Atelier Saint Albin
Ya-t-il un point commun entre la philosophie et l’ébénisterie? Ne cherchez pas, a priori, il n’y en a pas. Pourtant Foucauld Raguenet de Saint Albin, lui, en a trouvé au moins un. « L’on devrait pouvoir pratiquer les deux en même temps ! », songe-t-il, espiègle, lorsque je l’interroge sur son parcours. Une voie l’y aide, la contemplation. Cet état d’esprit qui sous-tend une maîtrise de soi par l’observation et l’introspection l’aurait donc guidé vers l’artisanat d’art, le travail de la matière, l’excellence du geste.
Rembobinons. Été 2006, Foucauld vient d’empocher son bac, il choisit de faire des études en philosophie, se raisonne et s’engage dans l’ébénisterie par curiosité et attrait, mais sans envisager d’en faire sa profession. Un atelier de restauration de meubles anciens que dirige Christophe Chauvet, près de la rue du Faubourg-saint-antoine à Paris, lui tend la main. Il va y passer trois ans. « J’y ai été confronté à l’histoire, à un passé et à des matériaux et des techniques très variées, avec des meubles qui avaient traversé deux ou trois siècles. » Les trois années suivantes, Foucauld change de dimension, cette fois dans le grand atelier de fabrication de Christian Mussy, passage des Taillandiers, toujours dans le XIE arrondissement. Cet ébéniste façonne des meubles d’exception sur mesure pour des grands décorateurs, des princes arabes, des milliardaires russes et américains… Ces deux expériences l’ont convoyé de la tradition et à des créations plus contemporaines. D’un côté l’ébénisterie de restauration XVIIE, XVIIIE, XIXE et XXE siècle et, de l’autre, une conception plus mathématique du meuble.
« Je n’ai pas une approche de designer, ce qui m’intéresse c’est la matière naturelle vivante. Je voyage plus avec le bois, le cuir, le galuchat qu’avec le plastique, la résine ou l’aluminium. C’est pourquoi je n’ai pas un regard ou une technique contemporaine de mon métier. Je veux faire de belles choses à partir de ces matières », définit-il. Après ces six années, Foucauld veut voler de ses propres ailes et s’installe au Village Christofle, à Saint-denis au nord de Paris. Le lieu, immense, construit dans les années 1870 sur les bords du canal, réunit des créateurs, artistes et artisans d’art qui oeuvrent chacun dans sa partie. Une pépinière propice à la créativité de Foucauld. Il s’y sent bien, dialogue beaucoup et se met à dessiner et à produire ses premières pièces. Mais venons à ce qu’il conçoit. « Je travaille essentiellement à la commande, je préfère cette démarche, je participe alors à une histoire. Je présente plusieurs dessins au crayon à un client, puis j’affine en fonction de ses intentions. J’utilise ensuite des logiciels de dessin en 3D afin de faire des tests de matières. » Émaux, coquillages, pierres… assemblés à des essences de bois différentes dans une géométrie et des volumes harmonieux, Foucauld voit la forme par la matière via des savoir-faire complexes. « La profondeur des veinages du bois est révélée par le polissage du bois. La lumière y pénètre dans un jeu de méandres. » confirme-t-il.
Table basse en loupe de vavona inspirée des charpentes navales et de leurs membrures, bibliothèque en ébène du Laos…, Foucauld a aussi réalisé un coffret à fusil (cicontre, en bas) à système d’ouverture et de secret, marqueté en loupe de noyé avec incrustations en laiton et intérieur cuir pleine fleur. Arrêtonsnous sur son coffret créé pour une dague de chasse (à gauche). Le travail de l’ébène du Gabon évoque le pelage d’un animal sauvage et le choix des filets en argent ainsi que l’incrustation de nacre rappellent le manche de la dague. Les armoiries ont été gravées en taille-douce sur la nacre. « Je m’inscris dans une recherche d’exigence et de raffinement, inspiré notamment par le style Art Déco et Jacques-émile Ruhlmann (1879-1933), que j’apprécie pour son exigence technique et sa recherche esthétique », souffle Foucauld.
L’an dernier, des promoteurs se sont emparés du Village Christofle. Il a dû déménager s’est éloigné de Paris et oeuvre provisoirement près de Blois à Chouzysur-cisse avant de recréer un repaire d’artisans et réveiller l’émulation de son atelier de SaintDenis. L’ébénisterie s’élabore au contact d’autres créateurs sans jamais se départir d’un liséré philosophique et contemplatif. L’art ne se prouve pas, il s’éprouve.
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