vous offre une acuité, une observation, et vous ouvre un mode de fonctionnement que vous ne soupçonnez pas. La pratique de la chasse a singularisé mes impressions. J’adore les émotions qu’elle procure et l’humilité qu’elle fait naître en vous. Sur ce dernier point, il s’agit de savoir où l’on se place et d’analyser en un dixième de seconde tous les paramètres qui vous autorisent à tirer ou pas: la sécurité, le gibier, le sexe et l’âge de l’animal, l’assurance de ne pas le blesser puis de pouvoir le débarder. La chasse est aussi une transmission. Aujourd’hui mes enfants, non-chasseurs, m’accompagnent régulièrement en montagne. La transmission, c’est aussi chasser entre amis. En provençal, un avare est un gouste soulet, celui qui mange seul. Ce n’est pas mon truc. J’aime partager, “croquer” la nature à plusieurs. Nonobstant, j’aime chasser seul et à l’approche. Aujourd’hui, avec l’âge, l’attelage idéal est en binôme et il m’arrive de plus en plus de ne pas tirer.
Comment réagissez-vous face aux attaques dont la chasse fait l’objet ?
La chasse a parfaitement sa place en France. Il me semble qu’elle devrait aujourd’hui davantage démontrer qu’elle est bienfaitrice. Le vrai problème, c’est la propagation de l’habitat.
La ville a un côté destructeur, elle est devenue tentaculaire. Le drame est là. Observez les dégâts des chats domestiques concomitants à cet expansionnisme, la dégradation du monde rural dû au nombre de constructions de maisons individuelles sur les terres arables… Fort heureusement le monde animal a une certaine capacité d’adaptation. Je voudrais insister sur le rôle de la ruralité. Prenons le cas du loup surprotégé. Si nous n’y prenons garde, l’agropastoralisme, garant de nos paysages de montagnes, des prairies, des sentiers de randonnées que pratiquent les citadins en été, va finir par abdiquer. La forêt va reprendre ses droits sur les alpages. La chasse devrait y associer son activité, collaborer avec ces éleveurs. Néanmoins, nous, chasseurs, devons aussi vivre dans notre époque. J’ai beau être un provençal, fier de ses traditions de chasse à la grive, de chasse à la glu, je ne suis honnêtement pas persuadé que cette pratique doit à tout prix être préservée. Il faut savoir évoluer, se concentrer sur nos vrais combats et mieux communiquer.
Comment êtes-vous venu à votre métier ?
Par mon père, la profession d’antiquaire m’intéressait et lorsque vous vouliez étudier l’histoire de l’art, il fallait monter à Paris. En 1979, je me suis donc installé dans la capitale afin d’y poursuivre un enseignement supérieur. En plus de la fac, de l’école du Louvre, je me suis inscrit dans un atelier d’ébénisterie où je travaillais tous les matins de 7h30 à 12h30 pendant trois-quatre ans. J’ai commencé aussi à écrire des articles dans l’objet d’art puis je me suis positionné dans les ventes aux enchères en tant qu’expert. Mes clients m’ont conseillé d’in
venter un métier autour du miroir au mercure, que je connaissais très bien. Le grand décorateur et architecte d’intérieur François-joseph Graf était de ceux-là. Un jour, il me dit: « J’ai un chantier en face du bureau. Tu montes, il y a trois étages, une quinzaine de miroirs anciens à placer, tu me fais ça pour dans quinze jours. » En deux semaines, j’ai trouvé le local, les planches à découper, les miroirs que j’ai acquis grâce à mes connaissances et j’ai réussi le chantier dans les temps. Plusieurs années après, j’ai eu la chance de m’occuper de la restauration prestigieuse de la Galerie des Glaces du château de Versailles de 2004 à 2007. J’ai alors été étiqueté miroitier. J’ai aujourd’hui un très bon réseau d’antiquaires, de brocanteurs, de commissaires-priseurs qui m’approvisionnent en miroirs anciens, le miroir au mercure qui ne se fabrique plus depuis 1860. Ces miroirs ont la plus belle lumière et les plus beaux reflets. Le second procédé, au nitrate d’argent, inventé par Justus von Liebig en 1835 est beaucoup plus froid, plus métallique.
