La Diane Céline Anaya-gautier
Voici une journaliste qui n’a pas froid aux yeux. Quand elle a décidé de faire un livre sur la chasse à courre, elle pénètre en zone interdite balisée par les bonnes consciences des cercles intellectualisants. Comme pour ses précédentes enquêtes sur les femmes de rue à Paris, l’esclavage des coupeurs de canne ou sa défense des enfants orphelins atteints du sida à Lima et ceux exploités, son implication se révèle totale. Sa double origine, son parcours et ses engagements sont ses passeports.
Comment résumer votre itinéraire en quelques mots ?
Ma quête est perpétuelle et je ne me limite pas à un champ d’expérimentation. J’ai conscience de la chance d’être en vie, d’être sur Terre et que des milliards de milliards de possibilités me permettent d’aller à la rencontre de moi-même. Ma double nationalité – ma force et ma faille en même temps – m’a permis de vivre à parts égales sur deux continents, dans deux pays merveilleux, le Pérou et la France. C’est ma richesse. D’un côté les Andes et la haute société et, de l’autre, les cités à Paris et la campagne française. Autant dire que j’ai vécu des chocs sociaux, environnementaux. Toute petite, je rêvais d’explorer le monde. J’ai navigué entre ces deux extrêmes et aujourd’hui je suis dans une deuxième partie de ma vie où je cherche l’équilibre des extrêmes. La France est, pour moi, l’introspection, la pensée, les Lumières. Et le Pérou, la connexion à la Terre, aux traditions, à l’invisible et au rite chamanique. J’ai donc été élevée entre la pensée philosophique et le sacré. Ces deux points de vue me permettent de voir au-delà de ce que la société voudrait que l’on voie.
Comment avez-vous abordé la vènerie?
À chaque fois que je travaille sur un sujet, je suis en immersion. Ce qui en ressort est total. Je ne suis pas dans le compromis. Quand je m’intéresse à un thème, j’ai les questions mais pas les réponses. Je ne lis absolument rien au préalable. Une fois que j’ai terminé mon enquête, je peux confronter mon regard. Sur la genèse du livre, je suis tombée sur une chasse à courre en forêt de Fontainebleau. Je pensais que c’était une reconstitution historique… Quand un veneur a constaté ma surprise, il m’a invité à suivre une chasse. Et là je suis
tombée amoureuse à en oublier que j’étais végétarienne, que j’ai été végan pendant douze ans. J’ai suivi trois chasses. Puis j’ai discuté avec un ami qui est rédacteur en chef d’un magazine. Il m’a formellement déconseillé de faire le sujet en argumentant que je risquais ma carrière alors que je suis une journaliste engagée et reconnue pour mon travail. Je ne l’ai pas écouté, pas plus que mon entourage qui s’élevait contre ma décision car j’estime que l’on n’a
pas à dicter ma conduite. Mon éditeur, Hervé de La Martinière, qui m’a toujours soutenu, a même refusé de me publier. Flammarion et Albin Michel étaient intéressés et j’ai signé avec le premier. Finalement à chaque fois, ce sont des challenges et je décide de les relever. Je suis animée par la liberté et l’amour, ce sont les deux piliers de ma vie. J’ai demandé une carte blanche à la Société de vènerie, qu’elle n’ait aucun droit de regard sur mon travail avant parution. Mon intention n’était pas de défendre la chasse à courre mais de la découvrir sans a priori. Après six mois à Fontainebleau, je me suis dit si je voulais proposer un ouvrage anthropologique et de fond, il fallait que j’aille voir d’autres équipages. Le livre représente trois ans et demi de travail, soixante équipages à travers la France.
Quel objet de la chasse à courre a retenu votre attention durant ces trois ans et demi ?
Le panier du veneur et du suiveur. Mes grands-parents étaient agriculteurs en France; j’accompagnais mon grandpère dans les champs, sur son tracteur. La chasse à courre m’a reconnectée avec mes origines françaises. Les paniers reflètent la diversité de la vènerie, l’un d’eux peut contenir une bonne bouteille de vin et des verres en argent et celui d’à côté des gobelets en plastique et un cubi. Vous pouvez avoir toutes les classes sociales autour d’un même panier, de l’aristocrate à l’agriculteur qui partage son pâté et vice versa. Le panier a trait également à l’alimentation. J’ai pu constater que tous les veneurs ne sont pas des viandards. Pour finir, le panier représente un moment de discussion. L’on reconstruit autour toute la chasse. La parole de chacun est une partie de celle-ci. Nous sommes là au contact de nos sens (le goût, les odeurs…) et de notre intellect.
Avez-vous vécu le doute ou un ras-lebol au cours de votre enquête ?
