GOURAUD « Le cheval, c’est l’avenir »
Plus qu’un simple ouvrage de passionné, Le cheval, c’est l’avenir, à paraître bientôt (le 3 mars en librairie aux éditions Actes Sud), est un acte militant qui vise à défendre la place du cheval dans nos sociétés contemporaines. Un cri d’alarme signé par l’un des plus grands défenseurs du cheval, qui toute sa vie a oeuvré pour donner au plus ancien compagnon de l’homme toute la place qu’il mérite à nos côtés. Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE GERMAIN.
Son intervention avait fait sensation lors des dernières Assises de la filière équine en novembre 2019. Ses ouvrages – des centaines qu’il a signés ou édités – font référence dans le monde du cheval, et pas seulement. Auteur, éditeur, directeur de collection, cet amoureux du cheval et des belles lettres a commencé sa carrière comme journaliste dans plusieurs grands quotidiens, avant de créer sa propre maison d’édition. Il a aussi dirigé la rédaction de la revue Jeune Afrique. Également considéré comme un historien, véritable « encyclopédiste du cheval », Jean-Louis Gouraud, est aussi et avant tout, un grand bourlingueur, un voyageur à cheval qui toute sa vie a oeuvré, et oeuvre encore, pour la diffusion de la culture équestre à travers le monde. Deux de ses romans d’aventures, inspirés de ces pérégrinations équestres ont d’ailleurs été adaptés au cinéma, Chamane et Serko. Pourtant le cheval ne faisait pas partie de l’univers dans lequel a grandi ce Parisien pure souche. L’intéressé n’explique pas cet élan spontané pour ce fidèle compagnon de l’humanité, « ma fascination pour le cheval est enfantine et mystérieuse », aime-t-il à dire. Comme beaucoup, le jeune Jean-Louis apprendra à monter à l’adolescence, mais à 13 ans déjà, il lui consacre son premier livre au titre évocateur Le cheval fier compagnon. Le premier d’une longue liste qui n’est pas prête d’être terminée…
Cheval magazine : Vous êtes aujourd’hui reconnu et considéré comme un véritable « encyclopédiste » du cheval et de l’équitation. Combien d’ouvrages avez-vous consacrés à ces sujets ? Jean-Louis Gouraud:
Comme éditeur, j’ai dû en publier environ 200 et, comme auteur, en écrire une bonne trentain e ! Mais ce n’est qu’un début…
CM :
Un début ? Vous n’avez donc pas l’impression d’avoir fait le tour de la question ? J.-L. G :
On ne fera jamais le tour de la question. Le cheval est un sujet inépuisable, sur lequel on va pouvoir écrire encore des centaines de livres. C’est un peu comme les histoires d’amour : ce n’est pas parce qu’on en a déjà raconté des millions qu’on a épuisé le sujet. En ce qui concerne le cheval, il est lié de façon si intime – et si ancienne – à l’homme qu’on ne peut évoquer l’un sans évoquer l’autre. Quelqu’un l’a dit avant moi : si vous en retirez le cheval, il ne restera pas grand-chose de l’histoire des hommes ! Et puis, il n’y a pas que l’histoire, c’est-à-dire le passé : il y a le présent. On ne cesse de mieux étudier, observer, et donc de comprendre le cheval. Cela donne aussi une abondante littérature.
CM : Le passé, le présent, mais aussi, l’avenir, comme vous le rappelez dans votre nouvel ouvrage : Le cheval, c’est l’avenir ! Vous accompagnez cette for
mule d’un sous-titre à la fois attrayant et provocateur... « Qui peut encore faire le lien entre l’homme et la nature ? Sûrement pas les robots ! » J.-L. G :
Attrayant et provocateur ? Oui, je l’espère ! C’est le but. Mais ce tout petit livre – moins de 100 pages, 8 euros ! – est surtout un cri : un cri d’alarme et un cri d’espoir. Je m’alarme, en effet, d’une tendance de plus en plus perceptible, qui consiste à dire : « Les chevaux ne vous ont rien demandé ; foutez-leur la paix ! » En d’autres termes, cessez de les employer, de monter dessus, de les atteler, de les faire courir ou de vous balader sur leur dos. Même si cela part souvent d’un bon sentiment, c’est une dérive extrême
« Le voyage à cheval est le meilleur moyen de découvrir réellement le monde, à la bonne vitesse, en obligeant celui qui voyage à faire preuve d’une attention, d’une vigilance, d’une curiosité de tous les instants : mieux regarder la nature, mieux observer le monde extérieur et mieux communiquer avec ceux qui se trouvent sur votre chemin. »
ment dangereuse, car elle débouche, à terme, sur une éventuelle interdiction pure et simple de pratiquer l’équitation. Ce serait une immense catastrophe, non seulement pour les cavaliers, mais aussi pour les chevaux eux-mêmes. Car, contrairement à ce que croient ceux qui n’ont jamais fréquenté les chevaux, le travail, lorsqu’il est bien fait, n’est pas pour eux une corvée, ni une aliénation. C’est un jeu, un plaisir. Je dirai même (et je donne des exemples qui le prouvent) que le travail fait partie du bien-être du cheval.
