Paul Ariès, Dominique Lelys, Armand Mamy-rahaga, Manue Piachaud
Politologue, essayiste*, animateur du Collectif international de défense de l’élevage paysan et des animaux de ferme
Il ne conçoit pas sa vie sans engagement, sans écriture, sans perspectives. Le demi-ton, les idées aquarellées, l’estompe qui masqueraient les enjeux de civilisation, il ne connaît pas. L’action, c’est maintenant et pas dans l’heure qui suit. Il a pressenti depuis longtemps les menaces d’une mondialisation incontrôlée qui mènerait à un carrefour dangereux sans signalétique. Où les végans, animalistes et antispécistes jouent les chefs de gare au milieu d’une foule hébétée coupée de ses racines ancestrales. Attention, le véganisme n’est pas le prolongement du végétarisme mais bien plus « le cheval de Troie des biotechnologies alimentaires », alerte-t-il. Sa Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser dénonce les dérives sectaires et ultra-violentes sous couvert de défendre le bien-être animal. « Devenez des mangeurs consciencieux », c’est déjà opposer la meilleure réponse clame-t-il !
Paysans, éleveurs, chasseurs…, tous acteurs de la ruralité, sont visés par les animalistes, végans et autres antispécistes. Que représentent pour vous ceux qui vivent à la campagne aujourd’hui ?
Je vis la moitié de l’année en ville, l’autre à la campagne, plus précisément en Hauteloire, région d’élevage et de chasse. Mais c’est en tant qu’écologiste (au-delà des choix partisans), en tant qu’humaniste, en tant qu’intellectuel (des villes et des champs) que je m’oppose aux végans/antispécistes. La campagne représente, pour moi, un rapport toujours vivant au vivant (à la nature), alors que la ville partage souvent une conception morte, idéalisée ou diabolisée de ce vivant. La ville est porteuse de l’autre moitié de la réponse, car, comme l’a montré le mouvement des gilets jaunes, elle a pu développer des biens communs, des services publics, indispensables aussi à l’émergence d’autres modes de vie.
Votre question mériterait donc de longs développements puisque le véganisme et l’antispécisme rendent sensibles une véritable révolution anthropologique en cours. D’un côté, on ne peut que se réjouir de l’intérêt que suscite la question animale, d’un autre on ne peut qu’être terrifié par la façon dont la question est posée donc les réponses avancées. Les grandes métropoles s’imaginent pouvoir vivre sans lien avec la ruralité, sauf pour les loisirs et le télétravail. Nous en avons un signe inquiétant avec les perspectives d’imposer une alimentation sans agriculture, grâce aux biotechnologies alimentaires dont la fausse viande, les faux oeufs, le faux lait ne constituent qu’une première étape. Après les faux produits carnés ce sont les faux légumes! Prenons garde à ce qui se prépare sous le joli nom de “fermes urbaines”, dont l’appellation peut séduire quelques écolos, mais qui signerait la fin de la paysannerie.
Plus besoin d’insecticides nous dit-on, oui, car il n’y aurait plus d’insectes, tout serait sous contrôle. Cette révolution NBIC (nanotechnologie, bactériologie, sciences de l’information et de la communication) va rendre possible un univers artificiel, aseptisé, qui ne fera plus société (faute de liens sociaux suffisants), qui ne fera même plus monde (faute de donner un sens). Est-ce le monde que nous voulons transmettre à nos enfants ?
Nous devons oser nous poser les vraies questions : veut-on vivre dans un monde sans presque plus d’animaux? Veut-on sacrifier plus d’un milliard de petits paysans ? Veut-on vivre dans un monde où quelques grandes firmes imposeraient le passage au transhumanisme ? Ce n’est pas par hasard que ces mêmes
milieux pseudo-animalistes parlent de créer, après les OGM, des AGM (animaux génétiquement modifiés), voire des HGM (humains génétiquement modifiés). La pire des choses serait que ces phantasmes passent dans le réel, or la technologie peut permettre, bientôt, cette évolution. Ce conflit anthropologique semble prendre l’aspect d’une opposition villes/campagnes ou urbanité/ruralité. Je crois, cependant, que nous avons tout intérêt à dépasser ce clivage, c’est-à-dire à construire autrement, à inventer un autre agenda, car les enjeux valent autant pour les urbains que pour les ruraux !
Le piège serait donc de jouer le combat des anciens contre les modernes ?
