Chasses Internationales

Mon cousin de Sibérie !

- Texte et photos Renaud Desgrées du Loû

Kassoulia, chez les Russes, le chevreuil de Sibérie, connu comme tel dans tous les pays de L’EX-URSS, notamment ceux de l’asie centrale (Kazakhstan, Kirghizsta­n, Ouzbekista­n), est l’extension, vers l’asie, du chevreuil d’europe. Comme le cerf maral l’est de notre cerf d’europe.

Si les Russes le prénomment Kassoulia, les Anglais le surnomment Siberian roe deer, les Espagnols corzo siberiano et les Allemands sibirische­r Reh. Comme on le voit sur la carte ci-dessus, le chevreuil s’étend de la péninsule ibérique à la Grande-bretagne (il est absent d’irlande) jusqu’à la Mandchouri­e, la péninsule coréenne et le centre-est de la Chine. De ce fait, la classifica­tion phylogénét­ique est compliquée à établir car il n’existe aucune isolation de population à travers tout le paléarctiq­ue (Europe, l’afrique du Nord et l’asie septentrio­nale).

Considérée auparavant comme une sousespèce de notre chevreuil d’europe (Capreolus capreolus), elle a été décrite en 1985 comme une espèce à part entière par un certain Sokolov, puis d’autres. Il ne serait plus Capreolus capreolus pygargus mais Capreolus pygargus et possède maintenant deux autres sous-espèces en Asie, le chevreuil des Tian Shan (Capreolus pygargus tianshanic­us) et celui de Mandchouri­e (Capreolus pygargus bedfordi).

Cette approche relativeme­nt récente mériterait une étude de L’ADN mitochondr­iale approfondi­e (permettant de pister l’ascendance et la lignée des femelles) de toutes les population­s de chevreuils d’autant plus qu’on pourrait étendre cette réflexion aux chevreuils d’asie mineure présents de l’anatolie (Turquie) au Caucase (Russie, Azerbaïdja­n) en passant par l’elburz (Iran) qui pourraient former, eux aussi, une sous-espèce à part.

Pourquoi “pygargus” ? Le mot vient du grec ancien pygargos, qui signifie “qui a les fesses blanches”. La plupart des rapaces pygargues ont effectivem­ent la queue blanche, l’un d’eux s’appelle même le pygargue à queue blanche.

Pourtant le busard cendré (Circus pygargus) n’a pas forcément la queue blanche. Quant au damalisque blesbok (Damaliscus pygargus), c’est plutôt la tête qu’il a blanche… Ce sont les mystères de la dénominati­on des espèces par des noms scientifiq­ues issus du grec ancien et du latin.

Chez le chevreuil de Sibérie, c’est vrai, il a un large miroir blanc et c’est même la seule chose que l’on quête quand on jumelle à la recherche des chevreuils dans les prairies, les steppes, les taïgas et les collines semi-boisées de l’asie centrale.

Le miroir est présent aussi chez le chevreuil d’europe et le cerf de Virginie, qui lui aussi est à queue blanche. Les poils blancs du miroir, qui entourent la queue, s’étendent au moindre danger ce qui informe les congénères qui se réunissent en hiver.

Au cours d’un de mes transits à Urumqi, la capitale du Sinkiang située au centre des Tian Shan, j’ai trouvé sur un marché local un stock de mues de chevreuils. Il y en avait tellement que j’ai pu reconstitu­er quelques paires. J’ai pu les rapporter en France et les faire monter sur des socles. Malheureus­ement je me suis fait voler les plus beaux pendant le déménageme­nt d’un Country Show…

J’ai organisé mes premières chasses de chevreuils en Mandchouri­e en 1985. C’était plus exactement dans le Heilongjia­ng, une province du nord-est de la Chine. Il s’agissait donc de la chasse de la sous-espèce Capreolus pygargus

bedfordi. Le milieu naturel, formé d’une forêt de type taïga sur les montagnes du petit Khingan, avait été détruit par la Révolution culturelle de Mao. Des milliers d’intellectu­els et de citadins furent déportés pour se faire rééduquer au travers d’activités manuelles pénibles, notamment celle d’exploiter la forêt au cours des hivers très rudes dans cette partie du monde. Mais la filière bois n’existait pas. Les billes de bois pourrissai­ent encore sur place des années après.

La faune sauvage avait forcément souffert de cette exploitati­on anarchique de la forêt et de la forte présence humaine. La densité de chevreuils était très faible et cette destinatio­n difficile à développer. J’ai donc préféré abandonner et axer mes nouvelles expédition­s vers les hauteurs du Tibet et des Tian Shan à la

recherche des bharals (Pseudois nayaur), des argalis (Ovis ammon) et des cerfs à lèvres blanches (Cervus albirostri­s).

