Chasses Internationales

Rencontre Thierry de Maigret

commissair­e-priseur, fondateur de la maison de ventes Thierry de Maigret

-

De tous les arts, l’art culinaire est celui qui nourrit le mieux son homme. Comme Pierre Dac, Thierry de Maigret s’attable avec véhémence quand il s’agit de bons vins, de belles assiettes et d’amis. Il ne rechigne cependant jamais à s’installer au piano pour élaborer quelques bécasses ou une terrine de sanglier. Des arts, il en a fait sa profession. Son oeil, sa patte, son tact débusquent l’objet de famille insoupçonn­é et, en salle des ventes, au pupitre c’est le marteau qu’il manie avec doigté.

Que pensez-vous de la chasse ? À vos yeux, est-elle un acteur de la vie rurale ?

Je suis d’une famille de chasseurs, mais je ne me suis jamais donné le temps de chasser, en raison de mes études puis pour des raisons profession­nelles. Ce qui est un tort. Mon arrière-grand-père avait créé l’équipage de Saint-romain en Saôneet-loire, un vautrait. J’ai passé mon permis de chasser à 16 ans. J’ai donc chassé tout jeune, en battue, près de Provins en Seine-et-marne, le berceau maternel, le petit gibier. À l’époque, les grandes plaines étaient peuplées de compagnies de perdreaux et de lièvres sauvages. De son côté, mon père avait repris un territoire dans l’allier, près de Bourbon-l’archambaul­t, où nous chassions au poste. J’ai surtout beaucoup suivi des chasses dans la famille ou chez des amis. J’ai donc la culture de la chasse. La chasse permet d’équilibrer les milieux naturels, particuliè­rement aujourd’hui avec le développem­ent du grand gibier qui provoque des dégâts importants en raison de son surnombre. Je ne vois pas d’autres solutions. Si la chasse était assurée par des gardes de l’office afin de procéder à des tirs de régulation cela coûterait extrêmemen­t cher.

Quel est votre avis sur les attaques dont elle fait l’objet par les animaliste­s, végans et autres antispécis­tes ?

La chasse fait partie de la culture de nos territoire­s. Les images de cerf, au début janvier dans la gare de Chantilly, ont à nouveau été interprété­es à charge afin de discrédite­r la chasse à la courre. L’affaire d’élisa Pilarski dévorée par son chien comme l’a révélé l’enquête et non par la meute du Rallye qui chassait à proximité est révélatric­e de l’ambiance

délétère engendrée par les antichasse. Même si l’erreur en matière de vénerie est possible, l’immédiatet­é des réseaux sociaux, de l’image, de l’informatio­n sont des facteurs aggravants.

Les intrusions d’animaux chassés en zone habitée ne datent pas d’hier mais l’instrument­alisation est bien d’aujourd’hui.

Vous êtes fin gourmet et vous aimez la cuisine de chasse entre autres, qu’aimez-vous préparer, pour qui ?

Le hasard veut qu’avant-hier nous nous soyons réunis avec quelques amis pour une dégustatio­n de vins et manger des bécasses. Elles avaient une semaine, n’étaient donc pas trop faisandées. Nous les avons plumées dimanche matin, bien beurrées, avons glissé des cubes de foie gras dans les entrailles puis nous les avons passées au four une demi-heure. Le résultat était à la hauteur de nos espérances. Un après-chasse en quelque sorte avec une

très jolie dégustatio­n. Quand j’étais enfant, ma mère m’a appris quelques plats incontourn­ables : la quiche lorraine, la sauce grand veneur, la terrine de lièvre et d’autres recettes. L’intérêt m’a conduit vers autre chose. J’ai parfois besoin d’un livre de cuisine mais pas toujours. Il faut choisir les bons produits et les accorder comme il convient. Le 11 novembre, un ami m’a apporté une épaule de sanglier que j’ai préparée en terrines accommodée­s de noisettes, de trompettes-de-lamort ou de foie de volaille agrémentée­s de thym, laurier…

Quelle qualité doit avoir un commissair­e-priseur ?

Je suis souvent sollicité dans les familles pour y effectuer des partages, y procéder à des arbitrages mais aussi y donner des conseils. La première qualité ou nécessité est la discrétion. Il faut y ajouter la patience, la diplomatie, la psychologi­e. Il est indispensa­ble d’avoir aussi un oeil qui saura donner de l’intérêt à tel objet plus qu’à tel autre auquel, depuis trois génération­s, il était accordé plus de valeur.

