Observations Marianne Courouble
Il ne resterait en Afrique plus que 25 000 lions à l’état sauvage dont plus de la moitié dans des zones non protégées partagées avec les populations locales et le bétail. Et, contrairement aux idées reçues, la principale cause de ce déclin n’est pas la chasse au trophée, qui attise tant les passions, mais les conflits entre les hommes et les grands carnivores, résultant de la perte et de la fragmentation de l’habitat –, l’espèce emblématique a perdu 94 % de son aire de répartition initiale. Amy Dickmann, une biologiste d’origine anglaise et experte passionnée des félins qui a initié et dirige le Ruha Carnivore Project* en Tanzanie depuis 2009, est bien placée pour le savoir et le confirmer.
Bien qu’aussi grande que la Suisse, la région de Ruha (51800 kilomètres carrés) est une terre sauvage très riche en faune. Elle abrite en son centre le Parc national de Ruha (20000 kilomètres carrés) le plus grand de l’est de l’afrique. Ruha représente à elle seule près de la moitié de l’aire de répartition du grand carnivore. Le parc n’étant pas clôturé, à une certaine époque de l’année, en particulier pendant la saison des pluies, les proies traditionnelles des lions se dispersent. Les lions poursuivant leurs proies, les conflits s’intensifient avec les villages d’éleveurs avoisinants. Pour les tribus locales, Masaï et Baragaig, parmi les communautés les plus pauvres au monde, le bétail c’est sacré, c’est toute leur vie, surtout chez les Baragaig, ce peuple de pasteurs seminomades. Chaque animal a un nom, est marqué et son pedigree mémorisé. Les chèvres sont leur cash, les vaches leur compte en banque. Le bétail est utilisé comme dote, investissement ou signe de largesse envers autrui. Alors quand un lion tue un de leurs animaux (et parfois un des leurs), la perte culturelle et économique pour ces populations, dont la majorité vit avec moins d’un euro par jour, est énorme. Inévitablement la réaction de la communauté est immédiate. Le grand carnivore est un ennemi de la communauté et doit être éliminé par empoisonnement, piégeage ou directement à la lance. Comme l’explique Amy Dickmann, « les Baragaig peuvent être très efficaces en la matière. En 2011, des douzaines de lions ont été tuées dans seulement quelques villages à proximité du parc national », à la suite de prédations sur le bétail. La chasse au lion est aussi une tradition culturelle. Les jeunes guerriers montrent ainsi leur bravoure et sont récompensés par du bétail, parfois jusqu’à vingt vaches pour un trophée, une fortune !
Comme ces communautés d’éleveurs de Tanzanie, cohabiter en Afrique rurale avec des animaux aussi dangereux que des lions est plus un sérieux handicap qu’un atout.
Amy Dickmann, comme de nombreux autres spécialistes des grands carnivores, travaille sans relâche avec les communautés locales pour réduire les conflits et valoriser localement la protection de l’animal. La tâche est ardue. Alors quand les réseaux sociaux en Occident caricaturent les menaces à la protection de la faune en Afrique en véhiculant des images simplistes et outrancières de chasseurs obèses et grimaçants devant le cadavre d’un lion, ces scientifiques qui travaillent avec les communautés sont révoltés. Sans surprise, ces mêmes réseaux sociaux ne relatent jamais l’explosion des conflits hommesfaune et la complexité de la conservation de la faune sur le terrain. Il faut dire que le spectacle d’une lionne, anonyme parmi tant d’autres, depuis des heures à l’agonie, la patte prise dans un piège, c’est beaucoup moins sexy que l’histoire du lion Cecil qui a fait quatre fois le tour de monde. Il est beaucoup plus facile de faire croire qu’il suffirait d’interdire la chasse au trophée pour supprimer la menace à la survie d’espèces emblématiques comme le lion ou l’éléphant.
Avec l’augmentation sans précédent de la population en Afrique, qui, selon les projections, devrait passer de 1,2 milliard à 2 milliards d’ici à la fin du siècle et le fait que le continent africain est désormais le centre d’investissements agricoles à grande échelle pour la production de nourriture ou de biocarburants, les conflits vont s’intensifier. Inévitablement la demande exponentielle et légitime de terre et de ressources naturelles va augmenter au même rythme que l’espace et les ressources vitales des lions vont se réduire et se fragmenter. À terme, il est à craindre que le lion ne survive pas à cette équation. Que l’on n’aime pas le principe de la chasse au trophée peut se comprendre, mais l’interdire au nom de la bonne conscience occidentale pourrait s’avérer bien pire pour la survie des espèces que ce que certaines organisations militantes laissent croire. La chasse au trophée est scientifiquement reconnue comme pouvant contribuer positivement à la conservation de la faune car elle produit des incitations économiques afin de protéger de larges étendues d’espaces naturels dédiées à la faune sauvage, en l’absence de sources alternatives de revenus. Elle atténue les effets des conflits en engendrant des revenus pour les communautés locales et protège l’habitat naturel des lions de la conversion des terres. À l’échelle du continent africain, la superficie du territoire consacrée à la chasse couvrirait 1,4 million de kilomètres carrés, plus que la surface totale d’aires protégées (Lindsey et al, 2007). Mais, sur le terrain, Amy Dickmann constate de plus en plus les effets des campagnes contre la chasse au trophée si peu renseignées. Alors que la pression médiatique internationale pour bannir la chasse au trophée augmente, les concessions de chasse alentour se vident et sont braconnées et la conversion de l’habitat s’accentue inexorablement.
Tout le monde y perd dans cette histoire !
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