Il s’agit d’abord de définir quels rapports entretenir avec les animaux (d’élevage, de compagnie, sauvages) et j’ajouterai avec notre propre animalité (y compris notre propre dimension prédatrice et notre propre caractère mortel). Il s’agit ensuite de s’entendre sur une conception de la vie qui n’oppose pas les ruraux aux urbains mais qui, probablement, divisent autrement urbains et ruraux. Choisissons-nous d’aller “toujours plus vite” ou préférons-nous ralentir dans les villes comme dans les campagnes ? La défense de la biodiversité (végétale, animale, culturelle) est aussi nécessaire dans les villes que dans les campagnes. L’agribashing prépare, certes, la fin des paysans, dont la population (péri)urbaine sera la principale victime… Nous avons, en ville, beaucoup à apprendre des modes de vie ruraux et nous avons, dans les campagnes, besoin des mêmes services publics que dans les villes.
Quel a été l’objectif de votre livre ? Son titre n’induit-il pas que les végans convertissent déjà trop vite ?
Les végans ne représentent qu’un très faible pourcentage des estomacs (5 % au maximum), mais une part essentielle de l’imaginaire occidental actuel et j’ajouterai 99 % des grands médias parisiens! Ces radios et télés nationales disent hésiter à me donner la parole car les végans n’acceptent plus de débattre avec moi. Eux accèdent pourtant librement aux ondes publiques et diffusent même leur idéologie au sein des écoles ! L’objectif de mon livre est d’abord de déconstruire, scientifiquement, tous les pseudo-arguments des végans. Non, l’élevage paysan n’est pas responsable de la faim dans le monde, de la crise sur l’eau potable, du réchauffement climatique. Non, il ne serait pas possible de nourdes rir 8 milliards d’humains sans élevage, c’està-dire sans utiliser du fumier et des animaux de trait. Non, il n’est pas possible de vivre ni même de manger sans tuer des animaux, l’élevage et la chasse tuent beaucoup moins d’animaux que la production de céréales, de légumes et de fruits. Tout jardinier sait qu’il doit tuer des limaces ou des doryphores pour manger salades et pommes de terre. La principale hécatombe animale ne s’explique pas d’ailleurs par l’élevage, ni même par la chasse, mais par une agriculture végétale beaucoup trop industrielle responsable de la destruction vers de terre. Je précise d’ailleurs à nos amis végans, amateurs de végétaux, que ce sont des animaux sentients, puisqu’ils produisent des dérivés de la morphine lorsqu’ils les maltraitent. Mon premier objectif était donc de montrer que la vraie opposition n’est pas entre alimentation carnée et végane mais entre, d’un côté, la production industrielle au plus bas coût de protéines animales ou végétales et, d’un autre côté, ce qu’on appelle l’agriculture et l’élevage paysans, respectueux de la terre, des animaux, de la biodiversité et des humains !
J’avais, aussi, un second objectif qui était de produire une scission au sein des végans entre ceux qu’on nomme “welfaristes” et qui militent pour l’amélioration des conditions d’élevage ou de chasse et ceux qui se disent abolitionnistes et qui agissent pour interdire toutes les formes d’élevage et de chasse. Je suis pour l’amélioration des conditions d’élevage, je suis pour développer les abattoirs de proximité, pour favoriser l’abattage à la ferme sur le modèle de ce qui se pratique en Suède ou en Allemagne, je suis même pour débattre des conditions d’exercice de la chasse par rapport à d’autres usages de la nature, mais nous ne devons pas laisser croire que ce combat opposerait les “méchants” carnistes ou viandards aux “gentils” végans.
Cette guerre est aussi sémantique. Regardez, comme on parle de “viande propre” à propos de la fausse viande, comme si tout élevage était nécessairement sale. Ne nous laissons pas imposer la notion molle de “bienêtre animal”, totalement anthropocentrique, préférons parler de bien-traitance et de maltraitance animales. Ne nous laissons pas piéger par leurs faux clivages: je ne suis pas “spéciste” et eux “antispécistes”, car euxmêmes mangent d’autres espèces, notamment végétales, et tuent, en se déplaçant, d’autres animaux sentients! Ne laissons jamais dire que les végans et les antispécistes seraient du côté de la libération animale, car cette libération c’est la mort, c’est l’éradication des animaux !
