Des hommes et des chamois
Une belle journée d’octobre de l’année dernière. Redescendant de montagne, je tombe sur un copain chasseur de mon village. Il a sur les épaules un chamois, une femelle de quatorzième année. Nous cheminons vers la vallée tout en conversant. Nous croisons bientôt un couple avec deux adolescents.
Nous : Bonjour.
La mère: Bonjour… Euh… Nous sommes enseignants à Grenoble… Antispécistes, antichasse et nos enfants sont végans. Ça doit coûter cher de chasser, non ? Et vous tuez beaucoup d’animaux ?
Moi : Nous disposons d’une centaine de bracelets, répartis sur quatre espèces d’ongulés – chamois, mouflons, cerfs et chevreuils.
Un des ados C’est un massacre, quoi.
L’autre ado : Le plaisir de tuer des animaux !
Moi : La prédation est une nécessité et j’assume mon rôle de prédateur.
Je leur transmets quelques notions d’éthologie du chamois. Moeurs, mode de vie, alimentation, étiologie. Ou encore sex-ratio, pyramide des âges, indices de changements écologiques, taux de reproduction… Je leur explique que la protection intégrale des espèces est illusoire, qui engendre des effets de réaction : surpopulation, manque de ressources alimentaires, déstructuration de l’organisation sociale… Le père : Mais vous avez des armes ! Et vous avez un silencieux. Les animaux n’entendent même pas le coup de feu !
Moi : Oui, pour chasser, une arme c’est plutôt pratique. Quant au modérateur de son, il atténue la détonation d’environ 30 décibels. Vous connaissez la vitesse du son ? Environ 340 mètres/seconde, selon divers facteurs, comme la température. La vitesse initiale du projectile de ma munition est trois fois plus rapide. Le chamois est mort avant que la déflagration ne lui parvienne.
La mère : « Mais on peut quand même avoir l’esprit critique, non ?
Moi : Esprit critique ? Oui. Mais vous êtes-vous intéressée au biotope dans lequel vous évoluez ce matin ? Sur quelles références, quelles sagesses reconnues, avez-vous élaboré votre vision de la faune ? De la cynégétique, de la biodiversité? Puis-je aussi me permettre de vous demander, Madame, si vous avez parcouru en détail les publications de Peter Singer, David Olivier, Sue Donaldson et Will Kymlicka? Ces chantres de l’antispécisme dont vous vous revendiquez n’ont bâti leur concept philosophique que sur des arguments moraux. Théories univoques centrées sur l’être humain. Donc déconnectés de la nature. Relisez Nietzsche – Par-delà le bien et le mal, Généalogie de la morale –, tout y est déjà.
Nos interlocuteurs sont interloqués. Nous leur souhaitons une bonne fin de promenade. ■