Chasses Internationales

Chasseurs d’autrefois Sparte

- par Valentine del Moral

On parle de l’importance de la chasse dans l’éducation de Sparte comme on parlerait du pâté d’alouettes de Pithiviers, autrement dit comme d’une cause entendue. Se pencher sur la vision cynégétiqu­e des Lacédémoni­ens

révèle pourtant des surprises à qui veut bien tirer les fils. Profondéme­nt grecque et en même temps traversée de particular­ismes, elle n’a cessé d’être ou prise en exemple ou jetée aux gémonies. De quoi donner envie de rencontrer le chasseur-spartiate.

Désespérém­ent laconiques

Dans un manuel d’histoire de 1906, l’athénien est opposé au Spartiate. Le premier « lit et cause, discute et philosophe, vote et trafique. Il se sent vivre parce qu’il vit pour lui et pour tous ». Le second « chasse ou guerroie. Il passe presque tout son temps hors de la ville ». Lui pour qui « développer sa force et son adresse est étude. Triompher est plaisir », ne fait pas grand cas de la parole. Le spartiate est taiseux – pas étonnant par conséquent que l’adjectif “laconique” soit issu de Laconie – et il ne faut pas compter sur lui pour nous avoir laissé des témoignage­s de chasse dignes de ce nom.

Des maîtres chasseurs

C’est par des biais détournés que la chasse spartiate est donc parvenue jusqu’à nous. Chabot dans son Histoire de la chasse, écrit que les Grecs estimaient beaucoup les chiens de Sparte, avec qui « Spartiates et Macédonien­s non seulement couraient le lièvre, le cerf, le sanglier, chassaient l’ours et la panthère, mais encore le lion, qu’on trouvait encore en Grèce à cette époque ». L’auteur s’emballe peut-être un peu en ce qui concerne le lion, celui de Némée attestant de sa présence quoiqu’elle demeure plus foncièreme­nt mythologiq­ue que purement cynégétiqu­e. Mais nous serions bien ingrats de lui en vouloir d’avoir ainsi relu pour nous les classiques.

Ingénieuse­s ficelles

L’excellence des chiens de Sparte est parvenue jusqu’à nous tout comme l’ingéniosit­é de ses ficelles. Ballu dans ses notes au Traité de chasse d’oppien indique que « les Grecs donnaient le nom de Sparte à toutes les plantes qui servaient à faire des cordes mais ce mot signifie particuliè­rement le genêt, arbrisseau dont on employait les longs jets à faire des cordes. L’usage de ces cordes à la chasse consistait à servir d’épouvantai­l aux animaux : on attachait à une corde des plumes d’oiseaux des bandelette­s de toutes couleurs et on la tendait à l’extrémité du grand filet. Si les animaux poussés par les chasseurs vers le filet voulaient s’écarter, on faisait remuer la corde, les plumes et les bandelette­s agitées les effrayaien­t et ils rentraient dans l’enceinte ».

Un Athénien à la rescousse

Si Oppien qui vécut au début du IIIE siècle après J.-C. ne fait que relater des faits anciens, Xénophon, à cheval entre le V et IVE siècle

e avant J.-C. témoigne de la chasse qui était pratiquée à son époque. Athénien de naissance,

il s’était rapproché de Sparte au point d’y finir longuement exilé. À cet élève de Socrate, historien, chef militaire et chasseur impénitent, nous devons de cerner un peu mieux le silencieux chasseur spartiate.

De l’éducation spartiate

Vers 390, Xénophon s’était installé dans le beau domaine de Scillonte donné en remercieme­nt par la Cité-état. Sur la demande de son roi, Agésilas II, il envoya ses deux fils Gryllos et Diodore recevoir la plus pure éducation spartiate. Éducation collective s’il en est, elle semble avoir été strictemen­t compartime­ntée en classe d’âge et petits groupes allant de 16 à 20 ans. Tout au long de leur formation, les jeunes gens devaient prendre part à des concours qui leur étaient réservés lors des fêtes religieuse­s. La chasse y était omniprésen­te. Certaines stèles retrouvées font mention du keloia, « un concours de cris de chasse en l’honneur d’artémis » suppose Nigel M. Kennell dans The Gymnasium of Virtue : Education & Culture in Ancient Sparta et du kaththērat­orion, « peutêtre une danse de chasse ». Avec le reste de la population, ils participai­ent également aux fêtes de plus grand ampleur.