J’ajouterai que choisir, à titre personnel, de ne pas manger de produits ou sous-produits animaux (lait, fromage, oeufs, viande, miel), de n’utiliser ni cuir ni laine est tout aussi légitime que de faire le choix inverse. Ce qui est problématique, c’est de prétendre interdire aux autres de pouvoir le faire dans
“La principale hécatombe animale ne s’explique pas par l’élevage, ni même par la chasse, mais par une agriculture végétale beaucoup trop industrielle.”
de bonnes conditions! C’est pourquoi j’ai lancé non seulement un Appel pour la défense de l’élevage paysan et des animaux de ferme, mais aussi un second Appel, signé à parité par des végétariens et des omnivores, pour dire que ce qui doit nous unir, c’est le refus de la “fausse viande” fabriquée industriellement à partir de cellules-souches…
Vous soutenez l’idée que les végans, au motif de défendre l’animal, ne lui portent finalement que peu d’intérêt. Alors sont-ils amis ou ennemis des animaux ?
Les végans antispécistes sont très clairs sur ce point, ils n’aiment pas spécialement les animaux, c’est ce que nous disent Peter Singer et Aymeric Caron. Leur combat n’est pas de nature sentimentale, contrairement à celui de Brigitte Bardot, mais intellectuelle. Ce qu’ils refusent c’est la souffrance et “l’exploitation”. C’est pourquoi, contrairement à ce que croient les enfants, l’alternative n’est pas de tuer ou de laisser vivre les animaux de ferme mais de savoir s’ils doivent exister, car sans consommation de produits animaux, plus d’élevage et, sans élevage, plus d’animaux de ferme ! Un bon animal de ferme est en effet un animal non né !
Ces mêmes milieux débattent pour savoir s’il est légitime d’exploiter psychiquement des animaux de compagnie.
Ils se retrouvent en revanche plus largement pour dire qu’il est immoral d’accepter que des animaux sauvages continuent de souffrir car il y aurait toujours plus de souffrance que de bonheur dans la nature… C’est ce qu’ils nomment la “dysvaleur” et la solution serait soit d’intervenir pour sauver les animaux sauvages, soit de les faire muter génétiquement pour que les lions cessent de chasser les gazelles et les chats de jouer avec les souris, soit il conviendrait d’exterminer ces espèces. Tout cela est écrit par exemple dans les Cahiers antispécistes. On fait aujourd’hui des carrières d’universitaires en défendant ses thèses, on les enseigne, on tient des colloques ! La pire des choses serait de permettre que ces phantasmes puissent passer dans le réel.
Pourtant ils voudraient attribuer aux animaux une citoyenneté…
Un des courants de l’antispécisme propose, à la suite notamment de la publication du livre Zoopolis de Sue Donaldson et Will Kymlicka de reconnaître la citoyenneté à certains animaux. Ces animaux bénéficieraient de droits sociaux, droit à l’éducation, droit à une assurance maladie, droit à une retraite, mais, également, droits de vote, qu’ils exerceraient à travers des organisations animalistes! Propos extrémistes certes, mais que penser de la proposition de Laurence Parisot, ex-patronne du Medef, qui prône de créer des maisons de retraite pour les chevaux de selle ou de la volonté d’emmanuel Macron d’interdire l’hippophagie à la suite de son entretien avec Brigitte Bardot ? Je suggère bien davantage de redévelopper la consommation de viandes de cheval, que les végans souhaitent justement interdire! On commenpar interdire la viande de cheval avant de s’en prendre aux autres viandes, comme on commencera par la vénerie avant de s’en prendre aux autres chasses.
L’antispécisme a toutes les formes d’une secte autour d’un gourou Peter Singer, pourquoi s’épanouit-il sur le terrain de la philosophie ?
J’enquête, depuis plus de vingt ans, sur ces mouvances que j’ai découvertes lorsque je travaillais aux côtés de la mission interministérielle de lutte contre les sectes et avec les grandes associations antisectes comme l’unadfi ou le CCMM. J’avais publié, en juin 2000, un premier ouvrage intitulé Libération animale ou nouveau terrorisme : les saboteurs de l’humanisme (Golias), car j’avais croisé sur le territoire nord-américain certains groupes végans comme Church of Euthanasia et le Mouvement pour l’extinction volontaire de l’espèce humanité (VHEMT). Cette première enquête m’avait conduit à travailler sur le Front de libération animale (ALF), alors responsable de milliers d’attentats dans des laboratoires, des boucheries, des fermes, mais aussi contre des chasses et des chasseurs… C’est pourquoi contrairement à ce que laissent penser les médias, le véganisme n’est pas la poursuite du vieux végétarisme/végétalisme. C’est une idéologie vécue largement sur un mode religieux. Le véganisme n’est souvent que le cache-sexe de l’antispécisme. J’expliquai en quoi cette idéologie est en soi un terrorisme de la pensée, en quoi ces antispécistes sont les saboteurs de l’humanisme, mais aussi de concepts comme celui d’égalité. Contrairement à Alain Finkielkraut, je ne crois pas que l’antispécisme soit une extension de la sphère de l’égalité, mais, bien au contraire, sa perversion !
