Chasses Internationales

LADY CHASSERESS­E

Marie de Hongrie

- par Valentine del Moral

Avec Éléonore et Isabeau, Marie partagea un frère on ne peut plus illustre puisqu’il s’agit de Charles Quint. Mais au contraire de ses soeurs aînées, elle ne se laissa pas balloter au gré des diktats des alliances. D’une autre trempe, de celle qui fait chasser à la diable, l’évangile en poche, cette mâle chasseress­e et maîtresse-femme force l’admiration et n’en finit pas d’étonner.

Pedigree pour commencer

Il faut évoquer le pedigree de Marie pour avoir une chance d’arriver à la cerner, ne seraitce que sur le plan cynégétiqu­e. Née en Belgique le 15 septembre 1505, morte en Espagne le 18 octobre 1558, Marie d’autriche est le cinquième enfant de Jeanne de Castille et de Philippe le Beau, lui-même fils de l’empereur Maximilien d’autriche. Elle a les cheveux châtains, les traits fins, une mâchoire saillante et des yeux légèrement globuleux qui ne trompent pas : c’est une Habsbourg. Élevée avec ses frères et soeurs par sa tante Marguerite d’autriche, elle reçoit une impeccable éducation, flamande et bourguigno­nne à la fois. Tout ce beau monde lit, parle plusieurs langues, aime les arts et chasse avec passion.

Atomes crochus

On a beaucoup écrit que ce goût de la chasse lui vint de son grand-père Maximilien et nul ne peut trouver quoi que ce soit à y redire. Cela étant dit, on ne peut s’empêcher de penser qu’une filiation plus forte encore existe entre Marguerite et Marie. La tante et la nièce avaient de sacrés atomes crochus. En 1501, Marguerite avait épousé le beau duc de Savoie avec qui elle partagea les joies de la chasse et de qui elle apprit, en quelque sorte, les subtilités du pouvoir. En effet, Philibert, que les affaires ennuyaient ferme, laissa les rênes du duché à sa jeune épouse. Or, cette double casquette cynégétiqu­e et politique, Marie la porta à son tour et bellement encore.

« Souviens-toi de Folembray! »

Passons au triple galop sur son mariage avec Louis Jagellon, roi de Hongrie – bref mais heureux au point d’adopter une fois pour toutes la robe noire et les sombres parements –, sur sa résolution farouche de ne pas se remarier

– « Dieu m’a pris celui en qui j’avais mis tout mon amour et je Le prie de m’accorder la grâce qu’il n’y en ait pas d’autre » –, sur son accession à la régence des Pays-bas espagnols, sa fidélité à Charles Quint, à Érasme et, en sourdine, à Luther, sur sa dextérité à lever des fonds, à étouffer les révoltes, sur son talent pour la guerre qui la mène en Picardie et jusqu’au pied du château de Folembray, dans le village où, plusieurs siècles plus tard, s’élèvera la propriété de Côme de Lambrefaul­t, le héros de la Grande Meute de Vialar (lire aussi page 192). Elle y fait incendier le château avec une rage dont se souviendra le roi de France Henri II qui, arrivé à Mariemont, saccagera à son tour et conscienci­eusement le domaine en s’écriant : « Souviens-toi de Folembray, reine insensée ! »

Mariemont

Henri II n’avait pas choisi sa cible au petit bonheur la chance. S’il s’acharna à la détruire, ce fut en connaissan­ce de cause, sachant qu’il appuyait là où cela ferait le plus mal. Mariemont, en effet, était le pavillon de chasse que Marie fit ériger au beau milieu d’une campagne miraculeus­e pour qui aime chasser. Près de soixante ans plus tard, en 1615, Philippe de Hurges, magistrat de Tournai et l’avocat Denis Cresson, en partance pour Cologne, empruntent la vallée de Mariemont, encore « tout environnée de longues et hautes collines, dont la cime paraît couverte et revêtue de grandes forêts qui les semblent couronner pour ce qu’elles font tout le circuit en rond, comme font les collines qui les soutiennen­t ; […] La forêt est fort grande et abonde en toute sorte de gibier, notamment en sangliers, cerfs et chevreuils ; l’on y voit partout des sentes et des chemins tirés en ligne droite, pour y courir les bêtes à cheval et en carrosse […]. En la vallée abondent les perdrix, les cailles et les pies, comme font encore les lièvres, les blaireaux et les lapins, avec les renards ; en la forêt, les faisans, les poules et les tourterell­es. […] À la sortie de la forêt, on voit de longues bruyères toutes composées des moindres bêtes de chasse […] ; il y a grand plaisir quand on leur voit prendre le vol ou la course parmi une si vaste étendue de campagnes toutes plates et unies au long et au large, tant que la vue humaine peut porter loin […] ».

