Cheval Magazine

Un cheval dans la vigne et dans la ville

En Auvergne, au coeur du Puy-de-Dôme, Rémi Ducrocq, un meneur au parcours hors-norme, entreprend depuis plusieurs années des actions originales et sociales autour des chevaux. Une passion militante ! PAR DELPHINE GERMAIN.

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Hors des sentiers « archi battus », comme il aime à le souligner, Rémi Ducrocq mène sa barque ou plutôt son attelage sur les chemins de la transmissi­on et de la passion du cheval. Depuis son fief d’Égliseneuv­e, petit bourg perché de la Toscane auvergnate, pays de collines où serpentent des cours d’eau dans des vallées boisées au coeur du Parc naturel régional Livradois-Forez, cet éleveur de chevaux propose des prestation­s en attelage et en traction animale. S’il accepte de jouer le Père Noël en décembre et d’accompagne­r quelques touristes en balade aux beaux jours, le coeur de son activité se noue autour d’actions agricoles et solidaires avec les chevaux.

Le cheval dans la vigne

Ces dernières années, le meneur a mis en place une formation, pour les vignerons, à la traction animale et au travail dans les vignes. Sans être une terre de vignobles aussi riche que la Bourgogne ou le Bordelais, cette partie du Puyde-Dôme où il vit, est constellée de villages vignerons. Depuis un an, Rémi Ducrocq travaille par exemple avec une petite exploitati­on viticole de Moissat, La Cave à Janot. « Ce sont des vignerons en bio qui sont intéressés philosophi­quement et qualitativ­ement par le travail avec le cheval », précise-t-il. « Nous travaillon­s beaucoup sur des vieilles vignes, ce qui peut être parfois délicat. Évoluer dans les vignes, en traction animale avec un cheval offre une meilleure qualité qu’un tracteur qui tassera la terre de façon plus importante. Avec le cheval, on va travailler plus finement et qualitativ­ement. L’intérêt pour nous est d’avoir une bonne expression du terroir pour les vignes, et pour cela des sols riches en matières organiques. Moins le sol est tassé, plus il y a de vie, et meilleur c’est pour la vigne », détaille le vigneron Jean Dubien avant d’ajouter, « sans compter que l’on prend plaisir à travailler avec un cheval et à retrouver Océane ». Dans la formule que propose Rémi, il y a en effet la location du cheval. Ainsi, plusieurs fois par an, Jean et sa femme Cécile retrouvent la comtoise.« Ce qui est fantastiqu­e, c’est qu’elle a intégré ce

qu’elle doit faire, on arrive à avoir de la complicité, parfois même elle nous devance dans nos actions ! », souligne-t-il. « La plupart des exploitant­s agricoles ne peuvent pas avoir de chevaux à l’année, c’est pourquoi cette formule les intéresse. Après la formation, je leur loue le cheval à la journée, je le récupère tous les soirs », ajoute Rémi Ducrocq. Les formations durent en général 100 heures (au minimum) pour permettre d’être autonome à la journée. Au départ, la plupart des élèves (souvent des adultes en reconversi­on) n’ont aucune approche, ni connaissan­ce du cheval. C’est pourquoi, ils sont très intéressés par le dispositif mis en place par le meneur-formateur qui leur confie des chevaux dressés à la journée. À ce jour, Rémi dispose de quatre chevaux au travail, et de plusieurs autres en pension et au débourrage.

Des boeufs aux chevaux

C’est avec des agriculteu­rs qu’enfant, le jeune Rémi découvre entre 8 et 14 ans la traction animale et le cheval, dans le village de Saint-Julien-de Coppel, où il a grandi. « Mes deux plus proches voisins travaillai­ent avec des boeufs Salers, je me rappelle encore leur nom, Tambour et Clairon, et avec un cheval. C’est ainsi que j’ai appris et que j’ai pris goût, très jeune, à travailler avec les animaux. Issu d’une famille de chasseurs, je me suis débrouillé tout seul. Gamin, je faisais du porte-àporte avec un sceau et une éponge, je lavais des voitures, tondais les pelouses et les haies pour payer mes heures de cheval. Puis, j’ai suivi des études agricoles, j’essayais de trouver des fermes où il y avait des chevaux, c’était rare et l’usage des chevaux de trait n’était pas le même », se souvient-il. À l’âge de 23 ans, le jeune homme parvient à reprendre le centre équestre de Saint-Julien de Coppel. « À l’époque j’avais fait un arrangemen­t verbal avec le propriétai­re, comme ça arrivait souvent. À son décès, ses héritiers ont exigé de l’argent tout de suite que je n’avais pas, j’ai été contraint de partir. » Un premier coup dur qui n’altérera pas la ténacité de cet Auvergnat. « Je suis parti travailler sur un spectacle son et lumière en Corrèze, Les Tours de Merle. L’été, il y avait une troupe de spectacle équestre qui venait, c’est ainsi que j’ai appris à voltiger et à cascader. Finalement, je suis retourné en Auvergne, j’avais toujours trois quatre chevaux de selle avec moi. Je randonnais et je voyageais à cheval. » Puis il entame une autre carrière dans le secteur social, « notamment avec des gamins de Clermont-Ferrand que j’essayais de rapprocher du milieu rural et des chevaux », qui ne sont jamais bien loin… « À ce moment-là, j’ai aussi trouvé la maison de mes rêves, une villa sur une colline avec sept hectares de terrain sur lesquels pouvaient vivre mes chevaux. Malheureus­ement, j’ai eu un grave accident de voiture, cela a tout remis en cause, mon employeur m’a considéré inapte, j’ai été licencié. » Nouveau coup du destin. Rémi se relève fois encore grâce aux chevaux. Diplôme d’ATE (Accompagna­teur de tourisme équestre) en poche, il a l’idée de développer son activité autour du cheval (après avoir passé les certificat­ions et permis nécessaire­s), pension et débourrage pour commencer. « Je suis parti au Haras d’Uzès passer le monitorat d’attelage avec une spécialisa­tion débardage. J’ai aussi passé le CAP de sellier harnacheur, je me suis formé au travail du cuir, je me suis même installé sellier pendant un temps, mais je me suis aperçu que cela m’éloignait des chevaux plutôt que

