Les Voix Dominique Lelys, Armand Mamyrahaga, Manue Piachaud, Xavier Vannier, Thomas Drach et Aurélien Pompéi
Le WWF a classé l’habitat de l’écorégion de la savane sahélo-soudanienne dans la catégorie « en danger de disparition », dans la mesure où l’intégrité des écosystèmes interconnectés et interdépendants de la région est considérablement compromise, ce qui entraîne une dégradation continuelle et permanente de l’environnement. Après cette décision, les guides, gestionnaires et amodiataires de toutes les ZICS (Zones d’intérêt cynégétique) du Nord-cameroun en activité, se sont réunis afin d’établir une revue des principaux conflits d’usages observés sur le terrain (braconnage, orpaillage, transhumance de troupeaux domestiques, agriculture & pêche illégales, etc.), et de caractériser leurs conséquences sur les mécanismes écosystémiques.
Notre implication unique dans les aires protégées et notre expérience de plus de cinquante ans sur le terrain nous placent assurément comme experts incontournables de la conservation des espèces présentes au sein des territoires que nous préservons depuis des décennies. C’est cette crédibilité qui nous permet d’apporter aujourd’hui des réponses structurées, qui ciblent directement les conflits observés sur le terrain et les déséquilibres qu’ils provoquent. En effet, nous sommes globalement touchés par trois sources de désordre :
1. Du fait de la croissance démographique et des déplacements de populations en provenance de l’extrême Nord (à cause des crises économiques, environnementales, géopolitiques…), nous assistons à un afflux de personnes aux abords des aires protégées. En théorie, ce dernier pourrait être régulé, puisqu’il existe des lois et réglementations qui devraient être mobilisées afin de gérer les flux migratoires mais, dans la pratique, ils sont contrôlés de manière informelle par des mécanismes d’accords opaques avec les autorités coutumières, avec des circuits d’argent euxmêmes plus ou moins obscurs.
2. De plus, deux filières économiques dynamiques (filières cotonnière et minière) bousculent les paradigmes avec des marchés qui présentent des enjeux colossaux. Les populations s’engagent dans ces filières qui leur assurent assez rapidement un ancrage social.
3. Enfin, le pastoralisme traverse une période de crise qui se manifeste par un pastoralisme extensif nomade ou semi-nomade qui a de plus en plus de mal à trouver des couloirs pour la transhumance, ce qui provoque des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Cela renforce une tendance à l’envahissement des aires protégées. Les bergers, représentants des propriétaires de bétail, se rendent là où il y a de l’espace même si c’est interdit. Ils transgressent ainsi les frontières de nos ZICS et des parcs nationaux.
Les réponses permissives et laxistes ne sont plus tolérables. Nous avons pour mission d’intervenir et de mettre en place des stratégies musclées.
Les crises actuelles qu’elles soient durables ou temporaires sont vives et nous occupent quotidiennement à l’intérieur de nos frontières respectives, sans nous permettre d’être conscients qu’ont lieu à des hauts niveaux de décisions politiques des débats sur l’avenir de nos ZICS, sur tout le septentrion. Ces débats sont plus ou moins régulés, plus ou moins organisés, plus ou moins officiels. Nos ZICS suscitent beaucoup d’appétit pour d’autres exploitants (cultivateurs, éleveurs) dont nombreux possèdent des pouvoirs d’influence significatifs.
Avec une pression humaine croissante en périphérie des grandes aires protégées et l’indifférence des autorités locales au mieux ou leur complaisance au pire, il ne s’agit plus uniquement de protéger nos intérêts et bouts de terre respectifs mais de préserver l’ensemble de la profession, en faisant valoir nos actions conjointes de conservation. Aussi, les réponses permissives et laxistes ne sont plus tolérables. Nous avons pour mission d’intervenir et de mettre en place des stratégies musclées qui vont favoriser, d’une part, les résiliences naturelle et artificielle de l’environnement et des espèces animales qui s’y trouvent ; et, d’autre part, la gestion des conflits d’usage dans et hors des aires protégées. En effet, les acteurs des ZICS sont plus à même d’agir au sein des aires protégées cynégétiques. En sus, il nous incombe désormais de nous intéresser à la gestion des conflits en dehors de nos aires protégées. Cette double initiative est essentielle afin d’assurer le bon équilibre et la bonne gouvernance du paysage unifié des aires protégées de demain.
Les conflits d’usage soulèvent la question des besoins du terrain qui peuvent être classés en deux catégories : les besoins de l’environnement et ceux des populations locales ou immigrées. Ces besoins sont souvent incompatibles puisque la source de ces conflits est bien souvent économique. L’enjeu est donc de recréer un paysage économique sain, d’opportunités et d’alternatives afin de détourner les populations locales des activités illégales et nocives pour l’environnement au profit d’activités saines, génératrices de valeurs. Sans cela, nous ne ferons que repousser les échéances de dégradation des aires protégées et des espèces animales qui en sont la raison d’être. La “tolérance zéro” à l’intérieur des aires protégées, nécessaire à la résilience multiéchelle des espaces naturels, doit servir d’outil au service de ces nouvelles opportunités économiques dans la mesure où la surveillance et la répression accrues dans les aires protégées favoriseront l’étude d’alternatives pour les populations dont les activités sont néfastes pour l’environnement.
Nous apporterons bientôt à nos réponses stratégiques une traduction opérationnelle que nous formulerons à l’unisson.
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