Carnet d’amateur Édouard Doigneau
La chasse à courre, la Bretagne la Camargue, l’afrique du Nord : quatre thèmes auxquels Édouard Doigneau a consacré l’essentiel de son Oeuvre, émerveillé par le caractère et l’authenticité de ces univers.
Les Doigneau sont issus d’une famille d’artisans ayant fait fortune comme maîtres de forges et fournisseurs des armées napoléoniennes. Leur savoir-faire et leur sens artistique sont reconnus. Edmond, le père d’édouard, est clerc de notaire mais c’est surtout un grand chasseur à tir et un esprit scientifique, membre de la société archéologique de Seineet-marne, auteur d’ouvrages sur l’histoire géologique et préhistorique de Nemours. À ses heures perdues, il se consacre avec talent à la peinture et à la sculpture. Édouard Doigneau, né en 1865 à Nemours, porte lui aussi des contrastes: classique et original, parisien et amoureux de la Camargue, citadin et amateur de chasse à courre, polytechnicien et pleinement artiste, bourgeois et proche des petites gens de Bretagne… Dernier de quatre enfants, Édouard connaît une enfance heureuse, malgré la guerre de 1870. Pendant les vacances, son père, qui a remarqué son coup de crayon, lui fait donner des cours de dessin à Marlotte, près de Fontainebleau, à deux pas de Thomery où réside la grande Rosa Bonheur. Brillant élève, Édouard entre à Polytechnique en 1885. Officier jusqu’en 1899, il démissionne pour se consacrer à sa vocation d’artiste. Conscient de ses dons mais aussi, avec humilité, qu’il manque de bases solides, il entre dans l’atelier du peintre Tony Robert-fleury (1837-1911), connu pour ses compositions historiques, formé par Léon Coignet et Paul Delaroche et président de la Société des artistes français. Doigneau retrouve dans cet atelier son grand ami d’enfance Ernest Marché (1864-1932), qui sera peintre et représentera souvent les bords du Loing, et Mattéo Brondy (18661944), qui le guidera plus tard lors de son séjour au Maroc.
Édouard passe ensuite dans l’atelier d’un autre élève de Coignet, Jules Lefebvre (1834-1912), professeur à l’école des Beaux-arts et prix de Rome 1861. Robert-fleury et Lefebvre sont réputés pour être très exigeants, remplissant ainsi pleinement le rôle qui est attribué aux maîtres d’ateliers chargés de former “à la dure” les jeunes artistes. Grâce à la fortune familiale, Édouard Doigneau, marié et bientôt père de deux enfants, jouit d’une vie agréable, agrémentée de voyages en Andalousie et de vacances en Bretagne où il peint les jolis costumes bigoudens des petites Finistériennes, moins connus du grand public que ceux des adultes. La Bretagne qu’il décrit est encore très préservée ; c’est celle de Penmarc’h, des “pardon” de Notre-dame-de-la-joie, des goémoniers, des enfants qui gardent les oies, des chevaux sur les plages… En 1903, il découvre la Camargue. Il y noue des liens avec Frédéric Mistral, qui apprécie beaucoup ses oeuvres, et avec l’un des grands protecteurs de cette région, le “marquis” Folco de Baroncelli (18691943). Celui-ci occupe successivement plusieurs domaines, y monte en manade, prête chevaux et gardians à Buffalo Bill pour ses spectacles, codifie la course camarguaise et s’attelle à la reconquête de la race équine camarguaise pure. C’est à son initiative qu’est dessinée la fameuse croix de Camargue.
Dans son livre Toute la Camargue, Tony Burnand dresse en 1938 un vibrant éloge à Baroncelli, qu’il a lui aussi rencontré. Les magnifiques peintures de Doigneau
ayant pour sujet le delta du Rhône doivent certainement beaucoup à Baroncelli.
