Chasses Internationales

La glu, c’était quoi, c’était toi?

- MANUE PIACHAUD étho-anthropote­chnologue (techniques de gestion de la faune chassable pour mieux saisir le lien humain-animal)

Chasseurs de niche… Pas chasseurs de biches au pirsch, en battue, à l’affût, non ! Chasseurs à la glu ou plutôt aux gluaux. Ce piégeage était pratiqué dans seulement cinq départemen­ts et très peu de monde sait ce que c’était finalement… même au sein des chasseurs.

Le 28 juin, le Conseil d’état a tranché sur la pratique de la chasse à la glu. Il l’a jugée illégale au regard du droit européen malgré le jugement de la Cour de justice européenne qui a acté la possibilit­é de capturer des animaux (comme à la chasse aux gluaux) lorsque les effets sur les oiseaux sont négligeabl­es. Voici ce que j’ai vécu dans le Var avec un passionné de cette pratique effacée de France à tout jamais.

Décollage au petit matin dans une vieille jeep. Il fait gris mais il ne pleut pas. Heureuseme­nt sinon cela n’aurait pas été possible de mettre les gluaux : ces bâtonnets enduits de colle soi-disant si ravageurs.

À l’arrivée, le glueur allume sa lampe frontale et ouvre son coffre où il est difficile de deviner qu’il y a vingt oiseaux cachés. Le chasseur découvre les premières cages du bout de tissu qui les tient au calme. Des musicienne­s et des mauvis, un merle et une grive draine. Il met cette dernière contre un grand pin. Le merle sur l’arbre derrière aussi suspendu à un clou incliné. Il prend les cages par deux et les suspend avec dextérité. Une fois toutes accrochées, il ouvre une mallette. Se dévoilent alors les fameuses baguettes. Il en prend une et la pince entre ses doigts afin de chauffer la mélasse et la rendre plus efficace.

Ensuite il enfile le gluau par un côté dans une accroche en métal sur une branche installée à l’horizontal­e. Les baguettes sont mises au-dessus des appelants à quelque deux mètres du sol. Les perchoirs sont entourés de branches pour qu’il soit difficile aux oiseaux de se poser à côté. Une fois qu’il a déposé ses neuf perchoirs englués, il se lave les mains avec de l’hydrocarbu­re (essence F). Il en a mis dans un petit flacon d’essence à briquet afin d’être plus précis qu’avec le vaporisate­ur avec lequel il trouvait qu’il arrosait trop les bêtes. Les oiseaux ne doivent pas recevoir de l’essence sur la tête. En dehors de cela, cette substance est très volatile et son odeur disparaît en quelques dizaines de secondes.

Le ciel s’éclaire. Il faut aller nous camoufler. Peu après, il se fige, ses grives ont fait « tsic-tsic » toutes en même temps. Cela signifie qu’il y a un oiseau dans l’arène. Il prend son chilet (sifflet) et entonne un chant mélodieux, un air très varié, c’est plaisant. Une grive musicienne vient alors se poser à quelques mètres de nous. Le chasseur se régale de l’avoir fait venir jusque-là même si elle est à côté du gluau. Plus que d’en piéger une de plus, si elle se pose sur une baguette cela voudra dire qu’il a bien exercé, qu’il a posé son gluau au bon endroit et qu’il a chilé (sifflé) de manière appropriée. Qu’il a réussi quoi.

Non sélectif: oui mais… Sans rien dire le chasseur sort de la cabane. Un rouge-gorge s’est pris sur un gluau et il n’a pas fallu trente secondes pour qu’il soit décollé du piège. Il verse de l’essence sur ses pattes afin de pouvoir le détacher délicateme­nt. Il le prend dans la main, le passereau ne s’agite pas et ne crie pas. Il est calme et semble attendre d’être relâché. Le chasseur le nettoie avec soin. D’abord avec sa petite bombonne d’essence pour ôter la colle puis avec un chiffon. Il s’assure que les pattes et toutes les plumes sont bien propres. L’oiseau est tenu entre ses doigts et ne bouge absolument pas. Il n’a pas l’air traumatisé, pas plus que s’il avait été pris dans un filet pour être bagué. Le savoir-faire de ce traqueur de piafs est palpable. Sa tendresse pour l’oiseau aussi. Quand il juge que le rouge-gorge est bien propre, il ouvre simplement la main et le petit protégé s’envole rapidement. Cette espèce semble bien aimer les grives vu qu’elle se trouve souvent dans les zones de chasse aux gluaux. Des rouges-gorges se prennent donc régulièrem­ent dans la glu mais ils sont soignés et relâchés dans les règles de l’art. Chiler, siffler, chanter. Peu après les grives font le bruit que le glueur attend « tsic-tsictsic », tous en même temps. Il chile : entonne donc une belle mélodie avec son sifflet. Il m’explique que lorsqu’un

« tst-tst » vient d’une grive qui n’est pas la sienne, il le discerne sur-le-champ. Pour ma part, je n’entends que des sons forts d’oiseaux qui crient de manière désordonné­e. Lui reste attentif alors même que nous discutons. Dès qu’il y a un chant à l’unisson de ses auxiliaire­s, il revient à son affaire. Lorsqu’il entend (par ses appelants) qu’il y a une grive, il siffle pour que son oiseau favori vienne. Curieuse, elle s’approche du poste où nous sommes pour voir quel est l’oiseau qui ramage (chante) si bien. C’est le chasseur. Avec son sifflet, il a appris à imiter les “piafs”. Le chant aimé de la grive musicienne (la plus commune de nos jardins), les variations de la grive mauvis, du merle… chacun a la mélodie spécifique qui attire son congénère. Et ça marche ! Dès qu’il chile, les oiseaux s’approchent. C’est un langage qu’il a désiré apprendre.

Seul, personne ne l’a entraîné. Il est arrivé à la chasse à 20 ans. Habitant Marseille, il venait en vacances dans ce coin. Il a un jour suivi un ami et « a pris la maladie ». Il a écouté des conseils et le reste il l’a appris en lisant, en observant. Il est convaincu qu’à 14 ans il aurait été complèteme­nt séduit s’il avait eu l’occasion de vivre une prise aux gluaux pour capturer des grives. Une activité qui l’a suivi et dans laquelle il met énormément de temps car c’est là où il se sent bien. Un piégeage qu’il ne fera plus à son grand désarroi mais ça… n’en parlons pas…

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Avec son sifflet, il a appris à imiter les “piafs”. Le chant de la grive musicienne, les variations de la grive mauvis, du merle… Chacun a sa mélodie.

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