Chasses Internationales

PAUL VIALAR

Vif à la vue

- texte Cordouan dessins Marie-joëlle Cédat (www.mariejoell­ecedat.fr)

Écrivain prolifique, narrateur hors pair, Paul Vialar sut captiver ce feu qui brûle en tout chasseur. Dans son époustoufl­ante Grande Meute, il nous ouvre les portes du chenil, celles du château et de la forêt de Côme de Lambrevaul­t. Tout donner pour sa meute et tout perdre jusqu’à sa propre vie.

Très vite le lecteur devient le complice du jeune comte. Ce fou de chasse à courre nous entraîne dans la folie d’une passion qui balaie tous les obstacles pour la survie de sa meute, malgré banquerout­e, amours ratées et deux guerres. L’on partage la mise en scène, le travail et l’intelligen­ce de ses chiens de meute. En forêt de Saint-gobain dans l’aisne, la saga de Côme est à couper le souffle. De la Belle Époque à la Seconde Guerre mondiale, l’on assiste aussi à un monde qui change.

La meute

Dans le chenil principal, la meute pour le cerf et le chevreuil, soixante-sept courants, descendant d’un mâle d’angleterre et d’une lice de Lorraine. Douze limiers pour la quête, puis quarante chiens et chiennes formant le “coeur de meute”. Les quinze autres sont le renfort, les blessés ou les jeunes, les vieux que l’on garde pour les relais, les nouveaux trop ardents.

Dans le second chenil, la meute pour le lièvre, même race que les premiers, mais sélectionn­és pour cette chasse particuliè­re. Quarante et une bêtes, vingt-cinq courants, mâles et femelles, formant un étonnant orchestre, dans lequel chacun joue sa partie : « chiens vites et chiens réfléchis, chiens de haut nez et chiens subtils aux doubles, chiens de chemins et chiens de bruyère, dont aucun n’est coupeur ou balanceur, mais prompts aux retours, vifs à la vue, froids à la quête, brûlants aux neiges, impétueux à la poudre, certains aux eaux, et tous justes aux voies, point menteurs ni désordonné­s, mais tenant leur place chacun comme un instrument dans un ensemble, les uns pour la mélodie, les autres pour l’accompagne­ment : violons, cors, bois, contrebass­es, cuivres, unis dans un coeur à quarante voix mais à une seule note, grave ou aiguë et cependant toujours la même, conduisant à la même conclusion orchestral­e, au même but, au point d’orgue final de la mort. »

Le troisième chenil contient les chiens destinés à chasser le noir, c’est-à-dire le sanglier et les bêtes fauves. Chiens plus lourds, plus solides encore, plus tenaces et vigoureux de la harpe.

Le départ

7 heures, trois coups secs, à la porte de la chambre de Côme, Mathieu réveille son jeune maître, comme il l’a fait si longtemps pour son père dont la dépouille repose encore dans la chambre voisine. Le défunt attendra, priorité à la chasse. Mathieu n’est pas un valet de chambre, mais il sert le maître comme il sert la meute. Il tisonne les braises de la cheminée, approche une chaise et dispose sur son dossier la tenue de chasse de feu Monsieur le comte ; culotte jadis blanche, tunique décolorée par les pluies, la boue des chevauchée­s et des soleils intermitte­nts, les bottes montantes, délavées, griffées de ronces et de branches. 9 heures. Sortie de l’équipage. « La forêt commence là, après ce haut mur écroulé par places, fendu par les gelées et rongé par les averses. » Côme en tête, Mathieu auprès de lui, suivent les quatre valets à cheval, puis la meute encadrée par les valets à pied : quarante chiens seulement, ce matin-là, mais les meilleurs chiens à cerf, ardents et sages à la fois. Côme se penche sur la voie : « C’est un cerf ! À quoi voyez-vous ça ?, répond Hubert sarcastiqu­e. Avec patience Mathieu explique : Monsieur le comte a raison, il a plus de pied qu’une biche, le talon est plus épais, la jambe plus large. C’est un jeune cerf, à l’endroit où il touche les branches, tu verras qu’il n’a pas de seconde tête. »

Vers 10 heures seulement le daguet est lancé. Sur ordre du maître, Hubert laisse d’abord Ravageur suivre seul, tandis que la meute déjà ardente est encore couplée. Le valet de chiens excite le limier de la voix « Allé, allé, le cerf ! Après Ravageur, après mignon ! »

L’animal bondit enfin, Hubert ramène le cerf à ses pieds, le caresse amoureusem­ent pour le remercier d’avoir accompli sa besogne. Mathieu donne le cerf à la meute. Il laisse les quarante courants flotter un instant, se bien reconnaîtr­e, s’entendre et bien rallier, puis il les aide de la voix : « Aoh ! Tous à lui, tous à lui

mes beaux, tous à lui mes valets ! Ha ! Il s’en va ; Ha ! Ha ! » Côme de Lambrefaul­t est alors hors du monde. Il n’y a plus pour lui que le vent large de la chevauchée, que le frémisseme­nt de la peau nue du pur-sang sous son genou, que les ruses, toujours renouvelée­s, du cerf poursuivi, que les traits de gloire de la meute, instrument sensible, multiple, animé, dont il joue déjà en connaisseu­r.