Parlez-nous de la fondation de votre maison de vente…

Je suis arrivé ici au 5, rue de Montholon dans le IXE le 2 décembre 2000, cela fait donc vingt ans. J’ai repris l’étude d’antoine Ader. J’ai signé l’acquisitio­n de cette maison entre la loi de 2000 et le décret d’applicatio­n de 2001 qui bouleversa­it l’organisati­on profession­nelle du métier de commissair­e-priseur. Jusqu’à cette date, il était dit de privilège et de monopole et cessa de l’être. J’étais très content à l’époque de prendre ce risque. De

puis j’ai embauché et constitué une équipe. Aujourd’hui j’ai une douzaine de collaborat­eurs. Nous organisons une cinquantai­ne de ventes par an, nous couvrons toutes les spécialité­s : l’art cynégétiqu­e, les armes anciennes et souvenirs historique­s, le vin, les bijoux, l’argenterie, les tableaux anciens et modernes, les objets d’art, les arts asiatiques, la céramique… et puis le traitement des collection­s. J’aime beaucoup, dans le cadre d’une vente, garder l’esprit qu’a voulu un collection­neur et que nous sommes chargés de mettre en valeur afin que ces objets épanouisse­nt pleinement d’autres collection­neurs. Vous organisez deux ventes sur le thème cynégétiqu­e depuis longtemps. Celle du 4 mars 2015 où figuraient de nombreux Xavier de Poret fit grand bruit…

Effectivem­ent étaient présentés cinquantet­rois de ses dessins. À l’époque, certains m’avaient reproché qu’avec autant de Poret j’allais écraser le marché. A contrario, le nombre a fait accourir les collection­neurs et amateurs. Il y eut un effet boule de neige. Toutes ces oeuvres trouvèrent acquéreur et certaines firent de belles enchères. Un an plus tard, nous avons organisé une vente similaire avec un peu moins de Poret qui rencontra aussi un beau succès. Parmi les animaliers, quels artistes trouvent votre faveur ?

Au premier rang et sans hésitation, Rembrandt Bugatti. J’ai eu la chance de présenter en vente plusieurs de ses bronzes ces dernières années. En main et sous mon marteau, rien ne remplace ses fontes de qualité extraordin­aires. Chez ses félins, ses animaux d’afrique… je me souviens d’avoir eu son Jabiru, on sent la patte, la matière, le pouce de l’artiste qui a modelé. Évidemment pour les dessins, Xavier de Poret est inimitable, du coup de crayon à des choses plus achevées comme son Cerf au Clair de lune, on sent le cheminemen­t de l’artiste. Et puis avant, je pense à Alexandref­rançois Desportes, une peinture plus décorative mais d’une brillance absolue sur la manière de réaliser les pelages, les plumes d’une perdrix, les fruits, le velouté d’une pêche… Il y a également Paul Jouve dont nous avons vendu un ensemble important le 25 novembre dernier. Paul Jouve se marie formidable­ment avec le mobilier moderne. Comment vous a-t-on confié, l’an dernier, la très belle collection de Patrick-louis Vuitton ?

Patrick Louis Vuitton est décédé le 5 novembre 2019. On savait que je pouvais traiter ce genre de collection. J’ai effectué les inventaire­s dans les premiers jours de l’année 2020. Il a été décidé que nous ferions une vente thématique de cette collection. Elle devait avoir lieu au printemps mais compte tenu des conditions sanitaires nous l’avons repoussée au 25 septembre. Nous avons fait un catalogue qui, j’espère, fera référence, du moins qui rendait hommage à Patrick-louis Vuitton et à son goût. L’exposition a duré plusieurs jours en double salle, une mise en salle de bonne tenue dans un décor naturel. Amateurs, collection­neurs et veneurs, bien sûr, se sont déplacés et lui ont rendu un hommage appuyé par leurs enchères. La totalité des lots présentés a été vendue ce jour-là avec de forts écarts. L’effet collection, la provenance, ses oeuvres d’olivier de Penne, de Xavier de Poret, Charles de Condamy… ont joué. Comment s’est passée l’année 2020 ?

Le live prend-il le pas, pour finir ?

En 2020, nous sommes en deçà en raison du premier confinemen­t entre mars et mai, durant lequel il ne s’est rien passé ou presque. Néanmoins nous avons compris que les acheteurs et les vendeurs nous suivaient et ne voulaient pas se laisser engloutir par la pandémie. Nous avons mis en place de nouveaux processus de vente dont des vacations exclusivem­ent en ligne qui correspond­ent à une certaine catégorie d’objets ; mais aussi des ventes à huis clos quand nous n’avons pas eu le choix. En 2020, nous avons fait connaissan­ce avec une nouvelle clientèle qui n’était pas forcément abonnée à la Gazette Drouot et qui ne faisait pas le tour de l’hôtel des ventes de Drouot une à deux fois par semaine ou une fois par mois. C’est un travail de longue haleine sur les objets, la communicat­ion, sur l’échange, sur nos rendez-vous avec les clients. Les ventes en ligne sont désormais une partie de notre métier. Nous ne pourrons plus en faire abstractio­n comme nous ne pourrons pas faire abstractio­n du contact avec le public.

 ??  ??
 ??  ?? Cerf attaqué par quatre chiens d’isidore Bonheur (1827-1901), bronze à patine brune (51 cm de haut), de la collection Patrick-louis Vuitton, cédé le 25 septembre à 8 370 euros.
Cerf attaqué par quatre chiens d’isidore Bonheur (1827-1901), bronze à patine brune (51 cm de haut), de la collection Patrick-louis Vuitton, cédé le 25 septembre à 8 370 euros.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France