Artémis Orthia

Grâce au musicien Éric Satie, on connaît le nom d’au moins l’une d’entre elles, les Gymnopédie­s. Notre goût contempora­in pour le sensationn­el nous fait aussi parfois connaître la fête d’artémis Orthia, réservée aux garçons qui, « [déchirés] de coups de fouet pendant toute la journée devant l’autel de la déesse soutiennen­t fréquemmen­t la douleur jusqu’à la mort » raconte Plutarque dans ses Apophtegme­s Laconiens. « Celui qui l’emporte gagne un renom extraordin­aire. Cette compétitio­n s’appelle la diamastigo­sis ; elle a lieu chaque année. » Dans son article, Artémis et le sacrifice préliminai­re au combat, Jean-pierre Vernant donne une partie de l’explicatio­n de ce rite quasi macabre : « Pour rendre raison du rôle qu’assume dans la guerre [Artémis], une Puissance divine que rien, dans son portrait, ne semble destiner à cette fonction, le plus simple est de le rattacher directemen­t à sa nature de déesse prenant en charge la formation des jeunes, les guidant dans l’apprentiss­age des pratiques de la chasse dont l’art de la guerre est le prolongeme­nt. »

La nature coûte que coûte

Enseignée, la chasse n’est ni un loisir, ni un plaisir. Elle révèle, et d’abord, la douleur. Élevés dans la proximité de la nature, les jeunes Spartiates apprennent à la connaître souvent à leurs dépens. « On encouragea­it la chasse dans les bois et les montagnes de la Laconie, comme moyen de les endurcir à la fatigue et aux privations. La nourriture fournie aux jeunes Spartiates était à dessein insuffisan­te, écrit Grote dans son Histoire de la Grèce, mais on leur permettait de compléter ce qui manquait non seulement en chassant, mais encore en dérobant tout ce qu’ils pouvaient saisir ». Gare cependant aux voleurs de pommes qui étaient pris la main dans le sac. « Ces enfants, quand ils dérobaient, craignaien­t si fort d’être découverts qu’un d’eux, à ce qu’on rapporte, ayant pris un renardeau qu’il avait caché sous sa robe, se laissa déchirer le ventre par cet animal à coups d’ongles et de dents, sans jeter un seul cri, et aima mieux mourir que d’être découvert », écrit Plutarque dans sa Vie de Lycurgue.

La chasse, ancêtre de l’ena

Cette éducation spartiate – l’expression soudain prend tout son sens – s’achevait en point d’orgue, pour les plus prometteur­s d’entre eux, par l’épreuve de la Cryptie. Chaque automne, toujours selon Plutarque, Sparte déclarait la guerre à la population hilote. Pieds nus et peu vêtus, munis d’un couteau et d’un simple casse-dalle, les jeunes Cryptes étaient alors envoyés dans la nature avec leurs connaissan­ces de la chasse et du terrain et munis de leur permis de tuer temporaire. Les Lacédémoni­ens estimaient que seuls les Spartiates passés par la Cryptie et ayant ainsi montré leur volonté et leur capacité de tuer pour l’état seraient ensuite dignes des plus hauts rangs de la société et de l’armée spartiates. De la chasse à l’homme comme ancêtre de l’ena…

Immanence cynégétiqu­e

N’achevons pas là-dessus cette courte plongée chez les Spartiates. L’abbé Barthélémy dans son Voyage du jeune Anacharsis en Grèce a ressuscité les terres de Xénophon. Son domaine était considérab­le, orné d’un temple consacré à Diane. « Au dehors de la terre sacrée, des bois distribués dans la plaine ou sur les montagnes servaient de retraite, aux chevreuils, aux cerfs et aux sangliers. […] Son fils Diodore nous menait souvent à la chasse des cailles, des perdrix. […] Il avait [aussi] plusieurs meutes de chiens : l’une pour le lièvre, une autre pour le cerf, une troisième, tirée de la Laconie pour le sanglier. » Au fil de ces pages, on retrouve le sens du partage et le plaisir de la chasse qui nous sont, avouonsle, plus familiers, bien qu’hubert ait depuis remplacé Diane et la carabine l’épieu.

 ??  ?? 2
2
 ??  ?? 1
1
 ??  ?? 1. Un parfait modèle du chasseur spartiate: Thésée, ici face à la laie de Crommyon. 2. L’éducation spartiate forge des chasseurs d’exception. 3. Le chien de Sparte était reconnu pour sa pugnacité cynégétiqu­e, vers 360 avant J.-C.
4. Phiale ornée d’une frise témoignant du gibier de la Grèce au Ve siècle avant J.-C. 4
1. Un parfait modèle du chasseur spartiate: Thésée, ici face à la laie de Crommyon. 2. L’éducation spartiate forge des chasseurs d’exception. 3. Le chien de Sparte était reconnu pour sa pugnacité cynégétiqu­e, vers 360 avant J.-C. 4. Phiale ornée d’une frise témoignant du gibier de la Grèce au Ve siècle avant J.-C. 4
 ??  ?? 3
3

Newspapers in French

Newspapers from France