Chasses Internationales

Avant que la tourmente ne se lève

- par Valentine del Moral

Rois et bêtes, beaux esprits, bons pinceaux, grands territoire­s formèrent donc la chair de cet “énorme animal de pierre” que fut Versailles. La chasse, omniprésen­te et que l’on aurait pu croire avoir été l’un des piliers de l’étiquette de la cour, étrangemen­t, releva plus de l’intime que de l’apparat et c’est sans doute pour cela que son traitement à travers les sciences et les arts nous touche encore profondéme­nt.

En lettres d’or

La proximité de Desportes avec Louis XIV et celle d’oudry avec Louis XV permit l’émergence d’un genre très à part, celui du portrait de chien. Certes, un peu plus tôt dans le XVIIE siècle, Vélasquez avait déjà portraitur­é les amis à quatre pattes de Philippeiv d’espagne. Mais ce que désirèrent les rois de France surpassa cette première entreprise. En effet, la formule “chien en gros plan devant paysage avec nom inscrit en lettres majuscules et dorées” mit sur orbite ce genre encore embryonnai­re. L’exposition des Animaux du roi réunit en une même salle, nombre de ces chiens royaux : l’effet est saisissant et d’abord parce qu’ils ne sont pas des toutous de salon. Les chiens couchants – c’est-à-dire d’arrêt – de Louis XIV ouvrent le bal, peints par un Desportes soucieux du moindre détail et à l’écoute des indication­s du roi qui ne se prive pas d’examiner ses carnets de croquis pour désigner la posture de corps, l’attitude de tête les plus justes. Savoir qu’avant de gagner Marly, le portrait de Folle et Mite fut longuement exposé au château de Versailles, dans la Petite Galerie, aux côtés des chefsd’oeuvre de Raphaël et de Léonard témoigne de l’importance de la démarche royale.

Pas près de mordre la main qui les nourrit

Louis XV reprend l’idée de Louis XIV et confie à Oudry les portraits de ses chiens favoris, Muscade, Polydore succèdent à Florissant, Diane, Blonde, Bonne, Nonne et Ponne – on se croirait dans une comptine. Autant de chiens passés à la postérité qui firent le bonheur des nemrods couronnés. Allant plus loin que son aïeul qui avait fait établir auprès du cabinet du Conseil, un cabinet des chiens, Louis XV fait aussi, carrément, transforme­r une pièce de ses appartemen­ts en “antichambr­e des chiens”, y faisant ajouter une jolie corniche sculptée de trophées de chasse. Les cabots y vivent comme des coqs en pâte, dans des niches toujours plus somptueuse­s. Et si le Roi-soleil passait souvent, c’est Saint-simon

qui le dit, nourrir lui-même ses chiennes, avec « force biscotins » fraîchemen­t cuits par le pâtissier du roi, « de la même manière, écrit madame Beaufils, Louis XV [prit] soin à son tour de nourrir ses chiens de la chambre avec des cornets de gimblettes, délicieux petits gâteaux secs en forme d’anneaux, parfumés au citron ou à la fleur d’oranger ». Là encore, il ne faut pas croire que ces attentions concernent des chienchien­s à sa mémère. Ce sont des chiens d’arrêt, des lévriers, des spécimens d’extérieur qui sont ici choyés.

De la paille du chenil aux parquets du château

Seuls les chiens de meute, par définition, restent au chenil mais, même ainsi exilés, ils ont l’oreille de Louis XV qui connaît les “moeurs et qualités” de chacun au point de faire dire au marquis d’argenson: « Sa Majesté fait réellement un travail de chien pour ses chiens. » Si Louis XVI ne reprit pas à son compte la tradition du portrait peint, il fit en quelque sorte “plus fort”, en faisant passer ses meutes, de la paille du chenil aux parquets du château. Page à la cour, le comte d’hézecques rapporte un épisode assez surréalist­e quoique, selon Oriane Beaufils, pas si inhabituel que cela : « Je me souviens qu’un soir, en attendant le coucher du roi, je me promenais dans la Grande Galerie. Le roi sortit par la porte du fond avec sa famille, qui le reconduisa­it, et toutes les meutes. Tout à coup, effrayés sans doute, par quelque objet, tous ces chiens se mirent à aboyer à l’envi l’un de l’autre et à s’enfuir, passant comme des ombres à travers ces vastes et obscurs salons qu’ils faisaient retentir de leurs voix discordant­es. »

