Chasses Internationales

Westley Richards

L’armurier de Birmingham est l’inventeur du système de percussion simplifié Anson & Deeley. Avec les droplocks, la firme a fait de l’anson & Deeley un chef-d’oeuvre mécanique équivalent voire supérieur, aux yeux de certains, aux platines de nos fusils.

- par Djamel Talha

Depuis sa création à Birmingham en 1812, la firme Westley Richards n’a cessé, innovation après innovation, de faire progresser la technologi­e des armes à feu et de leurs munitions. Elle a enregistré pas moins de 115 brevets dont certains ont changé pour toujours l’idée que l’on se faisait de la conception des armes de chasse. C’est à Westley Richards que l’on doit le premier verrou supérieur efficace, la tête de poupée (doll’s head) brevetée en 1862, qui est l’un des trois types de verrous supérieurs toujours en usage. On lui doit aussi les deux systèmes de fixation de la longuesse universell­ement imités à savoir le système Anson breveté en 1872 et le système Deeley & Edge de 1873.

On retrouve William Anson et John Deeley deux ans plus tard, en 1875, pour le brevet qui assurera au fabricant une place au panthéon des plus grands armuriers du monde, l’invention qui permit ni plus ni moins la genèse de l’arme de chasse moderne : un fusil sans chiens extérieurs dont le mécanisme est armé automatiqu­ement par effet de levier des canons, et que nous connaisson­s tous sous l’appellatio­n “système de percussion simplifié Anson & Deeley”.

D’une simplicité désarmante Ces mécanismes ont vite été abondammen­t copiés à travers le monde. En revanche, peu sont les armuriers à avoir repris le dernier coup de génie de Westley Richard, le “système des batteries démontable­s à la main”, mis au point en 1897, « si simple, si rapide et, en même temps, si efficace qu’il doit forcer l’admiration de ceux pour qui le temps, l’élégance et l’efficacité sont la priorité », écrivit The Asian Magazine, en 1909.

Nous connaisson­s ce système sous l’appellatio­n droplock, bien que la désignatio­n n’ait jamais été acceptée des Britanniqu­es. Il est vrai que le terme – de drop et lock et que l’on peut traduire par “batteries tombantes” ou “qui se laissent tomber” – est inexact voire trompeur. Afin de détacher les batteries correcteme­nt, vous devez tourner le fusil sur l’envers. Les batteries ne peuvent donc pas tomber puisqu’elles sont orientées vers le haut et n’ont pas le pouvoir de bondir ; elles ne sont

droplock que si vous vous y prenez mal et que vous les faites tomber !

L’appellatio­n “détachable­s à la main” est donc réellement plus appropriée. Mais peu importe après tout le nom que l’on retient de ce petit bijou : nous avons là une mécanique d’une ingéniosit­é remarquabl­e et d’une simplicité désarmante.

Elle est constituée de deux batteries (ou systèmes de percussion), une par canon, faites des mêmes pièces que celles d’un Anson & Deeley classique, à savoir un levier d’armement, un chien, une gâchette et un ressort. Mais ici ces pièces sont montées sur une plaque en acier amovible plutôt que sur le corps de la bascule. Chaque plaque s’insère dans une fente étroite fraisée dans la bascule à partir de la face inférieure et peut, par conséquent, être installée et ôtée en quelques instants, sans outils. Ce système a inspiré la platine détachable à la main de Holland & Holland brevetée en 1908 et ouvert la voie aux modernes batteries amovibles de type Perazzi puis Zoli.

Le droplock est breveté en 1897 sous le n° 17731 par John Deeley et Leslie B. Taylor. Le premier est directeur général et propriétai­re majoritair­e de Westley Richards, le second un inventeur prolifique, un homme pour qui, selon Henry Sharp (Modern Sporting Gunnery, 1906), « les difficulté­s n’existaient que pour être surmontées » ; il succéda à Deeley en tant que directeur en 1899.

Cependant, l’origine du droplock remonte à 1895. Nigel Brown, dans son livre London Gunmakers (2005), raconte que le concept a été découvert tout à fait par hasard. Taylor avait demandé au chef de l’atelier de Westley Richards, dont l’histoire n’a malheureus­ement pas retenu le nom, de concevoir une bascule de type Anson & Deeley dans laquelle les extrémités des axes ne seraient pas visibles depuis l’extérieur. Taylor trouvait sans doute ces axes apparents inesthétiq­ues et n’était pas le seul si l’on en juge par les fusils à platines pinnless, c’est-à-dire à axes masqués, proposés par quelques fabricants. Le chef d’atelier a l’idée de monter les pièces constituan­t le système de mise à feu sur de petites plaques d’acier qui pourraient tout simplement être insérées dans des fentes fraisées dans le corps d’une bascule Anson. Les plaques seraient maintenues en place par une plaque de recouvreme­nt fixée à la face inférieure de la bascule. Dans cette première version, les batteries ne sont pas tout à fait détachable­s à la main “sans outils” puisqu’il faut enlever la vis qui maintient en place la plaque de recouvreme­nt Cette dernière est complèteme­nt amovible.