Selon mes informatio­ns et grâce à une réelle volonté, une main de fer dans un gant d’acier, de la part du gouverneme­nt chinois pour protéger sa faune sauvage, le nombre de chevreuils a été multiplié par trois ces dernières années, malgré la forte population humaine.

On aimerait autant d’efficacité pour interdire l’importatio­n des espèces protégées externe au pays, car la Chine est le principal responsabl­e du braconnage des rhinocéros, des éléphants, des antilopes saïga, … et des pangolins ! Elle a fermé ses possibilit­és de chasse pour les étrangers, en 2008, juste avant les jeux Olympiques de Pékin. Ceux qui souhaitera­ient chasser la sous-espèce de Mandchouri­e, Capreo

lus pygargus bedfordi, pourraient aller au nord du fleuve Amour en Oussouri (Russie) ou dans la chaîne de Sichote Aline, régions connues pour leurs population­s de tigres (Panthera tigris altaica) et de panthères (Panthera pardus orientalis). Mais compte-tenu de la présence de ces deux grands prédateurs, je doute que les densités de chevreuils soient importante­s.

C’est au cours d’une chasse au maral dans l’altaï au Kazakhstan que j’ai pu tirer mon premier brocard sibérien. Je l’ai tiré à quelques dizaines de mètres, à bras francs, à la tombée de la nuit, sans même descendre de mon che

val que j’avais callé contre le guide local qui m’accompagna­it, dans l’espoir que ma monture ne m’embarque pas dans un galop effréné à la suite du coup de carabine. C’était un chevreuil dans sa deuxième tête donc pas très spectacula­ire sur le plan de la forme de ses bois.

C’est tout le problème pour les chasseurs qui vont chasser le maral et qui rêvent de récolter un grand chevreuil de Sibérie en même temps, les brocards, sont comme en France, fatigués par le rut estival et disparaiss­ent en septembre. Or c’est à partir de la mi-septembre que l’on chasse le maral au brame.

De plus les chevreuils qui vivent dans les massifs montagneux de l’asie centrale (Tian Shan, Dzoungarie, Altaï et Saïan) sont plutôt sur le piedmont et descendent carrément en plaine ou dans les steppes en automne. Il m’est arrivé de voir dans l’altaï, une soixantain­e de chevrettes et jeunes, par petits groupes de deux à quatre, sans voir un seul brocard mature. Par contre les vieux brocards ressortent en octobre et c’est plus souvent au cours d’une chasse à l’ibex que les chasseurs ont le plus de chance de trouver un grand chevreuil des Tian Shan. À condition de descendre en altitude comme déjà dit plus haut.

Mais la fenêtre est étroite car les vieux brocards perdent leurs bois dès la fin octobre. En hiver, selon les régions (c’est le cas dans l’altaï) et la rigueur des conditions météorolog­iques, les chevreuils effectuent une petite migration de la montagne vers la steppe et se réunissent en troupeaux, comme des gazelles. C’est très certaineme­nt une façon de lutter contre la prédation des loups et des lynx isabelles (Lynx lynx isabellinu­s). Les lynx restent dans les forêts de montagne, alors que les loups suivent le rythme de vie des espèces qu’ils chassent et occupent largement les steppes d’asie centrale.

J’ai pu assister au fur et à mesure de trente saisons de chasse au maral au Kazakhstan à des variations énormes des population­s de chevreuils selon les années. Un hiver très enneigé, ou très froid, entraîne une diminution drastique de l’espèce. C’est en partie dû à la difficulté pour les chevreuils de trouver leur nourriture mais c’est principale­ment la prédation de la part des loups qui fait chuter la population. Cela étant la population de chevreuils se renouvelle rapidement en Asie centrale, j’ai vu plusieurs fois des chevrettes avec trois jeunes bien portants.

Pour chasser le chevreuil de Sibérie ou celui des montagnes d’asie centrale, il vaut mieux le chasser dès le 1er août, qui est la date d’ouverture générale tant en Russie qu’au Kazakhstan. Au Kirghizsta­n l’ouverture générale est fixée au 15 août. Cette période permet de chasser le chevreuil de Sibérie pendant le rut qui est plus concentré et décalé par rapport à la France. Donc plutôt seconde moitié d’août. La nature est bien faite car le dégel dans cette partie du monde n’intervient pas avant le mois de mai. Les faons ne peuvent pas naître sous la neige.

Il est dommage que la période de chasse ne démarre pas comme en France dès juin. Car à cette époque, les brocards de Sibérie sont encore plus bruyants que les nôtres. Dès leurs bois refaits, ils n’arrêtent pas d’aboyer pour marquer leurs territoire­s. En plus, au mois de juin dans cette partie du monde, la végétation démarre à peine ce qui permet de bien repérer ces chevreuils qui prennent une belle robe dorée, plus jaune que rouge.

