Vous avez dit éthique ?
L’éthique ! Voilà un beau mot-valise: que l’on croit plein et qui est vide de sens. Du coup, on l’utilise aussi bien avec une étonnante spontanéité qu’avec une prudence extrême. La chasse est attaquée de toute part. Dans un contexte de crise de la chasse, elle est à un tournant. Il serait pertinent de définir ce terme que nous brandissons aussi bien en interne qu’en externe. Albert Camus avait écrit : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde… » Cela nous rappelle à point nommé que chaque chasseur se doit d’être vigilant quant à sa propre parole.
Alors, l’éthique c’est quoi au juste ? Pour l’international Bowhunting Educational Program, l’éthique « c’est ce que l’on fait quand on est seul dans les bois ». Cette définition simple et accessible est à rapprocher de la racine étymologique qui nous apprend que le mot “éthos” signifie se comporter. L’éthique relève donc de l’agir concret. Elle n’est pas la déontologie qui est une collection de préceptes moraux abstraits que l’on contourne plus ou moins dans l’action. Limitée, la déontologie est incapable de prescrire les critères permettant de faire face à l’incertitude des situations de chasse. Ces situations la débordent toujours. L’association terrain difficile, défense efficace du gibier et ressources du chasseur produit de l’imprévisible. C’est là que le chasseur invente et entre dans le domaine de l’éthique. L’idéal serait d’entrer au bois et de tuer proprement son brocard, fin de l’histoire. Quand cela se passe ainsi le chasseur garde un arrièregoût de fadeur au fond de la gorge ! Il n’y a pas eu de péripéties, il n’y a rien à raconter… C’est fade parce que l’on n’a pas été altéré par la chasse tant il est vrai que chasser vraiment, c’est devenir autre, apprendre et se sentir vivant… Je vais parler d’un temps
que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était dans les Alpes, à Gap-chaudun, territoire de L’ONF. Une expérimentation était menée dans le cadre d’une convention entre l’association sportive des chasseurs à l’arc et L’ONF. J’étais un débutant. « Ah ! Cette crotte de puce au loin, c’est un mouflon ? Mais comment l’approcher à quinze mètres ? » Il a fallu se réinventer soi-même de fond en comble pour découvrir qu’il n’y a de triomphe à la chasse qu’un bref instant car le triomphe laisse rapidement la place à un sentiment plus grand que lui : la gratitude. Et la gratitude ne peut pas se tasser dans une case de la déontologie…
Un autre exemple vécu. C’est un guide de chasse qui dit de bonne foi : « Venez chasser chez nous et nous vous montrerons notre éthique et notre respect du gibier. » Est-ce que l’éthique est quelque chose que l’on peut exhiber ? N’est-ce pas “ce que l’on fait quand on est tout seul dans les bois”? Quant au respect, n’est-ce pas cette distance sentimentale que l’on prend pour que l’autre puisse tenir sa place ? Si le respect est un geste d’effacement de soi au profit de l’autre – « une contrainte de l’amour-propre », comme le dit le philosophe Emmanuel Kant –, comment peut-on seulement croire que l’on puisse “montrer son respect pour la bête de chasse” ?
Dans le cadre de ces réflexions “hors clous” que nous essayons de mener pour adapter la chasse à notre temps, ne devrions-nous pas tourner la page des guides de chasse à la “Out of Africa”?
Qui ne reste coi devant ces images sur Youtube où un chasseur, un peu à la traîne, fait tout ce qu’il peut pour suivre l’action et tire docilement quand le guide lui en intime l’ordre ? Quel sens a vraiment la poignée de main finale devant l’appareil photo ? Dans le trio habituel du chasseur, du guide et du pisteur, souvent c’est ce dernier qui chasse vraiment. Le guide est celui qui prend soin de son client et de sa sécurité. Le chasseur, lui, joue le rôle douteux du tireur payeur… Ce modèle ne pourrait-il faire la place à un autre où le gibier serait celui qui guide le chasseur sur son territoire, où le guide serait un médiateur et un organisateur et où le pisteur serait le complice qui permet au chasseur d’aller vers son risque? On changerait ainsi de point de vue et la chasse deviendrait une activité où, par l’éthique, le chasseur serait l’auteur de son aventure. Cette éthique aurait vocation à rejoindre l’esthétique. Son récit permettrait de partager la richesse de la chasse avec ceux qui ne chassent pas. Quel que soit le résultat de l’action de chasse, celle-ci aurait toujours un sens.
On l’aura compris, il ne s’agissait pas ici d’apporter des solutions ou de donner des leçons mais de poser noir sur blanc des questions. Le risque assumé est que les questions posées soient inanes mais en situation d’incertitude, n’est-ce pas de rigueur ?
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À lire L’éthique. Essai sur la conscience du mal, d’alain Badiou (Éditions Nous, 2003).
L’éthique n’est pas la déontologie qui est une collection de préceptes moraux abstraits que l’on contourne plus ou moins dans l’action.