Vous dites que les végans sont les idiots utiles du capitalisme puisque finalement ils soutiennent indirectement l’industrie de l’agroalimentaire. Sont-ils une aubaine pour le lobby financier qui s’intéresse aux biotechnologies ou celui-ci favorise-t-il leur succès ?
Tous les délires des végans et antispécistes pourraient prêter à sourire si ce discours ne rencontrait pas les possibilités offertes, aujourd’hui, par les biotechnologies de produire industriellement de la fausse viande, du faux lait, de faux oeufs, du faux miel et, demain, des faux fruits et légumes. Cette fausse viande est fabriquée à partir de cellules-souches, prélevées sur des animaux, mais à grand renfort d’hormones de croissance, interdites, avec raison, en élevage. Cent cinquante vaches suffiraient à l’échelle mondiale pour produire toute la viande de boeuf actuellement consommée !
Les tenants de l’agriculture cellulaire ont tiré les leçons de l’échec de la viande clonée, dont les consommateurs n’ont pas voulu, c’est pourquoi ils instrumentalisent les milieux végans pour que le dégoût de la viande, de l’élevage et des abattoirs devienne plus fort que le dégoût et la peur des laboratoires. C’est pourquoi j’ai pu dire que les végans étaient les “idiots utiles” des biotechnologies alimencera
“Ce n’est pas par hasard que Peter Singer, pape de l’antispécisme, est membre de la Société d’agriculture cellulaire américaine !”
taires, dans lesquelles les Gafam investissent leur trésorerie excédentaire car ce futur marché sera plutôt juteux, j’ajouterai que ce sont les mêmes firmes qui nous ont imposé la “sale viande”, produite dans les pires conditions, qui veulent aujourd’hui nous imposer la fausse viande…
Je dois humblement reconnaître que j’ai eu tort de qualifier les végans d’“idiots utiles du capitalisme biotechnologique”, car cette formule est trop gentille, l’idiot utile étant un innocent ! Les activistes végans sont bien davantage des chevaux de Troie, sachant parfaitement ce qu’ils font, acceptant même des subventions de grands lobbies étatsuniens comme L214. Ce n’est pas par hasard que Singer, pape de l’antispécisme, est membre de la Société d’agriculture cellulaire américaine ! En France, vous ne trouverez pas un seul dignitaire de l’antispécisme pour dénoncer cette folie, qu’il s’agisse d’aymeric Caron ou des patrons, ex-anarchistes, de L214, en passant par les fameux Cahiers antispécistes, qui ont consacré un numéro spécial à la promotion de cette fausse viande cellulaire.
Paul Shapiro, le grand leader végan nordaméricain, est devenu avec son best-seller le meilleur VRP du monde de la fausse viande. Je parle bien de folie, car non seulement l’agriculture cellulaire sera responsable de la mort de plus d’un milliard de petits paysans, massacrera la biodiversité génétique et culturelle, mais c’est déjà un échec programmé en raison de son caractère totalement énergivore, c’est totalement anti-écolo ! Brillat-savarin, réveille-toi, ils sont devenus totalement fous !
Pourquoi les antispécistes ne sont-ils pas les super-écolos qu’ils laissent entendre ?
Les théoriciens de l’antispécisme ont longtemps crié leur haine de l’écologie et des écologistes mais beaucoup avancent aujourd’hui masqués ou, pour les jeunes, dupés. Qu’il faille consommer moins de viande dans l’avenir est une évidence et nous n’avons pas attendu le mouvement végan pour le dire au regard des dégâts sanitaires et écologiques. Mais les végans ne sont pas des écolos et encore moins des super-écolos, ils disent d’ailleurs haïr la nature puisque la prédation serait le symbole même de la nature. C’est pourquoi ils clament que la biodiversité n’est pas en soi une richesse car les espèces prédatrices sont “mauvaises”. Je ne peux m’empêcher de voir ici une sorte de retour de la gnose, ce vieux courant religieux considérant la matière comme mauvaise. Les catégories de pensée des végans sont à l’opposé de celles des écologistes. Les écolos pensent en termes d’espèces et de défense de la biodiversité, les végans pensent en termes d’individus animaux et disent se désintéresser de la biodiversité avec son cortège de prédation ; les écolos sont plutôt méfiants face à la techno-science (OGM, nucléaire, biotechnologies alimentaires…), les végans sont technophiles et beaucoup se disent même adeptes du transhumanisme, ce projet visant à augmenter l’humanité grâce à des prothèses techniques, voire à vaincre la mort dont décidément les végans ne veulent pas.