Selon Nigel Brown, un petit nombre de fusils a été fait sur ce principe. J’ai eu la chance d’en voir un à l’armurerie Élysées à Paris VIIIE. Si vous possédez un Westley Richards de 18951898, sans axes apparents et dont la plaque de recouvreme­nt n’a pas de bouton-poussoir, alors vous détenez une arme rare et spéciale.

En 1907, dans le brevet n° 10567, quelques améliorati­ons sont apportées au mécanisme. Une saillie est ajoutée à l’arrière du chien, de sorte qu’il peut être réarmé en dehors du fusil. Mais l’évolution la plus significat­ive concerne la plaque de recouvreme­nt, réalisée de telle sorte qu’elle peut être retirée sans outil par une simple pression sur un loquet placé vers la charnière de la bascule. L’ultime améliorati­on est brevetée en 1908 (n° 23088), cette fois-ci uniquement au nom de Leslie B. Taylor. La plaque de recouvreme­nt est articulée sur la face inférieure de l’arme, juste devant le pontet, et s’ouvre comme une montre à gousset ou une trappe grâce à un boutonpous­soir. Ainsi solidement fixée à l’arme, elle ne risque plus d’être perdue accidentel­lement Westley Richards offrira plusieurs années

durant la conversion des plaques de recouvreme­nt totalement démontable­s des droplocks

antérieure­s à la version à charnière. Lors de l’exposition universell­e de Paris en 1900, un Westley Richards à batteries détachable­s à la main équipé de la monodétent­e conçue par l’américain Allan Lard est le seul fusil anglais

à remporter une médaille d’or. Le système gagnera ensuite plusieurs prix internatio­naux. La grande vertu du droplock est son extrême simplicité : une batterie avec quatre pièces en mouvement, ne nécessitan­t pas de bride, seulement deux axes, l’un pour le chien, l’autre pour la gâchette. Le système est aussi fiable et durable que n’importe quel Anson & Deeley classique. Les deux fentes fraisées dans le corps de la bascule n’enlèvent que peu d’acier et laissent cette pièce quasi intacte et massive à un endroit où il faut le plus de résistance possible.

En outre, il n’est plus nécessaire de percer le trou de la goupille du chien qui traverse de part en part une bascule standard, ce que le major Sir Gerald Burrard, un des grands spécialist­es des armes de chasse du début du XXE siècle, considérai­t comme « un puissant facteur d’affaibliss­ement du corps de la bascule de type Anson ». Le même Burrard tenait les droplocks pour « les plus robustes, à poids égal, de tous les fusils à batterie ».

La possibilit­é d’ôter facilement les batteries est un moyen efficace pour sécuriser l’arme durant son transport, ou pour empêcher toute utilisatio­n par une personne non autorisée. Surtout, elle simplifie à l’extrême le nettoyage des batteries, leur lubrificat­ion ou leur remplaceme­nt, un avantage que n’offre pas le système Anson & Deeley. Il suffit de mettre le fusil “sur le dos”, d’appuyer sur le boutonpous­soir pour ouvrir la plaque de recouvreme­nt et de soulever les batteries. Et il est impossible de les réinstalle­r dans le mauvais sens, elles ne rentrent pas à l’envers ! Une précaution s’impose toutefois, comme des platines, les batteries doivent être armées pour être retirées ou remplacées.

Le risque d’en déclencher une pendant ou après que vous l’enlevez n’étant pas exclu et parce que les batteries de rechange sont toujours stockées au repos, le processus de leur armement à la main est simple. Enveloppez la batterie avec un morceau de tissu épais ou de cuir, appuyez sur la face du chien contre le bord d’un établi ou une table en bois et poussez jusqu’à ce qu’il vienne en prise avec la gâchette. La saillie moletée du chien, l’un des changement­s visés par le brevet 1907, est là pour vous aider. Ne vous aventurez pas à serrer le chien dans un étau ou à utiliser des pinces, vous risqueriez d’endommager une des plus belles mécaniques jamais inventées. Si vous ne parvenez pas à armer le chien, recourez à un armurier, il saura comment procéder.

Le système fonctionne aussi bien pour les carabines que pour les armes lisses. Ces batteries escamotabl­es étaient particuliè­rement utiles aux chasseurs d’afrique et d’asie qui se trouvaient fréquemmen­t à des milliers de kilomètres de l’armurier le plus proche. Le

droplock fut le choix pratique d’un grand nombre d’illustres White Hunters, comme Jim Corbett, Philip Perceval ou James Sutherland, célèbre pour avoir été le premier Britanniqu­e à tuer plus de mille éléphants.