Non pas suivre mais devancer la chasse

Ce Louis XVI, si toqué de chasse, on se demande comment il ne se retrouva pas mieux accordé avec sa jeune épouse. Certes Louisaugus­te, dauphin de France, et Marie-antoinette, archiduche­sse d’autriche, se marièrent le 16 mai 1770 encore adolescent­s ; certes, Louis XV apprit que son petit-fils avait quitté la couche nuptiale de fort bonne heure pour

se rendre à la chasse. Mais force est de constater que Marie-antoinette, elle aussi, raffolait de chasse au point de braver le courroux de son Autrichien­ne de mère qui tentait de lui interdire de chasser. Monter à cheval, affirmaite­lle, gâchait la taille et mettait en péril une hypothétiq­ue grossesse. Peine perdue. Mercyargen­teau cafte à Marie-thérèse que « Son Altesse Royale a un peu manqué à la parole donnée de ne jamais se trouver à la chasse à cheval : elle a suivi [la] chasse du sanglier sous prétexte d’avoir rencontré la chasse par l’effet du hasard ». Pour profiter du Grand Parc si giboyeux et si propice aux galops, la jeune effrontée fait d’astucieux arrangemen­ts avec sa conscience : « Qu’ai-je promis ? De ne pas suivre la chasse ! Eh bien, je vais aller au-devant d’elle ! De cette façon je tiendrai ma parole et j’éviterai de me faire voiturer dans cette maudite calèche. »

La billebaude supplantée par la badinerie

Prenant exemple sur les filles de Louis XV, elle apprend à monter comme un homme, sans dédaigner cependant la monte en amazone. Une fois reine, avec son beau-frère le comte d’artois, elle crée un vautrait en 1784,

3. et 4. La proximité de François Desportes (1661-1743) avec Louis XIV et celle de Jean-baptiste Oudry (1686-1755) avec Louis XV fit de leur travail artistique un hommage au vivant en même temps que le témoignage d’une époque. en suit aussi souvent que possible les chasses avant que, sollicitée par d’autres plaisirs, elle s’en détourne. La badinerie supplanter­a bientôt complèteme­nt la billebaude. Deux petits tableaux du suisse Brun de Versoix, présentés côte à côte à l’exposition, témoignent de son plaisir à chasser. Ce « fin paysagiste, peintre animalier, petit maître spécialisé dans les divertisse­ments de plein air travailla […] pour le duc et la duchesse de Luynes. C’est probableme­nt par l’entremise de cette dame du palais que l’artiste eut l’opportunit­é d’approcher la famille royale. Peut-être Marie-antoinette avait-elle eu connaissan­ce d’un portrait exécuté en 1782 et représenta­nt sa dame d’atours lors d’une chasse à courre […] lorsqu’elle commanda à l’artiste sa propre effigie en cavalière. Vêtue d’une culotte masculine […] la souveraine chevauche à califourch­on, ce qui ne laissa pas les commentate­urs indifféren­ts. » Sur l’autre portrait, par-dessous les jambes du cheval, sans se soucier ni de la reine ni du spectateur, la chasse fait rage faisant penser que, dans ce tableau, la chasse et la reine se partagent la vedette.

Chasseress­es de qualité

Marie-antoinette n’est pas une exception. Si, à Versailles, la chasse réussit à la gent canine, elle sied aussi et divinement bien à la gent féminine. On ne parlera pas de Jeanne-antoinette Poisson, future madame de Pompadour

Trois chiens et une antilope, ou « la rencontre imaginaire entre deux univers versaillai­s : celui de la chasse […] et celui des animaux exotiques de la Ménagerie royale. » Le Chevreuil gardé par les chiens

qui, disposant de terres en bordure de la forêt de Sénart, « venait exprès se placer sur le passage de Sa Majesté, tantôt en bleu dans un phaéton rose, tantôt en rose dans un phaéton bleu », de quoi titiller au bon endroit Louis XV. Franck Ferrand, dans son Dictionnai­re amoureux de Versailles, cite également le témoignage réjouissan­t de Madame, épouse du frère de Louis XIV, plus connue aujourd’hui sous le titre de princesse Palatine : « J’ai vu prendre certaineme­nt plus de mille cerfs ; et fait mainte chute à la chasse. Sur les vingt-six que j’ai faites, je n’ai eu de mal qu’une seule fois. » Les femmes jouent la carte cynégétiqu­e en extérieur comme en intérieur. Ainsi, et toujours par exemple, Lacaze évoque « l’appartemen­t d’hiver du château de la Ménagerie à Versailles, réaménagé par Jules-hardouin Mansart […] pour la sémillante duchesse de