Avec qui travaillezvous ?
Il m’arrive d’avoir des chantiers de Monuments historiques mais le plus clair de mon activité est dévolu à la restauration du patrimoine privé. Nous éprouvons, ici, autant de plaisir à restaurer une glace en bois doré dont le miroir a été cassé et auquel nous redonnons vie qu’à nous consacrer à un grand bâtiment difficile à mettre en place.
En quoi consiste votre métier ?
J’ai une formation pluridisciplinaire qui va de l’histoire de l’art à l’artisanat et à la découverte de matériau. Lorsque je vois un miroir – sans trop voir mon image, je ne suis pas Narcisse –, il me parle de plusieurs façons : son histoire, la qualité du bois doré, la stylistique de son encadrement, la matière elle-même. Il faut donc savoir acquérir des miroirs au mercure, les conserver et, pour la partie artisanale, les choisir (associer un miroir à une moulure, une sculpture d’époque), les découper, les façonner. Mais aussi être en mesure de dialoguer avec ses donneurs d’ordres afin d’inscrire parfaitement la restauration d’un miroir dans une décoration précise, tout miroir a un degré d’oxydation qui correspond à son année de création par exemple. Et enfin assurer la logistique.
Qui vous sollicite ?
Mon métier est assez méconnu et très régulièrement c’est d’abord la stupéfaction qui frappe mes clients qui expriment le regret de ne pas avoir fait ma connaissance plus tôt. La presse et les chantiers prestigieux nous permettent aujourd’hui d’être mieux exposés. Cette clientèle va du grand propriétaire à une famille plus simple qui a une petite glace en bois doré de Beaucaire qui a perdu son miroir. Il y a aussi les grands architectes, les grands décorateurs nationaux et internationaux qui ouvrent les portes de chantiers de 5, 10, 20, 100 mètres carrés de miroirs. Nous pouvons également aujourd’hui répondre à la demande d’un émir, un prince, un industriel… qui a décidé de faire une galerie des glaces chez lui parce que nous avons la matière et le savoir-faire. Trouver un petit bout de miroir au mercure, ce n’est pas compliqué, en revanche avoir un stock de 500 mètres carrés avec des dimensions de type Monuments historiques (1,70 mètre sur plus de 2), ça l’est, je suis le seul au monde à en disposer. Au XVIIIE siècle, Saint-gobain avait été ravi d’informer le comte d’angiviller, directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et Manufactures du roi, qu’il avait fabriqué dix-sept miroirs de grande taille à l’occasion d’une année faste. C’est vous dire la rareté de ces pièces.
Par quoi êtes-vous animé aujourd’hui ?
Ça dépend de l’heure de la journée… À 4 heures du matin, j’ai plus envie d’aller entre-apercevoir des animaux chez moi dans le Ventoux. Plus tard dans la journée, c’est de faire fonctionner mon entreprise. Plus sérieusement, c’est cette possibilité d’entrer dans des endroits d’exception dont les portes ne sont pas ouvertes, de leur redonner vie. Et sans forfanterie, de pouvoir rendre les gens heureux. Quand vous parvenez à faire renaître une lumière grâce à un grand parquetage de miroirs et que vous croisez le regard de ceux qui vous ont sollicité, c’est fabuleux. Pour conclure, mon rêve a toujours été de sauter sur mon vélo, avec une arme en bandoulière, de monter dans le Ventoux, aller faire une approche, redescendre avec du gibier et d’aller le cuisiner de préférence dans une charmante demeure, une belle salle à manger disposant d’un joli miroir au-dessus de la cheminée, avec de nombreux amis autour de moi. ■