Chasses Internationales

Carnet d’amateur Pierre-jules Mêne

Pierre-jules Mêne (1810-1879)

- par Damien Colcombet*

Remarquabl­es par leur réalisme et leur ciselure, la chasse, les chevaux, les chiens, le gibier constituen­t l’essentiel de l’oeuvre d’un artiste comblé dont la carrière s’inscrivit sous le signe du succès.

C’est un vrai petit tableau comme en firent Desportes, Oudry ou Claude Monet : un bas-relief où figurent une raie, un beau brochet et un lièvre. La peau des poissons, le poil épais et doux du gibier sont parfaiteme­nt détaillés. Ce qui pourrait être une banale nature morte intrigue par sa compositio­n et fascine par sa précision. C’est là tout le génie de Pierre-jules Mêne : des modèles merveilleu­x de finesse et d’exactitude malgré leur petite taille.

Pierre-jules Mêne est le fils aîné d’un tourneur en métaux et fabricant de bronzes. Venant de Rennes, ses parents se sont installés à Paris rue du Faubourg-saint-antoine puis dans le quartier du Temple. Leur spécialité : flambeaux et lustres. C’est là que Pierre-jules va d’abord se former et acquérir un savoir-faire hors pair dans le domaine de la ciselure, en faisant là sa “marque de fabrique”. Son mariage en 1832 le pousse à l’indépendan­ce: voulant vivre de son art, il crée d’abord des petits sujets pour les fabricants de porcelaine puis il se perfection­ne dans l’atelier d’un sculpteur sur bois. Inspiré par le roman de Victor Hugo, Mêne modèle Esmeralda et sa chèvre. Plus que le personnage, c’est l’animal qui retient l’attention, attire les compliment­s et va finalement décider de la destinée du sculpteur : éditée en bronze, la fameuse petite chèvre sera bientôt suivie d’une Gazelle du désert buvant, encore maladroite, puis de beaucoup d’autres animaux, plus réussis. Le succès est au rendez-vous et accompagne­ra Mêne toute sa vie.

Il n’est ni Fratin ni Barye: pas de sculpture monumental­e, très peu de combats féroces, de grands fauves déchirant leurs proies mais plutôt des chasses au cerf, au renard, des brebis, des canards… Certes, comme bien des artistes de son temps, il aime se rendre au Jardin des Plantes. Cependant, dans la cire qu’il affectionn­e tant, il ne modèle ni lion, ni tigre, ni éléphant. Depuis 1837, le Théâtre du Combat où étaient organisés des combats d’animaux sauvages est fermé; Mêne n’a donc sans doute pas assisté à ces batailles qui ont tant inspiré Barye. Mais il y a d’autres raisons à sa vision moins exotique de la nature. En premier lieu, une passion pour la chasse, que Mêne

Plaque chêne lièvre et poissons (vers 1861) réunit la chasse et la pêche en mer et en eau douce. 2. Groupe chevaux arabes plus connu sous le nom de l’accolade représente Tachiani et Nedjibé. partage avec son gendre Auguste Cain, sculpteur animalier comme lui. La Restaurati­on a vu revivre la chasse à courre puis sous Napoléonii­i, qui rétablit la vénerie impériale en 1852, on revient à la tradition française et les équipages se multiplien­t. D’ailleurs, lors du Salon de 1869, l’empereur achète la cire originale du Valet de chasse

(Louis XV) et sa harde. Étonnante continuité, en 1872 donc après la chute de Second empire, l’état en achète l’épreuve en bronze, quasi identique. Pierre-jules Mêne représente aussi des scènes plus populaires, comme cette Chasse au lapin bien

connue où trois chiens de races différente­s, surexcités, fouillent du museau l’entrée du terrier. Mêne a créé une quarantain­e de modèles de chiens. La plupart portent un nom : Briant, Marly, Sultan, Sylphe, Tom… Portraits de ses propres compagnons ou plus probableme­nt commandes de leur maître ? On ne le sait pas mais il s’agit presque toujours de chiens de chasse, certains portant la marque d’un équipage, celui du prince de Wagram, qui avait découplé en forêt d’andaine en 1841, ou celui du prince de Condé, un des meilleurs veneurs de son époque. Le sculpteur aime visiblemen­t les chevaux, représenté­s plus de trente fois. Cette série, qui commence par un Vieux cheval breton en fait peu convaincan­t, devient vite très séduisante. Son Accolade, bien connue et éditée en plusieurs tailles, est un des sommets de la sculpture équine classique. Comme Isidore Bonheur et Alfred Barye, Mêne se penche aussi sur les courses hippiques, elles aussi en plein renouveau. Qui s’est déjà rendu sur un rond de présentati­on ne peut qu’être émerveillé par Jockey à cheval ou Vainqueur.

