Jean-françois Girardin
Depuis 1924, le concours Un de Meilleurs ouvriers de France a distingué plus de 9000 lauréats. Nombre d’entre eux rejoignent la Société nationale des Mof, association qui fédère les lauréats du titre. Cette institution créée en 1929 est présidée par cet ex-chef des cuisines du Ritz. En près de quatre ans, il a fait bouger les lignes. Un combat de toute heure !
Qu’évoque pour vous la chasse?
Je ne suis pas chasseur. Mais quand j’étais enfant, entre 7 et 9 ans, au début des années 1960, mon père m’amenait avec lui à la chasse. Je le suivais avec mon fusil à flèche. Il était intransigeant sur la sécurité, il fallait rester bien derrière lui. Nous partions avec nos cockers chasser à l’approche le petit gibier sauvage dans la Nièvre du côté de Pougues-les-eaux. Quand nous parvenions à tirer un lièvre ou quelques perdreaux ou faisans, nous arrêtions. Ensuite ma mère ou ma grand-mère cuisinait tout ça : pâtés, civet, perdrix au chou, rôtisserie… J’ai donc connu la chasse rurale simple, nous partagions le plaisir de vivre dans la nature. Je pense que nous avons perdu des aspects de cette chasse. Je le constate entre le Cher et la Nièvre aujourd’hui. Sangliers et chevreuils ont envahi tout le territoire. Je note des déséquilibres dus au changement climatique, à la monoculture, aux produits phytosanitaires, à la disparition des haies qui favorisaient le petit gibier et peut-être aussi à un problème de régulation.
Quel est votre avis sur les attaques dont elle fait l’objet?
Les réseaux sociaux ne contribuent pas à la sérénité, au contraire, ils enflamment même parfois. Certains groupes cherchent la polémique contre les chasseurs. J’estime que le véganisme est un phénomène de mode. Tout le monde est végan aujourd’hui. Les chasseurs sont là pour rééquilibrer la nature. Je pense que la chasse doit désormais mieux informer les concitoyens. Le “Vivons heureux, vivons cacher” a été une méprise. L’agriculture connaît une réorganisation aujourd’hui. Il doit en être de même pour la chasse. Je ne crois donc pas que la chasse soit en péril. Interdire la chasse serait une erreur, elle est indispensable mais nécessite d’être réorganisée, mieux équilibrée.
Quel gibier aimiez-vous cuisiner au Ritz ?
Dès la fin août, le canard sauvage entrait dans la carte. Je le proposais rôti avec des compotées de légumes et épices et de fruits (figue, pomme, poire, coing…). Puis les grouses et évidemment le lièvre à la royale. Je préparais aussi le lapin de garenne en sauce, le chevreuil, les bécasses… Quand j’ai passé mon Mof en 1993, j’avais une selle de chevreuil piqué avec de la truffe, du lard gras et de la langue, tout cela rôti, coupé, reconstitué. La cuisine de gibier s’apprend, elle est partie prenante d’une culture rurale, d’un art de vivre. Un livre exceptionnel, la Cuisine de gibier à plume d’europe de Benoît Violier, la consacre. Benoît nous a quittés trop tôt, il a été un de mes élèves. Il a fait partie du renouveau de cette cuisine.
Parlez-nous de votre parcours…
J’ai commencé ma carrière de cuisinier en 1969, j’avais 15 ans, dans un restaurant étoilé à Pouilly-sur-loire dans la Nièvre. Après mon CAP, je suis devenu deuxième commis au Carlton de Cannes. Puis je suis entré dans
le compagnonnage à Nice. En 1978, je suis revenu à Paris où j’avais fait en 1975 mon service militaire au Cercle national des armées. Et, en 1981, je signe au Ritz et j’y suis resté trente-deux ans. J’étais chef des cuisines et je m’occupais des grands clients. Je dirigeais quatre-vingts personnes. En 2000, j’ai rejoint la direction nationale de la Société nationale des Mof comme trésorier général. Puis je me suis intéressé à l’organisation qui nécessitait d’être remise au goût du jour. Il fallait trouver des partenaires afin de mieux gérer l’avenir notamment. Au bout de douze années, je suis devenu vice-président. Par désaccord avec le président, j’ai démissionné en 2016. Et en janvier 2018, j’ai été élu à la présidence.