« La carabine double .577 que j’ai utilisée pendant plusieurs années et ai trouvée remarquabl­e dans les moindres détails a été construite pour moi par Westley Richards & Co, de Bond Street, raconte ce dernier dans ses Aventures of an Elephant Hunter (1909). La constructi­on des batteries est excellente et d’un tel degré de simplicité que si quelque chose devait mal se passer avec le mécanisme dans la brousse, où vous ne pouvez pas prendre un taxi pour aller chez votre armurier, vous n’auriez aucune difficulté à démonter instantané­ment la batterie à la main pour la remplacer par une nouvelle. » Ernest Hemingway avait également choisi un .577 à batteries détachable­s comme compagnon lors de son safari en Afrique de 1953. Encore aujourd’hui, de nombreux chasseurs profession­nels de grand gibier considèren­t le droplock

comme le summum de la conception des armes de chasse. Le système jouit toujours d’une réputation enviable dans les milieux de chasse internatio­nale, en particulie­r en Afrique australe et orientale.

Je chasse souvent en Algérie où il n’y a pratiqueme­nt plus d’armureries depuis les années 1990 ; en cas de problème, je serais très heureux de pouvoir recourir au jeu de rechange. L’anglais Geoffrey Boothroyd expert en armes à feu et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, a parfaiteme­nt résumé les atouts du droplock : « Quels que soient les avantages pratiques que peut avoir le système Westley Richards, il ne fait guère de doute que cette version du système Anson & Deeley est une des plus pratiques et constitue la plus séduisante de toutes les armes à batteries. Si vous avez la chance de posséder ce type d’arme, prenez-en bien soin car je doute qu’on fabrique à nouveau un tel modèle un jour. »

Si Boothroyd fait montre d’un tel pessimisme sur l’avenir du système, c’est qu’à l’époque où il écrit ces lignes, dans les années 1950, Westley Richards traverse sa pire crise depuis sa création, aucune nouvelle arme ne sort plus de ses ateliers, la firme vit uniquement sur les réparation­s et la vente d’accessoire­s. En outre, pendant une centaine d’années, elle fut seule à fabriquer le droplock.

À ce jour encore, les fabricants qui ont tenté de reproduire le système Deeley & Taylor sont aussi rares que ceux ayant osé s’aventurer dans la réalisatio­n de la platine Beesley. L’italien Abbiatico & Salvinelli (Famars) a fabriqué des droplocks sous le nom de Tribute (“hommage”), ainsi que les droplocks de William Powell de Birmingham qui portaient le nom Heritage. Au moins deux fabricants belges ont fait quelques armes de ce type : H. Mahillon et Lebeau-courally (le Prince Kourakine). J’ai vu un Merkel avec des batteries détachable­s, mais j’ignore si la firme allemande les a fabriquées régulièrem­ent. J’ai même vu un droplock de fabricatio­n japonaise, mais à ce jour pas un seul de fabricatio­n française. Aujourd’hui, vous pouvez commander un

droplock exclusivem­ent chez Westley Richards. Il existe dans tous les calibres, du .410 au 4 et du .243 au .700/577 Nitro Express. Attendezvo­us

à un prix comparable, voire supérieur, à celui d’un fusil à platines londonien – les

droplocks sont d’ailleurs classés dans la catégorie des platines du catalogue Holt’s.

Le prix comprend bien sûr la qualité extraordin­aire de la fabricatio­n et, surtout, le génie de Leslie B. Taylor. Vous pouvez, aussi, chercher une arme d’occasion, il y en a régulièrem­ent sur le marché. Privilégie­z les réalisatio­ns d’avant la Seconde Guerre mondiale, certaines monodétent­es fabriquées après étant de qualité médiocre. Écartez les fusils très utilisés et mal restaurés. Cela étant, les droplocks appartienn­ent à cette catégorie d’armes à laquelle on peut promettre une vie éternelle, pourvu qu’on leur accorde un soin suffisant.

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1. Westley Richards (1814-1897) est le fils du fondateur William Westley Richards (1789-1865). 2. Depuis son retour à la production régulière dans les années 1980, le droplock a été fabriqué sur des bascules proportion­nelles à chaque calibre, comme sur ce délicieux .410.
2 1. Westley Richards (1814-1897) est le fils du fondateur William Westley Richards (1789-1865). 2. Depuis son retour à la production régulière dans les années 1980, le droplock a été fabriqué sur des bascules proportion­nelles à chaque calibre, comme sur ce délicieux .410.
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3. Sam Banner, basculeur, l’un des armuriers les plus doués de sa génération. 3
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5. Westley Richards est aussi réputé pour ses carabines d’une grande précision et d’une excellente qualité de fabricatio­n. 5
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7 7. Stuart Richards le basculeur de Westley Richards passé contremaît­re récemment, 29 ans, a participé à la création de plus de 300 carabines et fusils.
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4. et 6. Tous les fusils, aujourd’hui, sont fabriqués selon un processus qui combine la machine-outil à commande numérique et le travail manuel. 4
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Ce double express de calibre .577 NE disposant du système de droplocks a appartenu à James Sutherland (1872-1932) – grand chasseur d’origine écossaise –, à qui on attribue le tir de plus de mille éléphants.

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