Au galop quoiqu’en corset

L’industrial­isation de la région aux XIXE et XXE siècles eut peu à peu raison de cet éden. Aujourd’hui, si seule la figure de Marie de Hongrie émerge des cendres du temps qui

consume Mariemont, c’est sans doute parce qu’elle en fut le démiurge inspiré. Il faut dire que ce que Marie désirait, Marie l’obtenait. Sérieuse dans le devoir comme dans le plaisir, elle mit la même ardeur à favoriser ses amitiés électives pour Diane et les muses, qu’à tenir les affaires publiques et religieuse­s des Pays-bas. Cela ne manqua pas de créer des situations inédites et paradoxale­s. Ainsi, Merle d’aubigné, dans son Histoire de la réforme, parle d’elle comme d’une « femme forte, d’un esprit héroïque, grande chasseress­e, mais [qui] chassait en portant l’évangile dans sa poche ». Dans son Histoire des environs de Bruxelles, Alphonse Wauters ajoute qu’elle « exigeait de ses dames le même goût pour les exercices violents, et si l’une d’elles se faisait attendre lorsqu’on montait à cheval, elle passait sans la regarder ». Quand sir Roger Ascham, gentilhomm­e d’angleterre, écrit dans son Journal l’avoir rencontrée, « dirigeant son cheval au galop vers la ville de Tongres et en avant de sa suite quoiqu’elle fût en selle depuis dix jours », on finit de compatir au sort de ses suivantes.

La mâle chasseress­e

Ajoutez à cela qu’elle préférait entre tout monter à califourch­on et il ne me sera plus nécessaire de vous expliquer pourquoi elle fut surnommée “la mâle chasseress­e”. Celle que l’on aperçoit dans les Tapisserie­s des Chasses de Maximilien, bien campée sur ses étriers, ne craignit pas, en 1544, à la mort du Grand veneur, messire de Molembais, de prendre sa place et, par conséquent, de se retrouver à la tête des meutes impériales et des affaires cynégétiqu­es. Même pas peur la petite soeur du grand empereur! Sa témérité semble sans bornes: le Libro de la Montería del rey Don

Alonzo daté de 1522 nous apprend que Marie, ne se contentant pas de suivre la chasse, lançait l’épieu avec adresse et vigueur au sanglier ou au cerf et présidait elle-même à la curée après avoir saigné la bête dans les règles de l’art.

Et un pâté de venaison, un!

Sa réputation n’était dès lors plus à faire, ni sur ses terres – où, entre deux chevauchée­s, elle trouva le temps de faire instaurer la chasse aux toiles – ni dans les royaumes alentour. Est-ce donc pour amadouer sa future tante que Marie Tudor, quand elle eut à s’occuper de son repas de noces, lui écrivit qu’elle désirait offrir à sa table le produit de sa chasse? Il faut préciser que la “vraie” première reine d’angleterre s’apprêtait à épouser Philippe, le fils de Charles Quint et qu’à l’époque, la chasse, sous toutes ses formes et même sous l’aspect d’un pâté de venaison, tenait lieu de véhicule diplomatiq­ue. La mâle chasseress­e prit d’ailleurs la chose au sérieux et, sans rire, envoya à sa future nièce, un sanglier de six ans accompagné d’un de ses lieutenant­s de vénerie.

Diplomatie et cynégétiqu­e

Certes, entre souverains on s’offrait plutôt des oiseaux de proie et des fauves que des pâtés en croûte, et plutôt des chiens de race que des sangliers enrubannés. Quoi qu’il en soit, la chasse au sens large permit souvent de faire ami-ami. Étienne Piret, dans son Marie de Hongrie, écrit que, dans la ferme royale de Turnhout, elle ne faisait élever que des animaux de couleur blanche dont certains firent l’objet de cadeaux princiers. Mais le plus bel emploi que Marie fit de la diplomatie cynégétiqu­e se concentre sur une semaine de la fin de l’été 1549. Ces quelques jours furent bientôt connus comme “Les triomphes de Binche”. Ils furent organisés pour clore le voyage que Charles Quint avait entrepris dans les Flandres pour présenter son fils et successeur. Du 22 au 31 août, joutes médiévales et ballets renaissant, jeux de rôle tout droit sortis du Seigneur des Anneaux et des Contes de Perrault, recherche d’une épée fichée dans un rocher digne du meilleur cycle arthurien, pluie de dragées parfumées succédant à un coup de tonnerre olympien furent entrecoupé­s de chasses.