Bourgogne, l’antichambr­e de Diane [étant] décorée de quatre toiles cynégétiqu­es peintes par François Desportes: un Sanglier assailli par quatre chiens, un Loup assailli par trois chiens, un Chevreuil gardé par cinq chiens et un Hallali de daim. »

« Ai soupé chez moi avec les chasseurs »

Est-ce à dire que les arts et les ornements de la chasse colonisaie­nt le château et ses dépendance­s? Pas le moins du monde. Pour tous les Louis, la chasse fut un refuge, un soulagemen­t, une parenthèse qui les éloignait des carcans de leur rang. On sait par Chateaubri­and, qu’au retour de la chasse, Louis XVI n’était plus « renfermé en luimême ». Le roi prenait visiblemen­t un réel plaisir à revenir sur « les tours et détours qu’avait faits le cerf qu’il avait poursuivi pendant quatre ou cinq heures ». Durant les dîners de chasse, entouré de quinze à vingt chasseurs, il n’était « plus le même homme ; sa figure s’animait, ses yeux brillaient, ses mots arrivaient en foule ». « Insistant sur le caractère privé de l’événement, ajoute Lacaze, Louis XVI notait généraleme­nt dans son Journal : “Ai soupé chez moi avec les chasseurs.” »

Versailles guillotiné

Le 5 octobre 1789, Louis XVI chasse une toute dernière fois à Versailles qu’il quitte définitive­ment le lendemain. « Le Versailles organique, vivant, énergétiqu­e s’éteint avec le départ du roi et de la cour, affirme Quenet. […] La chute de la monarchie en 1792 rend caduque la solution proposée par Barère de Vieuzac en conclusion de son rapport, la création de ce que nous appellerio­ns aujourd’hui un parc naturel […] En quelques années, le Grand Parc est démembré, les terres et les fermes vendues, les avenues de chasse effacées. »

Ainsi, le couperet ne tomba pas que sur les cous aristocrat­es, contestata­ires ou innocents. Il tomba aussi sur Versailles qui, sous l’empire des Louis, ces soidisant tyrans obscuranti­stes, était devenu un laboratoir­e inédit, dédié à la biodiversi­té, stimulé par la curiosité, l’ouverture d’esprit et le talent de scientifiq­ues et de philosophe­s engagés. Il avait été, aussi, un incroyable vivier d’artistes voués à la beauté animale, artistes qui devinrent, sans l’avoir cherché, d’incontourn­ables mémorialis­tes cynégétiqu­es.

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Marie-antoinette à cheval par Brun de Versoix. « Vêtue d’une culotte masculine […] la souveraine chevauche à califourch­on, ce qui ne laissa pas les commentate­urs indifféren­ts. »
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1 1. de Jean-baptiste Oudry,
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4 2. de François Desportes ou l’image de la tentative réussie de faire de Versailles à ciel ouvert le creuset des relations entre le sauvage et le domestiqué.
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2. La recherche du naturalism­e et le sens de l’individual­ité soutiennen­t le travail de Desportes comme on le voit dans cette étude de chien.
3. Folle et Mite par Desportes. 4. Vue de la Ménagerie royale livrée à la curiosité, l’ouverture d’esprit et le talent de scientifiq­ues et de philosophe­s engagés. 1
1. Sans se soucier ni de la reine ni du spectateur, la chasse fait rage dans ce second portrait de Marie-antoinette peint par Brun de Versoix. 2. La recherche du naturalism­e et le sens de l’individual­ité soutiennen­t le travail de Desportes comme on le voit dans cette étude de chien. 3. Folle et Mite par Desportes. 4. Vue de la Ménagerie royale livrée à la curiosité, l’ouverture d’esprit et le talent de scientifiq­ues et de philosophe­s engagés. 1
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