Le point de vue des antispécistes sur les personnes handicapées, les personnes séniles, la zoophilie et l’inceste sont moralement inadmissibles. Pourtant l’antispécisme prétend incarner un nouvel humanisme…
La vraie opposition n’est pas entre ceux qui souhaitent donner des droits aux animaux et ceux qui ne le souhaitent pas, mais entre ceux qui souhaitent reconnaître ces droits à des “individus animaux, humains ou non humains” pour parler comme les antispécistes et ceux, dont je suis, qui souhaitent en reconnaître à la nature.
J’aimerais pour répondre à votre question évoquer le vrai visage de Peter Singer, considéré comme le philosophe le plus efficace (sic)
de notre siècle, auteur du livre la Libération animale. L’idée d’une égalité entre tous les animaux, humains compris, pourrait sembler sympathique, sauf que nous ne sommes pas seulement des animaux, sauf si elle conduit à remettre en question l’égalité entre tous les humains. Singer dit qu’en raison de sa capacité à souffrir, ou à ressentir, un jeune chiot valide serait plus digne d’intérêt qu’un jeune nourrisson, qu’un grand handicapé, qu’un vieillard sénile. Il ajoute : « Je ne pense pas que tuer un nourrisson soit jamais l’équivalent de tuer une personne. »
J’avais expliqué, il y a vingt ans que rien dans la pensée de Singer ne pouvait s’opposer à la zoophilie. J’avais été accusé de tous les maux puisque j’osais critiquer le maître à penser des antispécistes. Peu de temps après, en 2001, Peter Singer publiait un texte (Heavy Petting)
légitimant les relations consentantes entre humains et animaux. Ces premiers penseurs antispécistes affichaient ouvertement un point de vue anti-humaniste mais la nouvelle génération se prétend “humaniste”, mais d’un genre assez particulier…
J’aimerais évoquer le cas d’aymeric Caron. Lors d’un face-à-face organisé par le journal l’express, il croyait me piéger en me demandant si je préférais sauver un chat ou Hitler. J’avais rétorqué que je sauvais Hitler pour pouvoir le juger. Caron aime beaucoup ces faux dilemmes, dans un de ses livres, il demande : « Imaginez que vous deviez choisir entre sauver la vie de votre animal et celle d’un humain. Que feriez-vous ? Une réaction spontanée doit vous pousser à répondre que vous choisirez l’humain […]. Cette réponse est pourtant insincère, en tout cas pour la majorité des personnes […], nous avons d’abord besoin de connaître l’identité de l’humain à sauver: s’il s’agit d’un violeur ou d’un tueur d’enfants, nous sauverons notre animal de compagnie sans hésiter, car il nous est inenvisageable de sacrifier un être aimé, même non humain, pour sauver un salopard humain […]. En ce qui me concerne,
“L’agriculture cellulaire est un échec programmé en raison de son caractère totalement énergivore et anti-écolo ! Brillat-savarin, réveille-toi, ils sont devenus fous !”
je sais qu’il n’y a quasiment aucune chance que je choisisse de sacrifier l’un de mes chats plutôt qu’un copain, un collègue ou, a fortiori, un inconnu. Tout simplement parce que je connais mieux mes chats, que j’ai vécu plus de moments vrais avec eux, qu’ils m’ont manifesté plus d’affection, qu’ils comptent sur moi et qu’ils pensent que jamais je ne les trahirai. Tout simplement parce que je les aime plus, et qu’eux aussi m’aiment plus. » Caron ne sauve pas les animaux mais “son” chat. J’avoue que sans hésiter je sauve personnellement Aymeric Caron.
Si je suis anti-végan, ce n’est pas pour défendre mon bifteck mais l’unité du genre humain. C’est aussi pour défendre le droit à l’alimentation de 8 milliards d’humains, pour défendre le droit à la vie de 1,2 milliard de petits éleveurs, pour défendre le droit à la vie des animaux d’élevage, des animaux de compagnie et des animaux sauvages. Les milieux végans m’accusent d’être un humaniste, bref un salaud. J’admets que l’égalité humaine soit une fiction et non un fait, sinon la question de l’égalité ne se poserait pas, mais seulement celle de l’identité. Cette fiction est nécessaire, ce qui ne signifie pas qu’on ne doive pas entretenir d’autres rapports aux animaux.