Chasseress­e, chaste et sage

Ces chasses permirent aux seigneurs et gentes dames de Flandres et d’espagne de faire mieux connaissan­ce en communiant à leur passion commune. Le ton de ces festivités avait été donné dès l’entrée solennelle du prince à Bruxelles. « D’une fontaine en face du Marché aux Poissons, lit-on en 1995 dans les Cahiers binchois, jaillissai­ent trois sortes de vin. Au sommet de la fontaine, trônaient trois statues en pierre blanche, celles de la reine Marie dans son costume de veuve royale, un faucon sur le poing et un beau lévrier à côté d’elle – bref en chasseress­e, courtoise pour une fois –, celle de Diane avec arc et carquois et celle de Pallas cuirassée et casquée avec son égide et sa lance. Trois statues pour une même femme, chasseress­e, chaste et sage.

Les deux coeurs de Calamity Jane

Sage, elle le fut indéniable­ment. Le 25 octobre 1555, lors de la cérémonie d’abdication de Charles Quint, Marie annonça sa décision de renoncer à sa charge de gouverneur. Dieu et sa santé qui vacillait seraient dorénavant ses nouveaux maîtres. Et puis, entre vous et moi,

1. La Chasse en l’honneur de Charles V au château de Torgau, par Lucas Cranach l’ancien (1472-1553), est l’un des chefs-d’oeuvre qui suivent Marie en Espagne. 2. À califourch­on, le corps tendu, l’esprit en alerte, la mâle chasseress­e se révèle telle qu’elle est, sur la tapisserie de juillet des Chasses de Maximilien.

elle ne s’entendait que moyennemen­t avec son neveu nouvelleme­nt régnant. Son frère rejoignit Yuste, sa retraite perdue au fin fond de l’estrémadur­e, Marie Valladolid puis Simancas. Entourée de sa bibliothèq­ue de plus de 400 ouvrages, des deux tableaux des Chasses à Torgau de Lucas Cranach et de nombreuses oeuvres d’art, de plus en plus retirée, elle mourut de chagrin et d’une crise cardiaque moins d’un mois après son frère, le 18 octobre 1558. Sous ses airs de Calamity Jane, la mâle chasseress­e avait un coeur. Elle en avait même deux: un de chair et un en or qu’elle portait autour du cou depuis la mort de son mari. Elle fit promettre qu’il soit fondu et distribué aux pauvres. Saint Hubert aurait apprécié.

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Marie d’autriche, 15 ans, au moment de son mariage en 1520, avec Louis Jagellon qui fait d’elle Marie de Hongrie. 2. Le domaine de Mariemont, édifié près de Charleroi en 1556, fut immortalis­é par Jan Brueghel l’ancien (1568-1625) en 1612. 3. Délaissé après le départ de Marie en Espagne, Mariemont sera redécouver­t par les archiducs Albert et Isabelle d’autriche au début du XVIIE siècle. Également férus de chasse, ils lui redonneron­t un nouvel essor. 4. Cornelis Anthonisz (circa 1505-1553) représente ici Marie de noir vêtue comme à son habitude, mais en amazone, une fois n’est pas coutume.
1. 3 Marie d’autriche, 15 ans, au moment de son mariage en 1520, avec Louis Jagellon qui fait d’elle Marie de Hongrie. 2. Le domaine de Mariemont, édifié près de Charleroi en 1556, fut immortalis­é par Jan Brueghel l’ancien (1568-1625) en 1612. 3. Délaissé après le départ de Marie en Espagne, Mariemont sera redécouver­t par les archiducs Albert et Isabelle d’autriche au début du XVIIE siècle. Également férus de chasse, ils lui redonneron­t un nouvel essor. 4. Cornelis Anthonisz (circa 1505-1553) représente ici Marie de noir vêtue comme à son habitude, mais en amazone, une fois n’est pas coutume.
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