Le changement, c’est maintenant ?
Depuis peu, je reçois plusieurs demandes de pension par semaine, quand, il y a encore quelques mois, je passais des annonces pour faire découvrir le concept de l’écurie, qui attirait principalement des propriétaires de vieux chevaux éclopés… Étrange non ? Y-aurait-il du changement dans l’air ? PAR SOPHIE DUHAMEL. ILLUSTRATION : BRUCE MILLET.
Le phénomène est apparu en fin d’année dernière, disons en novembre/décembre, à une saison où je ne prends plus, théoriquement, de nouveau pensionnaire. Pour avoir vécu des intégrations hivernales, à base de glissades dans la boue, tant pour moi que pour les équidés, de cheval mis à l’index du groupe qui attend sous la pluie à l’entrée de la stabulation avec une mine désespérée, et de longues heures de surveillance les pieds gelés et la goutte au nez, je préfère différer ces moments toujours délicats à une période plus confortable pour moi et plus sécurisante pour les chevaux. Généralement, ce n’est pas la saison où je suis sollicitée. Qui aurait l’idée de sortir son cheval du box en plein hiver pour le mettre dans une pension 100 % extérieur ? Apparemment, plus de monde que je ne le pensais...
Objectif atteint
Permettez-moi de me gargariser le temps d’un paragraphe. L’effectif de ma modeste structure est aujourd’hui au complet, j’ai atteint l’objectif qui me paraissait raisonnable (rapport à mes petits bras musclés et à la superficie limitée du terrain) à la création de mon écurie en paddock paradise, il y a cinq ans. De nouveaux pensionnaires arriveront seulement au départ d’anciens. Et j’ai une liste d’attente, si, si. En toute franchise, jusqu’à cette année, ça ne se bousculait pas au portillon ! J’ai même un peu ramé les premiers temps pour convaincre du bien fondé de la vie en troupeau, dehors H24, pieds nus…
Avec mes premiers propriétaires « militants », on se sentait parfois appartenir à un genre de secte des « chevaux au naturel », tellement nos choix d’hébergement, d’alimentation et de travail paraissaient en rupture avec un milieu conventionnel (oserais-je dire conservateur ?). Un peu comme les citadins qui « plaquent tout » pour partir vivre à la campagne, faire pousser leurs légumes et cuire leur pain, et qui sont parfois regardés avec une certaine condescendance. C’était pareil pour nous autres les piedsnudistes-adeptes-du-paddock-paradise. Et puis il y a eu 2020. Inutile, je suppose, de revenir sur les épisodes de confinement ?
2021, nouvelle ère ?
Quand, il y a quelques semaines, j’ai été sollicitée pour une pension, j’ai été flattée et rassurée sur le bien fondé de ma structure. Quand une autre demande s’est présentée quelques jours après, j’ai été surprise. À la suivante, un tantinet parano, je me suis demandée si un collègue ne me faisait pas une mauvaise blague. Ou s’il ne s’agissait pas de tentatives d’attaques de méchants tortionnaires de chevaux… Oui, j’avoue, l’année précédente a légèrement entamé ma santé mentale !
Mais ce sont des « vrais gens » tout à fait normaux et bien intentionnés qui sont venus visiter. Et puis le phénomène s’est amplifié. Redevenue plus rationnelle, j’ai alors mené l’enquête pour savoir si des confrères avaient mis la clé sous la porte dans le secteur. Mais non, aucune faillite n’est à déplorer. C’est déjà ça. Sauf que je reçois toujours entre une et trois demandes de pension par semaine, voire plus… Demandes que je dois hélas décliner. Et pas seulement des vieux ou des éclopés pour une fois ! Des poulains, des pouliches, des entiers, des poneys, des chevaux de sport…
En discutant avec ces clients potentiels, une tendance se dégage dans leurs aspirations : que leur cheval soit libre de ses mouvements, qu’il vive avec des congénères, mais qu’il soit aussi surveillé et soigné comme s’il était au box. Entendez « une vie en extérieur mais pas livré à lui-même ». Il est sans doute trop tôt pour dire si la tendance est durable et annonce une nouvelle ère, mais quelque chose est en train de changer. Hâte d’assister à cette mutation !
« Qui aurait l’idée de sortir son cheval du box en plein hiver pour le mettre dans une pension 100 % extérieur ? »