L’arc, primitif et très actuel
Le 15 février 1995, la chasse à l’arc était légalisée, explosion de joie entre les trois pelés et quatre tondus que nous étions ! Maintenant que l’eau a coulé sous les ponts, certaines questions se lèvent et y répondre est peut-être apprendre quelque chose de la chasse à l’arc. D’abord quel sens donner à la résurgence d’un mode de chasse primitif et peu performant à une époque de très haute technologie et de devoir de résultat ? Et puis comment expliquer qu’au sein de la chasse, face à une dynamique peau de chagrin et de vieillissement, un mode de chasse primitif grossit et recrute des jeunes ?
L’atout de la chasse à l’arc repose sur la modeste efficacité de l’arme. Le chasseur doit approcher son gibier à moins de quinze mètres et placer sa flèche de façon à percer des organes vitaux importants. La flèche est très lente comparée à une balle. Avec ses 40 à 60 mètres/ seconde, l’animal a le temps de bouger… Du coup le chasseur à l’arc chasse beaucoup et tire peu.
Il est enfin à bon vent, à dix mètres de “son” chevreuil mais une branchette est juste sur la trajectoire de la flèche. Il décide de ne pas tirer et reste ainsi, presque à distance de toucher. Et ensuite… Ciao capriolo ! Sans se hâter la bête s’éloigne, s’arrête et se met plein travers à vingt-cinq mètres, la tête tournée au loin. Tir risqué ! Le chasseur regarde l’animal partir. Et voilà que se produit l’inattendu : au lieu de ressentir de la déception et de sombrer dans le découragement, cet évènement le fait exulter.
En début de semaine, il n’a vu cet animal qu’à deux cents mètres. Là, il a été au contact durant un temps infini ! Son coeur n’a jamais accéléré autant ! Il a senti que sa flèche était prête à voler à tout moment ! Il a eu l’impression qu’il s’est dédoublé et, une fois la chasse terminée, cela a été comme un réveil! Sa chasse l’a transporté dans un autre monde. S’il a lu la Légende de saint Julien l’hospitalier dans Trois Contes (voir Chasses Internationales n° 20), il se souvient des mots de Gustave Flaubert: « Il était en chasse dans un pays quelconque, depuis un temps indéterminé, par le seul fait de sa propre existence, tout s’accomplissant avec la facilité que l’on éprouve dans les rêves ».
Il n’a de cesse de raconter son histoire à ses amis. La bredouille a pris un sens positif. Il a voulu cet animal. C’était la dernière chasse du soir et l’échec a été à la fois tranchant et d’une extrême douceur. Il a échoué en raison de la simplicité de son arme mais il a rendu au gibier sa supériorité essentielle. Une chasse qui ne promeut pas la supériorité de la proie ravale en tir sur cible, une simple mise à mort sans péripéties et sans risques. La résurgence de la chasse à l’arc signe les retrouvailles de l’homme moderne et de cette modestie fondamentale qui seule peut lui permettre de renouer avec sa juste place dans le monde sauvage. En définitive, l’échec du chasseur est une réussite !
Il est connu que le nombre de chasseurs diminue, que ce sont surtout des hommes et qu’ils vieillissent. En 1995, l’arc a amené à la chasse des jeunes, femmes et hommes, et de plus en plus nombreux. Souvent ces nouveaux arrivants appartiennent à des familles de nonchasseurs. Quand je dirigeais l’école de chasse à l’arc en tant que responsable de la commission éducation et formation de la Fédération française des chasseurs à l’arc, aidé par mes instructeurs, j’étais en immersion sur le terrain avec ces jeunes citadins une à deux semaines. Les réussites étaient rares, et pour cause : nous ne chassions le chevreuil qu’à l’approche… Les stagiaires se confrontaient à leur ignorance et à l’inutilité des idées toutes faites glanées à la télé. Quand nous nous entraînions à la marche silencieuse, ils se rendaient compte qu’ils ne savaient pas porter leur poids sur un seul pied… Ils n’en crurent pas leurs yeux quand, pour la première fois, ils virent un chevreuil aboyer…
Des vétérans, hommes et femmes, venus du tir à l’arc sportif se sont aussi convertis à la chasse. Cette École était un laboratoire idéal pour un doctorant en sciences humaines. Nous disséquions le manuel de L’ANCGG afin de connaître la biologie de l’animal mais, en poursuivant le chevreuil, chacun d’entre nous apprenait bien au-delà de la biologie et de la technique de chasse. Le gibier était le vrai maître. Et cela nous rendait très heureux. La chasse nous est apparue comme un “pré-texte” sous la conduite de la bête de chasse. Ce“pré-texte” savoureux protégeait avec pudeur le “texte” que chacun écrivait à son pas : “devenir un meilleur humain par la pratique de la chasse à l’arc”. J’en veux pour preuve la convivialité d’après-chasse à nulle autre pareille où nous n’avions plus ce regard en coin qui juge. En ces moments où nous partagions nos expériences de chasse, nous pouvions enfin nous permettre d’être comme des enfants.
Pour finir, je voudrais, avec une grosse émotion, remercier les membres de l’acca d’arthez-de-béarn qui nous ont accueillis avec tant de chaleur humaine et de générosité et avec qui nous avons passé des moments précieux. Eux aussi ont découvert la chasse à l’arc. Certains d’entre eux s’y sont même mis avec une passion renouvelée…
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Le chasseur regarde l’animal partir. Au lieu de ressentir de la déception et de sombrer dans le découragement, cet évènement le fait exulter.