Dès lors, la vie d’édouard Doigneau s’articule principalement autour de Paris, Nemours, la Camargue et la Bretagne. En toile de fond, il y a toujours la chasse à courre, auquel il se consacre en région parisienne, en Sologne, dans le Bourbonnais, sur les bords de la Loire… Il est bouton dans l’équipage de la duchesse d’uzès. En réalité, il aime par-dessus tout arrêter son cheval, poser un petit chevalet sur le pommeau de la selle et croquer une scène, un personnage, un coin de forêt ou d’étang, cette ambiance si juste et un peu humide des soirs d’automne. Un grand nombre de ses oeuvres sur ce thème montre un cavalier tenant par la bride un cheval de relais portant une couverture.
En 1904, Doigneau, toujours attiré par les belles lumières, part en Afrique du Nord, où il retrouve Brondy, vétérinaire et artiste. Arrivé en Afrique en 1915 avec l’armée, ce dernier est tombé amoureux du Maroc et s’est installé à Meknès où il est président du syndicat d’initiative. Quel meilleur guide pour Doigneau que cet artiste qui réalisa de somptueuses affiches vantant les beautés de sa ville ? En 1907, Édouard Doigneau fait construire boulevard Berthier à Paris un bel hôtel particulier avec de grandes verrières donnant sur la plaine Monceau, encore rurale. Des photos de l’époque le montrent entouré d’objets d’art parmi lesquels on reconnaît le cheval arabe, les chevaux de halage et les lévriers du sculpteur Emmanuel Frémiet.
Il entre au Salon des aquarellistes grâce à son camarade Louismaurice Boutet de Monvel (1850-1913), peintre et illustrateur. La Société des aquarellistes français est une prestigieuse association créée en 1879 par une poignée d’artistes dont Gustave Doré, Eugène Isabey, Édouard Detaille… bientôt rejoint par beaucoup d’autres dont Béraud, Bonnat, Meissonier, de Penne, Lhermitte… Très dynamique, elle organise chaque année un salon qui se tient d’abord chez Durand-ruel rue Laffitte à Paris puis est hébergée dès 1884 par son grand concurrent, le puissant marchand Georges Petit. Doigneau y exposera très souvent. Il effectue également de nombreux voyages en Europe, Turquie, Égypte… et participe à des salons en France mais aussi à Rome, Vienne,
San Francisco… Très apprécié, il compte désormais parmi ses clients le prince égyptien Mohamed Ali Tewfik, le prince géorgien Amilakvari, le maharadja de Kapurthala, le roi de Siam tandis que les musées achètent ses oeuvres.
Mobilisé en 1914, il dessine sur de petits carnets des scènes poignantes mais refuse d’en faire de grandes oeuvres car « on ne peint pas ces choses-là », déclare-t-il. Grièvement blessé et malade, ce qui lui vaudra la Légion d’honneur et plusieurs citations, il doit subir une longue convalescence. De cette guerre, il lui restera une certaine lassitude, qui ne l’empêchera cependant pas de se rendre encore à deux reprises à Alger et de retrouver fréquemment sa chère Camargue et la Bretagne. Lors de ses voyages, Doigneau réalise d’originaux reportages photographiques : prenant des clichés de scènes typiques, faisant poser, il colorise joliment ces photos dans son atelier, sans doute à partir de ses notes, et se sert de cette base documentaire pour composer ses peintures. À l’évidence, Édouard Doigneau a une grande prédilection pour les chevaux. Solides et élégants chevaux dans les scènes de chasse à courre, fières montures au Maroc, ce sont souvent en Camargue et en Bretagne d’humbles bêtes de travail, compagnons des gardians ou des paysans, parfois vieilles rosses au poil épars et à la crinière en bataille.
Ses proches décrivaient Édouard Doigneau
comme un homme fidèle et digne, exigeant et charmant. À son image, sa peinture est simple et touchante, inclassable, figurative et colorée mais parfois nostalgique. Témoin en Bretagne et en Afrique de traditions aujourd’hui disparues, il a constitué une oeuvre lumineuse d’un grand intérêt. Encore très abordable, l’oeuvre de Doigneau est néanmoins de plus en plus recherchée.
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(*) Damien Colcombet est sculpteur et expert en bronzes animaliers anciens (www.colcombet.com).