Chasses Internationales

Introspect­ion

- JEAN-LOUIS FEL* texte et photo

Se lever au milieu de la nuit. Se préparer au départ. Boire un café. Allumer une cigarette, tel un vieux guide. Lacer ses chaussures. Attraper son sac à dos. À l’intérieur, une pomme, une thermos de rooïbos, une paire de jumelles et le Leica. Puis commencer à marcher sans destinatio­n réellement précise. Partir. Fuir. S’enfuir.

Monter, monter et monter encore. Une heure, deux heures, trois heures, plus s’il le faut. Traverser un hameau. Prendre la piste menant à l’alpage. Juste mettre un pied devant l’autre. Le corps encore dans le monde réel mais l’esprit déjà ailleurs. Se remémorer les paroles d’alceste, ces vers si courts et si vastes du Misanthrop­e : « Et parfois il me prend des mouvements soudains / De fuir dans un désert l’approche des humains. » Arriver à l’alpage. Le traverser. Dans l’obscurité, les deux patous viennent à moi en aboyant, un rien menaçants. Je les connais. Je les appelle par leurs noms. Je leur dis des mots tranquille­s. Ils s’en retournent et vont reprendre leurs places auprès du troupeau.

Prendre un sentier à peine visible. S’éloigner de la laideur des pistes convenues. Se revendique­r de la mystique donquichot­tesque au risque de s’approprier ses états psychiatri­ques. Picaresque !

Aux premières lueurs de l’aube, bifurquer et quitter le chemin tout tracé. Passer aux pentes raides et vierges. Traverser des couloirs en suivant les passages d’animaux. Sentir sous ses pieds le grip de la semelle sur le sol instable. Prendre des risques. Se mesurer à soi-même. S’engager sur une vire dans une barre rocheuse pour atteindre l’arête sommitale et dominer la vallée.

Tel un Cyrano alpestre, réciter dans sa tête tout en grimpant: « Non merci! Non merci!

Non merci ! Mais […] chanter, rêver, rire, passer, être seul, être libre. Avoir l’oeil qui regarde bien, la voix qui vibre, […] Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »

S’imprégner de ce “milieu hostile”. Se confronter au sauvage. Vivre l’instant.

Sortir au sommet. Marcher sur l’arête comme un funambule. Sentir la bise fraîche sur son visage. S’éblouir des premiers rayons du soleil. Quelques nuages fébriles se dissolvent dans l’azur naissant. Se poser face au Levant, les jambes dans le vide, sur une plaécouter teforme exiguë. Voir sous ses pieds la civilisati­on, étriquée et engoncée. Abstractio­n ! Respirer. Puis, seul à seul avec soi-même, sentir le rocher se réchauffer, voir enfin plus loin, observer deux chamois se repaître calmement, entendre l’aigle fendre l’éther, une marmotte siffler. S’émerveille­r. Juste s’émerveille­r devant la beauté pure.

Les yeux fermés, le soleil traverse mes paupières, imprimant quiétude et plénitude. Loin de l’autre monde, apaisé, rouvrir les yeux et regarder la nature comme on lit un poème. Alphonse de Lamartine, peut-être…

« Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau; L’air est si parfumé ! la lumière est si pure ! Aux regards d’un mourant le soleil est si beau ! »

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(*) www.jeanlouisf­el.com

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