Depuis nous nous sommes rapprochés de nombreuses confédérations de métier, nous avons fondé des commissions pour les métiers d’art, les décorations, l’hôtellerie-restauration et pour les femmes. Avec Jocelyne Caprile, ma première vice-présidente, nous avons édité en 2020
les Femmes meilleurs ouvriers de France : passion et excellence, qui évoque d’ailleurs le parcours de près de 75 femmes dans 38 métiers. Nous organisons aussi le Concours Un des meilleurs apprentis de France (Maf), soit près de 6000 jeunes qui s’inscrivent par an : une pépinière de pépites pour le Concours des Mof. Cent cinq métiers y sont représentés. Nous sommes aussi consultés par l’état sur l’apprentissage, l’avenir des métiers… Certains d’entre eux ont besoin d’un coup de pouce comme l’aide à la personne. Les Maf viennent les honorer et soutiennent qu’il est important de connaître la compétition professionnelle très jeune.
Quelles sont vos valeurs?
Il s’agit principalement de transmettre les savoirs. Nous sommes aussi soucieux de porter les valeurs que véhiculent les Mof, d’être ouverts à la création et à l’innovation, de respecter les hommes et les femmes. Nous n’évoquons jamais ni politique, ni religion.
Quels combats menez-vous?
Nous nous engageons à défendre la formation des métiers rares. L’armurerie à nos yeux en fait partie, au même titre que la coutellerie. Nous nous devons de les protéger en les maintenant dans le concours Mof par exemple. Nous nous battons avec le ministère de la Culture afin de valoriser les artisans de ces métiers. Dans certains métiers par exemple, on ne compte plus qu’une poignée de femmes tailleuses de pierre, chapelières, plumassières, perruquières, corsetières, laqueuses à l’ancienne, doreuses sur bois ou plâtre… Ces métiers sont notre identité, notre histoire. En ce moment, nous travaillons avec le ministère afin qu’il signe des dérogations pour que les Mof aient accès à des marchés nationaux de manière à ce que des Français se chargent de la restauration et les marchés ne partent pas à l’étranger. Certains Mof ne peuvent en effet répondre à des appels d’offres de l’état sous prétexte qu’ils n’ont pas Bac+5, j’en suis révolté. Cette législation contraignante et incompréhensible empêche les qualifications et l’excellence françaises à prendre en main certains chantiers. Elle doit être revue. Le temps presse, des métiers disparaissent. J’ai rencontré le chef de l’état à ce sujet ; il partage notre avis. Mais il faut que les choses se mettent en place, c’est long. Des députés et des sénateurs portent notre message. J’échange avec le gouvernement à ce sujet.
Est-ce que le concept des Mof s’exporte?
Le titre des Mof est reconnu en France et beaucoup plus à l’étranger. Nous sommes le seul pays au monde à organiser un concours d’artisans de métiers tel que nous le faisons avec le concours Mof. Quant à notre concours Maf, nous avons signé une convention avec le
Maroc et nous l’exportons. Le concours ouvrira un diplôme du royaume. L’artisanat local est en forte perdition car le pays dispose de moins en moins de formations types. Par ailleurs un musée des pièces d’oeuvres des Mof va ouvrir à Nagoya au Japon dans deux ans. Le Japon, très friand de l’artisanat français, compte de moins en moins d’artisans, la population s’étant orientée vers l’éducation supérieure.
Quelles leçons tirer du Covid?
Il faut redynamiser l’artisanat local. Il est impérieux de retourner vers l’artisan. Le Covid a fait prendre conscience que nous avions perdu quelque chose. L’artisan de proximité trouve toute sa logique dans ce constat.
Un message d’avenir?
Ceux qui nourrissent aujourd’hui l’envie, qui ont la capacité et le talent d’exercer un métier manuel, je les engage à se lancer car ils en vivront correctement.
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