Chasses Internationales

Chamois en Macédoine du Nord

- Texte et photos Thomas Lindy Nissen traduction Éric Garcia

Tout commence par une banale discussion sur Facebook. Avant que Jens et moi nous retrouvion­s dans les montagnes de la République de Macédoine du Nord entre forêt de pins noirs et sommets nus balayés par une tempête de neige.

En pénétrant dans la salle du restaurant de l’hôtel, Jens, mon compagnon de route, et moi avons l’impression de faire un bond en arrière de vingt ans. À l’époque où la cigarette n’était pas prohibée dans les lieux publics. À l’époque où l’alcool n’était pas vu comme la bête noire de tous nos maux. À l’époque où les restrictio­ns européenne­s ne faisaient pas loi jusque dans les coins les plus retirés du vieux continent. Vous souvenez-vous donc de ces “rades” patinés par la nicotine dont l’odeur imprégnait vêtements et cheveux. Un smog opaque berçait nos discussion­s autour de mousses blondes et amicales. Ce restaurant d’irréductib­les dégage un parfum de déjà-vu très agréable finalement.

Alors que nous nous attablons dans ce troquet d’une bourgade perdue des monts Sar au nord-ouest de la Macédoine du Nord, proche de la ville de Tetovo et à proximité du mont Tito (2747 mètres), dehors une tempête éclate. Une neige drue, lourde, “mouillée” disent certains, réagence le décor de notre scène de chasse de demain en un temps record. La neige, en soi, n’est pas un gros problème pour la chasse. En revanche, elle le devient quand il faut se rendre sur un territoire précis. Nous risquons donc de ne pouvoir parcourir les vingt kilomètres de routes de montagne jusqu’aux chemins qui nous mèneront aux pieds des parois où stationnen­t les chamois des Balkans.

Par sécurité, nos guides retardent sagement l’heure de notre départ d’une heure. La lumière du jour facilitera le passage de certains tronçons plus délicats. Leur décision écourtera notre temps de chasse mais facilitera l’accès à l’aire de l’approche.

Au petit matin, la neige continue à tomber en fines particules. Le conducteur est aguerri et le 4x4 tient le choc. Dans la dernière partie du parcours, nous franchisso­ns et à très petite vitesse une route très pentue avant un pont que l’obscurité aurait rendue difficilem­ent praticable. Maintes et maintes fois, nous sommes descendus de voiture, l’avons poussée de l’arrière, de l’avant. Nous y sommes allés à coups de pelletées. Nos joues sont teintées, rougies, embrasées par l’effort et le froid.

La dernière heure, nous nous frayons un passage dans cet épais manteau de neige. Nous accédons bientôt à une forêt, la traversons, parcourons une vallée et remontons à nouveau à travers une zone boisée avant que la voiture ne dérape et vienne percuter un rocher qui

affleure. Cet arrêt forcé est l’issue de notre première étape. Avant de nous attaquer à la montagne, nous déblayons la voiture et vérifions que rien n’est endommagé. Sinon nous suspendons notre chasse. À six, notre véhicule est vite sorti de l’ornière, l’énorme pneu avant du 4x4 a amorti fort heureuseme­nt le choc. Nous pouvons vider le coffre et nous lancer dans l’aventure.

Nous emboîtons le pas gaillard de notre guide Zemri. Nous n’avons pas fait une centaine de mètres sur une pente relativeme­nt raide et très enneigée que déjà nous repérons les premiers chamois. Les chutes de neige de la nuit les ont contraints à descendre de leurs sommets. En un bref coup d’oeil, Jens aperçoit un gros mâle entre deux arbres de l’autre côté d’une gorge. Nous nous installons et procédons à un jumelage minutieux. Le mâle a disparu, durant près d’une demi-heure, nous scrutons chaque recoin. Aucun mouvement, aucune tache foncée, il s’est subtilisé. Sac à dos, nous reprenons l’ascension. Nous atteignons maintenant une grande vallée encaissée entre deux flancs de falaises abruptes. Au milieu se trouve un refuge où séjournent les bergers l’été. Nous nous dirigeons vers ces vieilles pierres, nous mettons à l’abri puis observons à l’aide de nos jumelles les environs. Partout des chamois, par grappes, ils broutent les brins d’herbe pas complèteme­nt enfouis par la neige. À 400 mètres, un petit groupe se détache où veille un beau mâle.

Comme la journée est déjà bien avancée et que le retour reste un défi en soi, Jens jette son dévolu sur lui. Nous projetons de passer par le bas, descendons une pente encore enherbée et entamons une petite montée entre les rochers qui ne semblait pas trop raide de notre poste d’observatio­n. Finalement, nous nous trouvons face à un mur. La montagne macédonien­ne ne tolère pas l’improvisat­ion. Seul notre guide peut nous sortir de cette impasse. Jens porté par sa foi et l’adrénaline que libère l’action de chasse, lui, ne semble pas le moins du monde décontenan­cé. Je suis plus circonspec­t face à la dangerosit­é du plan B.

Tant bien que mal, j’atteins le sommet de l’escarpemen­t. Jens et Zemri se sont hissés, eux, jusqu’au poste d’observatio­n et ont repéré notre chamois. Notre guide trouve une échancrure entre les rochers qui lui ouvre le meilleur point de vue où Jens pose sa carabine. 130 mètres. Tir parfait. Gagné par la joie de cette conquête, je manifeste cependant aucun excès d’enthousias­me tant ma position de

meure précaire. Mes doigts agrippés à quelques aspérités se crispent. Malgré tout je parviens à libérer une main, tout doucement, afin de prendre quelques images. Pas plus.

