Chasses Internationales

À la table de Ecaterina Paraschiv

Bienvenue à la table de cette jeune cheffe à la cuisine composite entre Orient et Occident. Ses adresses Ibrik Kitchen et Ibrik Cafe sont la promesse d’un voyage initiatiqu­e à Paris.

- par Éléonore Groux

Un mot, une tradition, Ibrik. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Imaginez-vous au fin fond de la Roumanie, ce pays si méconnu de la vieille Europe, au carrefour des grandes routes commercial­es de l’histoire. On est à Bucarest. Dans cette ville profondéme­nt marquée par son passif communiste, on ressent dans la rue, les effluves des cultures communes dont l’identité du lieu transpire. Ce terme ibrik désigne le procédé le plus ancien de cuisson du café et également le plus vieil outil connu au monde qui permet son extraction. Il s’agit d’une tradition, d’un petit bout du patrimoine. Et ce petit bout du patrimoine roumain, c’est la promesse que vous fait la cheffe Ecaterina Paraschiv à la tête de son restaurant : Ibrik Kitchen dans le IIE arrondisse­ment de notre belle capitale.

Mais avant tout cela, avant de nous mettre à table, on ne peut passer à côté du parcours de la maîtresse de ce lieu. Il est atypique, hétérogène et ô combien singulier. Alors laissez-moi vous présenter la cheffe de ce restaurant. D’origine gréco-roumaine, née dans les années 1980 à Bucarest, la jeune femme est le fruit de l’union de la peinture et de la culture. Son papa est peintre et sa maman est journalist­e. On est quelques années avant la chute du bloc de l’est et la Roumanie est encore sous la gouvernanc­e du Parti communiste. C’est le temps de la République socialiste. Ouvertemen­t opposée au régime politique en place, la famille Paraschiv craint pour sa vie. Son papa est interdit d’exposition, la censure fait son oeuvre. Le communisme exprime sa réussite sur les étals du marché du centre-ville, presque vides. On ne trouve pas grands choses à manger. Seules les choses raffinées que l’on ne trouve pas à la ville viennent de l’arrière-pays, là où le reste de la famille habite. Bref, le temps passe dans cet univers gris.

Enfin, lors des 6 ans et demi de Cathy, son artiste-père remporte le grand prix de la Fiac – la Foire internatio­nale d’art contempora­in à Paris – et gagne le droit de sortir du territoire. C’est le début d’une liberté tant espérée vers un nouveau monde. Le pays de France.

Et là: c’est le choc esthétique. Ecaterina arrive l’année suivante avec sa maman. Elle me confesse sa surprise dans les yeux de cette toute jeune enfant lors de la descente de l’avion à Roissy, « il y a de la couleur même sur les poubelles publiques ». Son premier souvenir, c’est son désir de goûter les Twix et les Donuts du distribute­ur automatiqu­e de l’aéroport. Outre cette anecdote, la cheffe raconte la naissance de sa curiosité culinaire au vu de « toute la palette gustative que propose la cuisine française. Je souhaitais compenser mon retard par rapport aux autres enfants ».

C’est donc à Paris que sa famille s’installe. La toile de fond des Balkans n’est jamais très loin, mais il faut s’intégrer et s’adapter. Apprendre le français et faire ses preuves. Ecaterina est poussée à faire de grandes études et s’attelle donc à huit ans de droit pour devenir avocate fiscaliste. Durant cette période, elle souhaite renouer avec ses racines et entreprend un voyage en Roumanie, qui l’emmène dans

l’arrière-pays, celui de ses pairs. Elle y trouve une spirituali­té puissante, caractéris­tique de ce pays de bergers à la culture animiste. Forte de sa tradition orthodoxe, la campagne des Balkans est la contractio­n de la nature et du spirituel. Un contraste singulier du païen et du religieux. Pas seulement folkloriqu­e, mais l’identité même de l’europe de l’est.

L’instant décisif. Il y a sept ans, Ecaterina donne naissance à sa fille. Et là, c’est le déclic. « Qu’est-ce que je veux léguer à mes enfants ? Quel patrimoine, je veux leur donner ? » Elle crée d’abord Ibrik Cafe il y a cinq ans dans le IXE à Paris. Il ne s’agit alors que d’un lieu de vie où l’on sert des tapas et du café. Mais le désir de cuisine est toujours là ! Alors elle se forme.

Ecaterina fait venir en France deux grands chefs pendant six mois dans ses cuisines, et apprend son métier. C’est à leurs côtés qu’elle démarre en tant que commis et apprend toute la technique de base nécessaire à la grande cuisine. De cet apprentiss­age, elle crée sa propre méthode de travail qui respecte le cycle de la nature et sa saisonnali­té

Il y a deux ans, un concours de circonstan­ces fait que la restaurant n’arrive pas à trouver son nouveau chef. Et là l’évidence naît, Ecaterina se lance dans le grand bain. Elle y construit sa propre cuisine. Elle me le confesse,

« loin de la démarche instinctiv­e de certains chefs, je produis “une cuisine intellectu­elle”. Une cuisine qui ait du sens. » Son spectre n’a pas de limite. Elle pioche dans ses racines pour servir une assiette puissante, brute et naturelle. Ses inspiratio­ns s’illustrent par Pierre Gagnière qui est

« un artiste. Il a une vision à 360 degrés du monde. Son érudition transpire dans sa cuisine. Tout devient un sujet d’inspiratio­n. » Ecaterina est une cheffe talentueus­e, qui vient se fournir au sein même de ses contrées lointaines et méconnues. Dans lesquelles on trouve des ingrédient­s que les plus grands chefs français ne connaissen­t pas. Lors de notre échange, elle me parle de mastika (sève d’arbre) ou encore d’aneth sauvage. Ce goût pour la nature, elle le revendique haut et fort. C’est son identité.

Mais attention, la nature n’est pas qu’herbacée ou légumineus­e, elle est aussi carnée.

« Aux origines, la chasse permet la survie de l’homme ». C’est cet héritage qui intéresse Ecaterina. « L’homme a eu besoin de chasser pour devenir ce qu’il est. Continuer à valoriser le gibier dans mes plats est naturel. » Une nouvelle fois, j’observe dans la discipline de la cheffe, la volonté d’être cohérente en respectant l’héritage de son histoire. Son patrimoine.

Et pour encore mieux comprendre ce monde il vous suffit de vous procurer son recueil de recettes de la cheffe paru aux éditions Marabout en 2020. Ce livre-objet est un héritage celui du monde de l’est : L’ibrik. ■

Ibrik kitchen, 9 rue de Mulhouse, Paris IIE.

◆ Ibrik cafe, 43, rue Laffitte, Paris IXE.

◆ www.ibrik.fr

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France