Oui, je me suis demandé si ce que je faisais était juste, si je n’avais pas affaire à des “assassins”. Je me suis entretenue avec une amie franco-péruvienne qui vit à Montpellier qui est yogie et végane. Et j’ai eu son point de vue de biologiste. Elle m’a fait remarquer que le travail que j’avais entamé était important pour la société et que je devais le poursuivre.
Vous êtes une des rares femmes à avoir écrit sur la chasse à courre et la chasse tout court…
Je ne le savais pas au moment de mon enquête. En revanche, le témoignage est unique par ma personnalité singulière, ma trajectoire distincte de ce monde. J’ai conscience qu’il fera date. Une fois encore, j’ai le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance. Je suis aujourd’hui invitée “perpétuelle” par les équipages de France. Il m’arrive d’y aller. Je me sens à ce moment-là en contact avec la nature avec la prédation.
Quelle a été votre principale découverte?
Le fait que l’homme retrouve sa place dans la nature, sans fusil, avec la connaissance qu’il en a. Car aujourd’hui nous avons une vision très romancée d’elle, nous n’avons pas la conscience de la vie, de la mort. Cela a été l’occasion également de découvrir la forêt française en tant que lieu de vie et non comme lieu de balade du dimanche.
Votre vision a-t-elle évolué ?
Je suis partie d’une page blanche. Je n’avais pas d’avis sur la vènerie. Je connaissais vaguement le mot “chasse à courre” mais n’avais aucune idée sur le sujet.
À sa sortie, comment a été reçu le livre ?
Contrairement à mes autres livres, j’ai été boycotté hormis par deux-trois magazines dont le Figaro et Polka Magazine. Geo me faisait un papier qu’à charge pour répondre à leur lectorat… J’ai perdu une publication de seize pages dans VSD à quelques heures du bouclage car je n’étais pas d’accord. En revanche, j’ai reçu énormément de soutien de la chasse à courre qui a salué mon intégrité et mon courage. Les réseaux sociaux ont bien diffusé l’information. Enfin, mon interview dans Valeurs actuelles
m’a valu une nouvelle volée de bois vert… Pourquoi refuser à qui me donne la parole ? Christian Caujolle, grand journaliste photographe français, dans la préface du livre, a eu la gentillesse de présenter ma démarche. Il y explique que c’est un sujet de notre époque et décrit le temps que j’ai passé pour en mieux exposer les enjeux dans le cadre d’une enquête de terrain. Le livre, lui, a très bien marché et continue son chemin. Je pense que c’est un long seller, il est devenu un ouvrage de référence en matière de chasse à courre. En couverture, j’ai voulu une femme afin de rompre avec l’idée passéiste qui circule. Dans la chasse, nous retrouvons des valeurs qui ont déserté nos sociétés. Voilà pourquoi elle est importante.
Compliments ou attaques, votre sphère privée a-t-elle été touchée ?
Des attaques, oui, par mails. Le premier d’entre eux menaçait de mort mes enfants. Les messages de ce type étaient dénués d’humanité, j’ai porté plainte. Quant aux compliments, évidemment Christian Caujolle. Se voir saluer par un grand pour son travail en argentique est une reconnaissance et une fierté. Photographier des scènes, des actions de chasse sollicite davantage l’attention et la réaction spontanée et technique. Enfin, la flamme dans les yeux des veneurs a été aussi pour moi le plus beaux des cadeaux. Ils ont été stupéfaits de la manière dont j’ai photographié la chasse. J’ai donné de l’importance à ce qui leur semblait anodin.
Pensez-vous que la chasse à courre soit en danger ?
J’ai dit aux veneurs qu’il fallait qu’ils soient fiers et de ne pas baisser les bras. Ne pas porter haut et fort ses valeurs, c’est offrir à l’autre de vous engloutir. Ne pas assumer qui l’on est, c’est signer son arrêt de mort. Il n’est pas trop tard pour réagir. L’activisme est une preuve qu’une société est vivante. Si chez les antichasse il est plus porteur, les chasseurs doivent se relever les manches. Je conçois que les antichasse sont nécessaires mais je n’admets pas qu’ils ne connaissent pas le sujet.
Êtes-vous toujours végan après cette expérience ?
J’ai contracté une hépatite A depuis, mon médecin ne m’a pas donné le choix : si je ne mangeais pas de la viande, je mourrais.
Quel sera votre prochain livre ?
J’entame une enquête sur la pédophilie. Je suis en contact avec l’association L’ange Bleu qui a mis en place un réseau d’écoute destiné aux pédophiles, fait de la prévention et aide les victimes. Je vais m’intéresser aux études psychiatriques, me confronter aux tabous dans les familles, en savoir plus sur le rôle de l’état, les solutions. Le sujet est complexe mais je me sens armée pour l’aborder afin d’apporter un éclairage qui ferait avancer la question.
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Chasse à courre. À la croisée des mondes, de Céline Anaya Gautier, Flammarion, 288 pages, 60 €.