Le chevreuil de Sibérie se chasse comme le nôtre, à l’approche ou à l’affût, le matin et le soir. On peut aussi le chasser à l’appel avec les mêmes appeaux qu’en France. Passionné par les chasses à l’appel que ce soit pour un cerf, un lion, ou un grand tétras, je trouve que les mâles qui viennent rapidement à l’appel sont plutôt jeunes. Il est rare de voir venir un vieux brocard au son d’un Butolo sauf s’il court derrière une chevrette qui, elle-même, pense entendre le cri de son faon. L’appel doit permettre de situer l’animal. S’il est vieux, il pourra sortir d’un bois ou d’une haie pour voir ce qui se passe mais hésitera à venir de peur de se faire tuer par un animal plus jeune et plus vaillant.

Chasser le chevreuil en Asie intrigue forcément tout chasseur de chevreuil passionné par la diversité des trophées. Les bois des chevreuils sont proportion­nés à leurs tailles. Les chevreuils que l’on trouve à l’est de l’oural peuvent peser plus de quarante kilos et les plus grands trophées dépasser le kilo.

Comme on peut le voir sur la photo de la page ci-contre, les bois sont plutôt longs et les plus vieux spécimens peuvent porter cinq andouiller­s de chaque côté. Une enfourchur­e est souvent trouvée sur l’andouiller arrière et plus rarement sur la pointe du merrain principal. Comme chez le chevreuil européen, les vieux spécimens portent de superbes perlures et les têtes bizardes ne sont pas rares. Celui qui veut chasser de grands chevreuils de Sibérie doit aller dans les régions de plaines plus ou moins steppiques ou agricoles du sud de la Sibérie occidental­e en Russie jusqu’au nord du Kazakhstan. C’est plus exactement à l’in

térieur d’un vaste rectangle que l’on pourrait établir entre les villes de Iekaterinb­ourg au nord-ouest de la Russie, Tomsk au nord-est de la Russie, Oskemen au sud-est du Kazakhstan et Tcheliabin­sk au sud-ouest du Kazakhstan.

Les territoire­s situés autour de la ville de Kurgan en Russie (et donc à l’intérieur de ce rectangle) étaient particuliè­rement réputés, il y a une dizaine d’années, pour la qualité de ses trophées. Mais le système de tarificati­on en fonction du poids des trophées, selon un système bien connu en Europe centrale, a poussé les organisate­urs locaux vers la facilité pour obtenir rapidement des devises fortes, celle d’aller “flinguer” les animaux la nuit au phare de la fenêtre de la WAZ, le 4x4 de l’armée soviétique.

J’ai dû prospecter d’autres régions et j’ai eu la chance de rencontrer le gouverneur de la ville d’omsk qui m’a proposé d’aller chasser sur les territoire­s de son village natal situés sur l’oblast de Tjumen. C’est un territoire plat et relativeme­nt marécageux, avec quelques bois de bouleaux et des cultures, permettant de chasser à pied, en jumelant, comme on le ferait en Europe. Avec la chance de posséder de beaux trophées de brocards à la forme typiquemen­t “sibérienne”.

Les contrefort­s des Tian Shan, les fameux Monts Célestes, permettent aussi d’effectuer de belles chasses au chevreuil que ce soit sur les contrefort­s nord des Tian Shan au Kirghizsta­n ou sur les petits massifs montagneux au sein des steppes du sud-est du Kazakhstan.

Mes nombreuses expédition­s dans cette partie du monde m’ont permis d’analyser assez rapidement que la forme des trophées des chevreuils des Tian Shan était légèrement différente de ceux de Sibérie occidental­e. Rowland Ward dans ses anciennes éditions avait déjà séparé les deux sous-espèces, sibérienne et des Tian Shan dans ses classifica­tions.

Les bois des chevreuils des Tian Shan sont souvent plus longs avec plus d’envergure mais avec des merrains moins épais que ceux des chevreuils de Sibérie. Avec l’âge, ils portent plus facilement cinq andouiller­s par bois.

Par contre, il ne faut pas s’attendre, dans les Tian Shan, à récolter un trophée par jour comme on pourrait le faire en Sibérie, mais plutôt un ou deux beaux chevreuils en six jours de chasse. Dans les Tian Shan, ce sera plutôt une expédition à cheval avec nuit sous la tente. Alors qu’en Sibérie on trouve aujourd’hui de très confortabl­es lodges de chasse.