cela me rapprochai­t, l’inverse du but recherché ! » Depuis quelques années, il est aussi reconnu formateur en traction animale.

Le cheval dans la ville

Et si tous ses chevaux vivent au pré, question de « bien-être animal », Rémi Ducrocq bataille ferme pour redonner au cheval sa place en milieu urbain. « En ville, on ne réintrodui­t que des machines, de la ferraille, des vélos, des trottinett­es, des tramways… Avec du vivant, c’est différent, on offre vraiment du bonheur à la population. Les gens sont respectueu­x, c’est une forme de lien social dans lequel vous pouvez mettre un côté utilitaire, on peut trouver un rôle au cheval en milieu urbain. », explique celui qui a longtemps mis en oeuvre des actions avec des chevaux (ramassage, collectes, arrosage, désherbage thermique…) dans les communes d’Aubière et de Chamalière­s, dans la banlieue de Clermont-Ferrand. Aujourd’hui, il est surtout fier de celle entreprise l’été dernier et qui l’a conduit dans le quartier de la Fontaine du Bac, en plein centre de la capitale auvergnate. « J’ai eu une élève en attelage qui était animatrice dans une maison de quartier. J’ai eu l’idée de lui proposer un concept autour du “cheval contact”, que je développe surtout avec des handicapés, des aveugles et des enfants, au moment de Noël à la place des traditionn­elles balades en calèche. Le principe est simple : le cheval est juste équipé d’un surfaix de voltige, les gens montent dessus à l’endroit, à l’envers, debout, s’allongent, prennent contact avec lui… On a mis cela en place l’été dernier dans le quartier, à raison de deux séances par semaine. Ce fut un succès phénoménal ! Au-delà de toutes nos espérances. Certains jours, il y avait 200 personnes ! Puis, j’ai ramené du matériel. Et j’ai commencé à former les plus motivés à la longe et aux longues rênes. Le plus jeune cavalier avait 7 mois, la plus âgée 78 ans. Elle est même montée deux fois. Le dernier jour, trois des plus accros ont emmené leur famille se promener, on a ainsi fini par une balade en calèche, menée par des jeunes du quartier, une grande fierté », explique-t-il, réjoui. À la suite de cette incroyable expérience, les habitants n’ont pas voulu en rester là. Ils ont monté un collectif au titre évocateur, Passionném­ent cheval, dont le but est de prolonger ce projet de manière pérenne avec l’hébergemen­t de chevaux dans le quartier, sous la responsabi­lité de leurs habitants. En attendant, l’expérience entamée par Rémi est d’ores et déjà reconduite pour l’été 2021 !

De bon augure pour celui qui cherche à ancrer son action autour du cheval comme « outil d’insertion et de lien social », et qui a encore d’autres projets dans sa besace de bourrelier. « Ce qui m’épate, quand on voit l’impact de telles actions sur la population, c’est que les élus soient aussi décalés. C’est vrai qu’il y a un paquet de charlatans pas formés, qui vont en ville et parfois causent des accidents, ça marque. Mais quand les gens et les chevaux sont éduqués, il n’y a pas de raison que cela se passe mal. Tout le monde aime les chevaux, c’est un animal mythique, et les voir depuis sa fenêtre de son appartemen­t, c’est magique ! Dans le quartier, certains gamins voyaient des chevaux en vrai pour la première fois. » Une révélation.

« Tout le monde aime les chevaux, c’est un animal mythique, et les voir depuis sa fenêtre de son appartemen­t, c’est magique ! »

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 ??  ?? Promenade en attelage par les habitants du quartier de la Fontaine du Bac à Clermont-Ferrand l’été dernier, dans le cadre d’une initiative de découverte du cheval dans la ville, qui sera reconduite en 2021.
Promenade en attelage par les habitants du quartier de la Fontaine du Bac à Clermont-Ferrand l’été dernier, dans le cadre d’une initiative de découverte du cheval dans la ville, qui sera reconduite en 2021.
 ??  ?? L’initiative d’Attel’Auvergne a donné naissance à un collectif qui développe un nouveau projet autour du cheval.
L’initiative d’Attel’Auvergne a donné naissance à un collectif qui développe un nouveau projet autour du cheval.
 ??  ?? Beau succès pour Rémi Ducrocq et ses chevaux, Rosalie, Océane et Juphie, avec près d’une centaine de personnes par séance !
Beau succès pour Rémi Ducrocq et ses chevaux, Rosalie, Océane et Juphie, avec près d’une centaine de personnes par séance !
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