Comment expliquez que le véganisme trouve un écho foudroyant auprès d’une population jeune, urbaine, start-upeuse, bobo… ? Serait-il juste un phénomène de mode ?
La mode est par définition ce qui se démode, or le véganisme et l’antispécisme constituent un devenir possible de l’humanité. J’aimerais déjà dire, même si je ne m’en réjouis pas, que la consommation de viande augmente chez les jeunes, notamment urbains, donc tous ne sont pas végans ! Je crois que cette image du jeune végan intello, branché, start-upeur, arrange bien les idéologues de cette mouvance, car elle fait croire que ce serait un problème générationnel. Le véganisme serait, comme Internet, la jeunesse du monde. Vous avez raison, en revanche, de dire que c’est davantage un choix urbain, lié à la perte de tout contact avec la nature, mais j’ajouterai que c’est aussi le choix de milieux aisés, utilisant le véganisme comme une forme de mépris de classe, salauds de pauvres qui osez encore manger de la viande, j’ajouterai enfin que c’est un choix plus féminin que masculin.
Je pense que la nature ayant horreur du vide, le véganisme prend la place des grandes utopies/idéologies du XIXE et XXE siècles… Si nous n’avons plus de rêves à offrir à nos enfants, il est normal qu’ils se bricolent leurs propres chimères. Le véganisme me semble être également une nouvelle forme de religiosité, avec ses grands prêtres (souvent des prêtresses), sa bible, ses actions de grâce, ses excommunications, ses fidèles et ses hérétiques, sa quête de pureté, ses sacrifices,
Je suis troublé à la fois par l’inquisition qui règne dans ces milieux (on n’est jamais assez pur) et par certains rituels, comme celui consistant à se faire marquer au fer rouge. Mais si c’est une religion, c’est, à la fois, la foi dans la technoscience (y compris avec l’illusion de vaincre la mort) et le retour du vieux courant de la gnose, c’est-à-dire cette idée que la matière serait mauvaise (“la dysvaleur de la nature”). C’est pourquoi certains groupes végans/antispécistes prônent le suicide de masse puisque l’humanité serait un cancer.
Des psychiatres et psychanalystes avec lesquels je travaille insistent sur le refus de nombreux végans de procréer, ils disent défendre le vivant mais beaucoup refusent la vie.
La pandémie actuelle plaide en faveur de la production de proximité, pourtant nous ne semblons pas tirer de leçon de la globalisation. Comment redonner de la valeur au monde rural afin de changer les modes de consommation industrialisés ?
Votre question passionne l’écologiste que je suis. Permettez-moi d’abord de relever que nous avons peu entendu nos végans et antispécistes expliquer au grand public qu’il ne fallait pas tester les vaccins contre la Covid sur des animaux même si c’est bien le fond de leur pensée. Tout cela, ils l’écrivent mais les mêmes grands médias qui relaient si volontiers leurs propos et vidéos se taisent !
J’ai publié un petit livre Écologie et Cultures populaires (Les Éditions Utopia, 2015) pour montrer que, contrairement à ce que voudrait nous faire croire une écologie culpabilisatrice et punitive, ce ne sont pas les milieux populaires, au sens des gens ordinaires, qui détruisent la planète : on les montre du doigt pour leur amour de la viande rouge, pour leurs vieilles voitures polluantes, pour leur maison mal isolée, mais ce sont pourtant eux qui peuvent sauver une Terre-pour-l’humanité! Car ils sont porteurs d’autres rêves, d’autres façons de penser, d’autres façons de faire, d’autres modes de vie: ils entretiennent un autre rapport au travail, à la consommation, aux loisirs, à la nature, au temps, à l’espace, à l’argent, à la maladie, à la mort, donc à la vie. Les gens ordinaires ne sont pas des riches auxquels ne manquerait que l’argent, ils ont une autre réalité.
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(*) Paul Ariès est l’auteur entre autres de Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser (Larousse, 2019) et Une histoire politique de l’alimentation du paléolithique à nos jours (Max Milo, 2016).
“Les antispécistes sont prêts à faire muter génétiquement les lions afin qu’ils cessent de chasser les gazelles ou à les exterminer.”