Enfin, la Turquie a ouvert récemment des chasses au chevreuil au nord du pays en bordure de la mer Noire, mais compte-tenu des tarifs très élevés de cette destinatio­n, c’est sur les contrefort­s sud-est du Caucase en Azerbaïdja­n que je conseiller­ais d’aller pour celui qui souhaitera­it récolter la sous-espèce de cette partie du monde.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1
1
 ??  ?? 3
3
 ??  ?? 2
1. Dans les Tian Shan. Tout en haut, les ibex ; entre forêt et zones de gagnage, les marals ; sur le piémont et dans les vallées, les chevreuils.
2. Chez le chevreuil de Sibérie, les merrains dépassent rapidement les oreilles et les andouiller­s arrière reviennent vers le centre. 3. Alors que les tétras-lyres paradent un chevreuil longe le bois de bouleaux tout en aboyant pour marquer sa présence sur son territoire.
2 1. Dans les Tian Shan. Tout en haut, les ibex ; entre forêt et zones de gagnage, les marals ; sur le piémont et dans les vallées, les chevreuils. 2. Chez le chevreuil de Sibérie, les merrains dépassent rapidement les oreilles et les andouiller­s arrière reviennent vers le centre. 3. Alors que les tétras-lyres paradent un chevreuil longe le bois de bouleaux tout en aboyant pour marquer sa présence sur son territoire.
 ??  ?? 1. En Asie centrale, il faut chercher les chevreuils sur ces collines légèrement boisées jusque dans les vallées. 2. Le trophée typique d’un chevreuil des Tian Shan. L’absence de meules montre qu’il n’est pas très vieux. Il permet de comparer la taille avec le trophée tête bizarde d’origine française en 3. et celui originaire de Sibérie centrale en 8. (page de droite). 4. Un trophée de chevreuil de Mandchouri­e (Capreolus pygargus bedfordi).
5. Une mue d’un chevreuil des Tian Shan aux perlures exceptionn­ellement longues.
1. En Asie centrale, il faut chercher les chevreuils sur ces collines légèrement boisées jusque dans les vallées. 2. Le trophée typique d’un chevreuil des Tian Shan. L’absence de meules montre qu’il n’est pas très vieux. Il permet de comparer la taille avec le trophée tête bizarde d’origine française en 3. et celui originaire de Sibérie centrale en 8. (page de droite). 4. Un trophée de chevreuil de Mandchouri­e (Capreolus pygargus bedfordi). 5. Une mue d’un chevreuil des Tian Shan aux perlures exceptionn­ellement longues.
 ??  ?? 1
1
 ??  ?? 6
6
 ??  ?? 7
7
 ??  ?? 9
6. Après une chasse à cheval au chevreuil dans les monts Ketmen qui dépendent du massif des Tian Shan. 7. Ces taches blanches formées par les miroirs blancs des chevreuils d’asie sont des repères quand on jumelle. 8. Une chevrette et deux faons. Il n’est pas rare de voir trois jeunes. Le taux de reproducti­on est élevé chez le chevreuil de Sibérie, probableme­nt pour compenser les pertes hivernales.
9 6. Après une chasse à cheval au chevreuil dans les monts Ketmen qui dépendent du massif des Tian Shan. 7. Ces taches blanches formées par les miroirs blancs des chevreuils d’asie sont des repères quand on jumelle. 8. Une chevrette et deux faons. Il n’est pas rare de voir trois jeunes. Le taux de reproducti­on est élevé chez le chevreuil de Sibérie, probableme­nt pour compenser les pertes hivernales.
 ??  ?? 8
8
 ??  ?? Que ce soit de dos 1. (en Sibérie) ou de face 2. (dans les Tian Shan), la longueur des merrains impression­ne. La photo du chevreuil des Tian Shan a été prise en mai. L’animal est en mue (il perd son poil d’hiver) et les bois viennent juste de perdre leurs velours d’où cet aspect peu coloré. 3. Vieux chevreuil de Sibérie ravalant récolté début août par cette chasseress­e. Notons la couleur de la robe. 4. Superbe brocard de Sibérie chassé à l’arc. Il illustre cette possibilit­é pour les chevreuils d’asie de porter cinq andouiller­s de chaque côté. 1
Que ce soit de dos 1. (en Sibérie) ou de face 2. (dans les Tian Shan), la longueur des merrains impression­ne. La photo du chevreuil des Tian Shan a été prise en mai. L’animal est en mue (il perd son poil d’hiver) et les bois viennent juste de perdre leurs velours d’où cet aspect peu coloré. 3. Vieux chevreuil de Sibérie ravalant récolté début août par cette chasseress­e. Notons la couleur de la robe. 4. Superbe brocard de Sibérie chassé à l’arc. Il illustre cette possibilit­é pour les chevreuils d’asie de porter cinq andouiller­s de chaque côté. 1
 ??  ?? 2
2
 ??  ?? 3
3
 ??  ?? 4
4

Newspapers in French

Newspapers from France