Chasses Internationales

Atelier Saint Albin

- Par Éric Lerouge

Ya-t-il un point commun entre la philosophi­e et l’ébénisteri­e? Ne cherchez pas, a priori, il n’y en a pas. Pourtant Foucauld Raguenet de Saint Albin, lui, en a trouvé au moins un. « L’on devrait pouvoir pratiquer les deux en même temps ! », songe-t-il, espiègle, lorsque je l’interroge sur son parcours. Une voie l’y aide, la contemplat­ion. Cet état d’esprit qui sous-tend une maîtrise de soi par l’observatio­n et l’introspect­ion l’aurait donc guidé vers l’artisanat d’art, le travail de la matière, l’excellence du geste.

Rembobinon­s. Été 2006, Foucauld vient d’empocher son bac, il choisit de faire des études en philosophi­e, se raisonne et s’engage dans l’ébénisteri­e par curiosité et attrait, mais sans envisager d’en faire sa profession. Un atelier de restaurati­on de meubles anciens que dirige Christophe Chauvet, près de la rue du Faubourg-saint-antoine à Paris, lui tend la main. Il va y passer trois ans. « J’y ai été confronté à l’histoire, à un passé et à des matériaux et des techniques très variées, avec des meubles qui avaient traversé deux ou trois siècles. » Les trois années suivantes, Foucauld change de dimension, cette fois dans le grand atelier de fabricatio­n de Christian Mussy, passage des Taillandie­rs, toujours dans le XIE arrondisse­ment. Cet ébéniste façonne des meubles d’exception sur mesure pour des grands décorateur­s, des princes arabes, des milliardai­res russes et américains… Ces deux expérience­s l’ont convoyé de la tradition et à des créations plus contempora­ines. D’un côté l’ébénisteri­e de restaurati­on XVIIE, XVIIIE, XIXE et XXE siècle et, de l’autre, une conception plus mathématiq­ue du meuble.

« Je n’ai pas une approche de designer, ce qui m’intéresse c’est la matière naturelle vivante. Je voyage plus avec le bois, le cuir, le galuchat qu’avec le plastique, la résine ou l’aluminium. C’est pourquoi je n’ai pas un regard ou une technique contempora­ine de mon métier. Je veux faire de belles choses à partir de ces matières », définit-il. Après ces six années, Foucauld veut voler de ses propres ailes et s’installe au Village Christofle, à Saint-denis au nord de Paris. Le lieu, immense, construit dans les années 1870 sur les bords du canal, réunit des créateurs, artistes et artisans d’art qui oeuvrent chacun dans sa partie. Une pépinière propice à la créativité de Foucauld. Il s’y sent bien, dialogue beaucoup et se met à dessiner et à produire ses premières pièces. Mais venons à ce qu’il conçoit. « Je travaille essentiell­ement à la commande, je préfère cette démarche, je participe alors à une histoire. Je présente plusieurs dessins au crayon à un client, puis j’affine en fonction de ses intentions. J’utilise ensuite des logiciels de dessin en 3D afin de faire des tests de matières. » Émaux, coquillage­s, pierres… assemblés à des essences de bois différente­s dans une géométrie et des volumes harmonieux, Foucauld voit la forme par la matière via des savoir-faire complexes. « La profondeur des veinages du bois est révélée par le polissage du bois. La lumière y pénètre dans un jeu de méandres. » confirme-t-il.

Table basse en loupe de vavona inspirée des charpentes navales et de leurs membrures, bibliothèq­ue en ébène du Laos…, Foucauld a aussi réalisé un coffret à fusil (cicontre, en bas) à système d’ouverture et de secret, marqueté en loupe de noyé avec incrustati­ons en laiton et intérieur cuir pleine fleur. Arrêtonsno­us sur son coffret créé pour une dague de chasse (à gauche). Le travail de l’ébène du Gabon évoque le pelage d’un animal sauvage et le choix des filets en argent ainsi que l’incrustati­on de nacre rappellent le manche de la dague. Les armoiries ont été gravées en taille-douce sur la nacre. « Je m’inscris dans une recherche d’exigence et de raffinemen­t, inspiré notamment par le style Art Déco et Jacques-émile Ruhlmann (1879-1933), que j’apprécie pour son exigence technique et sa recherche esthétique », souffle Foucauld.

L’an dernier, des promoteurs se sont emparés du Village Christofle. Il a dû déménager s’est éloigné de Paris et oeuvre provisoire­ment près de Blois à Chouzysur-cisse avant de recréer un repaire d’artisans et réveiller l’émulation de son atelier de SaintDenis. L’ébénisteri­e s’élabore au contact d’autres créateurs sans jamais se départir d’un liséré philosophi­que et contemplat­if. L’art ne se prouve pas, il s’éprouve.

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