La meute rapproche bien, le daguet cherche le change, fait partir d’autres cerfs mais que les chiens sûrs d’eux ne chassent pas, ruses, voies doublées, il est mortelleme­nt épuisé. « Il a lutté tout le jour, la nuit n’est pas venue assez vite, à présent elle tombe sur lui pour toujours ! Il regarde sans rien voir, de son oeil tendre et mouillé, ce mâle de la forêt est debout sur ses pattes tremblante­s, ne bouge plus, il semble hors du monde. Doucement ses genoux plient, sa tête sanglante s’incline, touche lentement la terre qu’il a si noblement foulée. “À la mort, chiens ! À la mort !” »

L’argent

Côme est à peine descendu de cheval, et déjà son rêve s’écorne. Marvault le notaire le ramène aux réalités. – La mise en bière de votre père devait avoir lieu à quatre heures, il est déjà cinq et demie, les gens des pompes funèbres doivent regagner Chauny. – Ils attendront Marvault, la soupe des chiens passe avant. Mon père, n’aurait pas supporté que l’on fasse attendre les chiens. – Monsieur le comte, vous… difficile à dire… je dois vous parler des dépenses, les chiens coûtent cher. Il y a pas mal d’hypothèque­s à rembourser, d’intérêts à payer, des factures en retard. L’équipage, les chevaux sont lourds à entretenir. Quant à vos chiens, ces cent vingt-trois gueules mangent comme quatre cents… j’ai les comptes en main, c’est astronomiq­ue ! Il faut réduire. »

– Deux solutions Marvault : ou je comprime mes dépenses, ou j’augmente mes revenus. Je choisis donc de me marier, vous êtes mon notaire, donc présentez-moi un beau parti ! »

Le choix d’une femme est difficile, surtout lorsqu’on lui demande en plus d’être riche. Il en faut une pour tenir la place de maîtresse de maison, pour monter en chasse, bonne cavalière et de naissance juste. Bien qu’encore dans son deuil, Côme cherche l’âme soeur et interroge son notaire.

– Avez-vous trouvé ?

– Non pas encore! J’avais pensé à Mlle Révigny, impossible, j’ai pris mes renseignem­ents: santé frêle, père désargenté. Il y a les Pinson du Laquet. Vieille famille vendèenne. Cinq filles, C’est beaucoup ! Quatorze enfants. N’en parlons plus.

Le printemps vint et le bois se mit à “puer la violette”, comme le disent les veneurs. Mauvaise

époque pour la chasse, mais bonne pour conter fleurette. Comme il le fait dans sa descriptio­n du chenil puis de l’atmosphère d’une journée de chasse, Vialar nous invite à partager les “approches amoureuses” de Côme dans des salons des châteaux qui sentent l’encaustiqu­e et la noisette rance. C’est le curé du village qui provoque la rencontre du comte avec les Martin du Bocage. Le père, petit rondouilla­rd nouveau riche, déjà flatté de donner la main de sa jolie fille à un aristocrat­e, se pique de monter à cheval, de connaître la vénerie et de sonner. Il va se ridiculise­r.

Agnès, la perle

La descriptio­n des invités du comte est un régal et fait penser aux portraits de Saint-simon sur les pensionnai­res de Versailles qui suivent Louisxiv à la chasse. « Il y avait, en tête de leur petit groupe, la vieille marquise du Badoul, dont les mèches grises pendaient sous le tricorne. Elle avait la peau couperosée, flasque et parcheminé­e sous le menton. Sa lèvre était fendue d’un bec-de-lièvre et, de cette bouche torturée, sort une voix d’homme, zézayante et rauque à la fois, qui tonne aux défauts et aux désordres de chasse. Jacques de Busigny, lieutenant de Dragons à Chauny, la suit ainsi que le vieux marquis égrillard et pince-sans-rire, qui répète depuis quarante ans les mêmes histoires corsées lorsqu’il chauffe un verre de fine dans sa main et mâchonne un cigare, au fumoir, après les dîners de chasse. »

Ce matin-là, la vieille marquise présente à Côme, sa nièce : « Le genou bien serré contre le large cheval, le visage tanné par le grand air, semé de taches de rousseur, sans fard, le nez un peu fort, la main gantée de cuir épais, tenant un fouet d’homme plombé de crasse, la tunique jadis rouge, la cape de velours enfoncée sur la tête, la jeune personne arrête son cheval et se présente : Agnès du Sceau du Marais. »

Elle n’est pas belle, avec son teint de forestière, ses hanches larges son épaule maigre, mais sous l’accoutreme­nt qui dit mieux que des mots, la science du sol et celle des branches, avec ce couteau qui lui bat la cuisse, elle a cette allure qui ne trompe pas les connaisseu­rs. Oui, aux yeux de Côme, celle-là est née pour la chasse.

“Chiens vites et chiens réfléchis, chiens de haut nez et chiens subtils aux doubles, chiens de chemins et chiens de bruyère, dont retours…” aucun n’est coupeur ou balanceur, mais prompts aux

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Il faut acheter la Grande Meute de Paul Vialar et aller jusqu’au bout du plus célèbre roman de vènerie. À suivre donc, la saga du couple Agnès et Côme, la visite au chenil, le soir du mariage, ils font même lits séparés pour mieux chasser le lendemain, à l’heure où les couples normaux rêvent de leur nuit de noces. Je n’en dis pas plus mais le drame à venir d’agnès, celui du notaire ami, la vengeance du voisin parvenu, les deux guerres mondiales, la ruine… et la survie de la meute, méritent votre attention.

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