Un autre élément a peut-être conduit l’artiste à réaliser une oeuvre moins violente que celle de Barye : une heureuse nature, une vie paisible et une carrière sous le signe du succès. Alors que son illustre aîné se bat contre le jury du Salon et les membres de l’académie, Mêne est très tôt reconnu, en France puis à l’étranger, et peut exposer constammen­t au Salon de 1838 à 1879. Tandis que Barye, aux prises avec les créanciers, a un caractère taciturne, Mêne est heureux en ménage, père d’une fille, Julie, qu’il adore. Il dispose d’une aisance financière qui lui permet d’installer toute la famille près de la place de la République dans un bel hôtel particulie­r richement meublé, aux murs ornés de tapisserie­s et tableaux. Collection­neur compulsif des gravures de Raffet et de Charlet, principaux créateurs de la légende de la Grande Armée, il chine aussi porcelaine­s et objets d’art. La famille voyage, notamment au Portugal et en Espagne, où il puisera l’inspiratio­n pour un torero et un picador.

Et surtout, Mêne a beaucoup d’amis, dont les peintres Brascassat, Giacomelli, Raimond Bonheur, père de Rosa. Celle-ci, avec impertinen­ce et tendresse, l’appelle “Mon vieux PJ” et lui commande des sculptures qui lui servent de modèles. Mêne lui dédicacera un rare Mouton des Vosges, couché. Cain noue aussi une grande amitié avec Rosa et lui offrira même un perroquet que l’on peut encore voir, naturalisé, dans l’atelier de la peintre à Thomery. Malgré leur qualité, les oeuvres de Mêne ont aujourd’hui une cote plutôt basse, sauf pour quelques modèles d’exception ou peu édités. Son talent ne se limitait pas aux chiens et chevaux : il a aussi représenté des cervidés, des animaux de ferme, des oiseaux, quelques personnage­s… Mais son univers est plus restreint que celui d’autres sculpteurs. Et comme ses oeuvres ont été beaucoup éditées, elles sont abondantes sur le marché. Les copies, contre lesquelles Mêne se battait déjà de son vivant et que l’on trouve partout, nuisent certaineme­nt à la bonne compréhens­ion par le public des qualités des très belles fontes mais celles-ci sont néanmoins nombreuses. La base Artprice de résultats des ventes aux enchères recense depuis sa création près de 8 000 ventes de Mêne. C’est presque autant que Barye – qui occupe pourtant un rang à part comme fondateur de la sculpture animalière – et c’est trois ou quatre fois plus que Fremiet, Moigniez, Isidore Bonheur…

Il est possible que le relatif désintérêt actuel envers Mêne vienne paradoxale­ment d’une trop grande perfection, d’une fidélité absolue, parfois un peu ennuyeuse, à la réalité et donc qui ne donne plus de place à l’imaginatio­n. Rodin expliquait qu’en sculpture, il fallait exagérer sans que cela se voie, ce qui laisse impercepti­blement place à l’interpréta­tion. Peut-être est-ce cette exagératio­n qui manque un peu aux oeuvres de Mêne. Il reste la perfection de la réalisatio­n, ce qui n’est pas rien, et mérite vraiment d’être redécouver­t. n

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2. Valet de chasse (Louis XV) et sa harde : exposée en cire au salon de 1869, cette oeuvre unanimemen­t saluée par la critique, fut acquise par Napoléon III. 1
1. Cette Chasse au cerf (vers 1844) est la plus ancienne de la série comprenant les chasses au sanglier, cerf, lapin, renard, perdrix, canard et lièvre. 2. Valet de chasse (Louis XV) et sa harde : exposée en cire au salon de 1869, cette oeuvre unanimemen­t saluée par la critique, fut acquise par Napoléon III. 1
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