L’afrique des parcs à bout de souffle
Le constat est sans détour! Après vingt longs mois de pandémie mondiale, l’industrie du tourisme en Afrique est exsangue et les répercussions socio-économiques pour des millions d’africains sont sans précédents. Le lien entre pauvreté, conservation et sécurité foncière ressurgit comme jamais. D’après un récent rapport de L’UNCTAD (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), les pertes du secteur du tourisme pourraient s’y élever, à la fin de l’année, de 150 à 225 milliards d’euros.
Sur le continent, le tourisme est la principale source de financement des aires protégées. Il fournit aussi des emplois pour les populations qui vivent en périphérie des parcs nationaux et au milieu de la faune sauvage. Avec la suspension des voyages, ce sont non seulement les opérations de conservation mais aussi des millions d’emplois et la survie des populations locales qui sont en péril.
Plusieurs études et rapports économiques publiés ces derniers mois révèlent que la majorité des parcs, privés et publics, a sévèrement été touchée par l’effondrement du tourisme. En Afrique du Sud, le confinement a engendré une chute de 96 % des visites des parcs nationaux et de 90 % des revenus du tourisme. En Ouganda, la chute du tourisme a engendré, de juillet à décembre 2020, une perte de 1,24 million d’euros du budget annuel de l’administration de la faune. Et, de février à mai 2020, le niveau de braconnage a doublé dans les deux plus grands parcs du pays. Le secteur privé du tourisme de faune sauvage n’a pas non plus été épargné. En Afrique du Sud, entre seulement mars et mai 2020, l’annulation des voyages de chasse, des ventes d’animaux vivants et des ventes de viande de gibier a représenté une perte globale de 360 millions d’euros.
Mais les conséquences les plus graves de la pandémie en Afrique sont socio-économiques. Depuis mars 2020, la moitié des Africains qui travaillaient dans le tourisme ont perdu leurs emplois. Rien qu’au Botswana, 99 % de la main-d’oeuvre qui travaille dans le secteur du tourisme a été temporairement ou définitivement licencié durant le confinement de 2020. Dans un continent où la plupart des citoyens ne bénéficient pas de systèmes de chômage ou de filet de sécurité économique comme en Europe, des millions de personnes ont été précipitées dans la grande pauvreté.
Pour essayer de soutenir les aires protégées et les communautés locales avoisinantes en détresse, différentes stratégies ont été expérimentées. Certains pays ont tenté de favoriser le tourisme local en réduisant les prix des tickets d’entrée de 50 % en Ouganda ou de 70 % au Botswana. L’afrique du Sud s’est, elle, lancée dans la visite virtuelle de ses parcs. Mais ces initiatives seront-elles suffisantes pour renflouer un système fragile établi depuis plus de quatre-vingts ans, depuis la création des parcs nationaux en Afrique ?
Avec la chute brutale et dramatique des revenus issus du tourisme, les conflits fonciers, en particulier autour de l’usage des terres, ressurgissent dans les zones adjacentes aux parcs. En Afrique du Sud, dans le Kwazulu Natal, certaines des communautés locales menacent depuis octobre d’envahir les nombreux parcs d’ezemvelo, d’éliminer la faune et la flore sauvages, pour y faire paître leur bétail, cultiver la terre et y construire leurs maisons. La perte d’emploi lié à la gestion de ces parcs a par ailleurs ravivé les tensions. Les communautés locales réclament des emplois permanents car la terre leur appartient. Les autorités des parcs craignent la dégradation des infrastructures, y compris les clôtures, avec le risque que des animaux dangereux s’en échappent et attaquent les populations riveraines.
Que va-t-il se passer si les États Parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptent l’objectif d’augmenter les zones protégées de 30 % à l’échelle globale ? En Tanzanie ou en Namibie qui consacrent plus de 50 % de leur territoire à la faune et flore sauvages (parcs nationaux et zones de gestion communautaire) et où les droits des communautés sont inscrits dans la loi, cela ne devrait pas trop poser de problème. Cela risque d’être plus dur et source de conflits où la terre est une denrée rare (Rwanda), où les communautés n’ont que des droits coutumiers non reconnus par la loi sur leur terre (RDC, Centre-afrique).
Il est temps de favoriser d’autres modèles de conservation que le système traditionnel des aires protégées. Une étude publiée dans la très sérieuse revue Conservation Biology l’explique : « l’exploitation non durable des espèces sauvages représente une menace sérieuse pour la biodiversité et la subsistance des communautés locales et des peuples autochtones. Cependant, l’utilisation et la gestion durable [un des principes fondateurs de la Cdb]ont le potentiel de prévenir l’extinction des espèces, de soutenir la restauration des populations et de subvenir aux besoins humains ». Après avoir analysé les données de 30 923 espèces de la Liste rouge de L’UICN des espèces menacées, les experts ont conclu que, parmi les 40 % qui faisaient l’objet d’usages (en majorité comme animaux de compagnie, de zoo, dans l’horticulture ou pour la consommation humaine), 72 % étaient classées dans la catégorie « préoccupation mineure » dont la moitié montrait des effectifs de population stable ou croissante !
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Sur un continent où la plupart des citoyens ne bénéficient pas de systèmes de chômage, des millions de personnes ont été précipitées dans la grande pauvreté.