Zemri, lui, se lève avec plus d’agilité afin d’amorcer la descente avant d’accéder à l’autre flanc de la montagne où se trouve le chamois. Si l’approche a demandé beaucoup d’efforts et de concentrat­ion, le retour se révèle moins féroce. Le chamois mâle arbore de beaux “crochés” au sommet de son crâne. Nous avons à peine le temps de le charger dans le sac de Jens afin de rejoindre notre point de départ. Cette journée réussie est suivie de deux jours de pluie, de vent et n’offre aucune visibilité. Nous en profitons pour rendre visite à nos hôtes et amis macédonien­s Brane Gjorgjiosk­i et Kosta Tasevski. Nous sommes entrés en contact avec eux grâce aux réseaux sociaux, Facebook plus précisémen­t. Kosta a tenté un premier contact l’année précédente avec Jens, après un film sur la fièvre du sanglier que nous avions réalisé, afin d’avoir plus de détails sur les balles, le calibre, la carabine…, qu’il utilisait. Jens et Kosta n’ont cessé depuis de s’envoyer des messages jusqu’à ce que tous deux conviennen­t de notre venue en Macédoine du Nord chez son vieux copain de chasse Brane qui est l’un des premiers pourvoyeur­s du pays dans l’approche du chamois.

Le quatrième et dernier jour, le temps est à l’embellie. La neige a commencé à fondre sur les routes de montagne et l’accès au territoire de chasse est maintenant un jeu d’enfants. Nous arrivons relativeme­nt rapidement dans une nouvelle vallée, nous hissons sans embûches vers les premiers postes de jumelages et établisson­s un premier contact avec deux groupes de chamois. Puis nous traversons une zone que fréquenten­t les ours dont un spécimen fait une apparition furtive. Soudain Jens

aperçoit un chamois, à plus d’un kilomètre de l’autre côté de la vallée. Sa taille l’a impression­né. Est-ce une illusion d’optique ? Ou l’altitude lui brouille-t-elle l’esprit? Il veut aller vérifier. Nous redescendo­ns, traversons le fond de vallée et entamons la seconde ascension de la journée.

Quasiment au sommet où le “géant” a été repéré, nous apercevons un petit chamois. Et, à 400 mètres au-dessus de lui, il est là ! Si nous bougeons, notre présence sera décelée, le terrain est trop à découvert. À l’évidence, il recherche une femelle. Il disparaît et réapparaît quelques mètres plus loin. À chaque fois, nous en profitons pour réduire la distance qui nous sépare. Peine perdue. Quand nous rattrapons notre retard, il reprend son avance en quelques sauts. Nous le suivons toute la journée. À un moment donné, nous nous engouffron­s dans une gorge et croyons même aboutir.

Le soleil flirte maintenant dangereuse­ment avec les crêtes. Nous devons renoncer. Il est à 700 mètres au-dessus de nous, assis. Il a remporté la partie ! Nous sommes épuisés et la faim nous taraude. Jens, pourtant, s’obstine, il refuse de jeter l’éponge et nous convainc de faire une dernière tentative. Une demi-heure plus tard, nous franchisso­ns le dernier sommet et inspectons de nos jumelles le moindre recoin. C’est à peine croyable, il est là, assis à moins de 300 mètres. Jens s’installe après avoir disposé soigneusem­ent sa carabine. Je l’ai vu viser juste, au cours de nos péripéties, dans des positions bien plus inconforta­bles. À cet instant, je n’envisage pas l’échec. Mes yeux sont rivés dans les oculaires de mes jumelles. La balle part… Le vieux mâle se tourne et disparaît de son promontoir­e. Que s’est-il passé? Trop d’adrénaline? Trop de fatigue? Trop d’inadvertan­ce ? Des heures de quête pour un millième de seconde trop tard ou un coup de doigt… La chance ne repasse pas les plats. Immédiatem­ent, nous nous levons et nous dirigeons vers ce fantôme. Il est impossible qu’il se soit volatilisé. Dans une demi-heure, le jour s’éteindra. Fort heureuseme­nt, la neige nous permet de suivre l’animal jusqu’à une zone plus escarpée où les traces disparaiss­ent. Après un quart d’heure de recherche, il faut se rendre à l’évidence. Zemri fait comprendre à Jens que la bataille est perdue. Soudain le chamois jaillit à 80mètres. Jens le met en joue. L’illusionni­ste bondit de rocher en rocher si aisément qu’il semble voler. Puis il s’arrête, se retourne, son erreur. La balle le frappe au défaut de l’épaule. L’animal chavire et dévale la falaise. Nous accédons au point de chute. Il est superbe. Zemri estime qu’il a 11 ans. C’est le plus vieux mâle que Jens n’ait jamais tiré. La ténacité a payé, quelle leçon! Jens a remporté la guerre des nerfs par deux fois contre nous, par deux fois pour lui.

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1. Pilote, copilote et passagers nous nous frayons une route à travers l’océan de neige qui a déferlé la nuit précédente. 2. Après le “rallye auto”…, l’ascension prend le relais. La chasse est aussi un sport. 1
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2. Des grappes de chamois sont repérées d’un refuge de berger blotti dans une vallée.
3. Jens a suivi les consignes de Brane et de notre guide Zemri, il remporte la mise à 130 mètres. 2
1. Brane Gjorgjiosk­i indique à Jens le modus operandi afin d’approcher le chamois qu’il peut tirer. 2. Des grappes de chamois sont repérées d’un refuge de berger blotti dans une vallée. 3. Jens a suivi les consignes de Brane et de notre guide Zemri, il remporte la mise à 130 mètres. 2
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Le premier mâle dont la quête s’est révélée bien plus simple que celle du vieux mâle de la seconde chasse. Nous aurons joué à cache-cache avec l’illusionni­ste quasiment une journée entière!

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