CM : Ça, c’est le cri d’alarme. Y-a-t-il un cri d’espoir ? J.-L. G :
Contrairement à ceux qui prétendent que le cheval c’est fini, c’est démodé, c’est le passé, je pense exactement l’inverse. Les progrès techniques ont eu d’indiscutables avantages, mais ils nous ont éloigné de la nature. En France, comme dans toute l’Europe, 80 % de la population vit dans des villes où l’on ne sait plus rien des cycles naturels. L’informatique, cette invention géniale, nous a apporté toutes sortes de facilités, mais nous a en même temps enfermés dans un monde virtuel. Le résultat est que plus on est connecté au cyberespace, plus on est déconnecté de la nature. Cette déconnexion va finir par devenir invivable, parce qu’elle occulte
toute une partie de nous-mêmes, de notre partie animale. Il faudra alors trouver un moyen de se reconnecter au monde vivant, ce sera nécessaire – et même indispensable – à notre équilibre. C’est alors qu’on s’apercevra du rôle que pourra jouer le cheval dans cette démarche vitale. Voilà pourquoi je pense réellement que « le cheval, c’est l’avenir ». CM :
Pourquoi le cheval en particulier ? Cela ne pourrait-il pas aussi bien fonctionner avec n’importe quel animal ? J.-L. G:
Non, justement parce que le cheval n’est pas n’importe quel animal ! Le cheval n’est ni un animal de compagnie ni un animal de rente. Je ne suis même pas sûr qu’il soit un animal « domestique ». On ne peut le comparer ni au chien, ni au chat, ni aux hamsters, canaris ou poissons rouges d’une part, ni aux vaches, cochons, moutons d’autre part. Si l’espèce tout entière est bien, en effet, une espèce domestique (le célèbre psychanaliste Jacques Lacan préférait orthographier « d’homestique » !), chaque individu de cette espèce doit être à nouveau apprivoisé. C’est-àdire rassuré. Voilà ce qui fait du cheval un cas à part, qu’on ne peut comparer ni assimiler à aucun autre groupe d’animaux. De ce fait, le cheval a une place unique dans la relation entre le monde des hommes et le monde animal. Je dirai même entre le monde des hommes et le monde vivant, entre l’Homme avec un H majuscule et la Nature avec un N majuscule.
CM: En ce qui vous concerne, quelle a été votre première rencontre avec le cheval? Y avait-il des cavaliers dans votre famille? Et quel genre de cavalier êtes-vous ? J.-L. G :
Je suis un bon prototype de ce que peut produire la société contemporaine : un pur citadin, né et ayant grandi à Paris. Aucun cavalier dans la famille, si ce n’est mon grand-père maternel, natif de Saumur, qui avait été employé quelque temps à l’École de Cavalerie comme « cavalier de manège », qui était une façon élégante de désigner, à l’époque, un simple palefrenier. Je me suis toujours demandé ce qui m’avait irrésistiblement attiré chez le cheval, le besoin, sans doute, de me connecter à la vraie vie, de respirer le grand air, d’occuper de grands espaces. J’ai pu satisfaire ce besoin en fréquentant les chevaux, et en pratiquant une équitation d’extérieur. On disait alors « en terrain varié ». La seule explication rationnelle à cette attirance m’a été donnée un jour par un sadu, un vieux sage hindou qui m’a affirmé que j’étais la réincarnation d’un cheval ! À quoi a-t-il vu ça ? À ma drôle de tête, peut-être ?
CM : Vous avez eu des maîtres, des modèles ? Qu’est-ce que pour vous un véritable homme de cheval ? J.-L. G :
Oui, j’ai eu la chance d’avoir pour ami un très grand monsieur de l’équitation, un très grand connaisseur du cheval : Jean-Claude Racinet, dont je viens de publier un choix de textes – articles et correspondances – sous le titre De la légèreté avant toute chose (voir aussi Cheval maga
zine n°588, janvier 2021, ndlr). Pour moi, un véritable homme (ou femme) de cheval est quelqu’un qui n’est pas forcément un cavalier de haut niveau, mais qui possède une connaissance, une compétence, une compréhension aiguës du cheval. Un champion olympique de dressage n’est pas forcément un homme de cheval. Quelqu’un comme le randonneur Marc Lhotka était, lui, un véritable homme de cheval : habile en selle, mais capable de soigner, alimenter, ferrer, secourir les éléments de sa cavalerie, chevaux et cavaliers inclus.
CM : Vous-même avez-vous beaucoup randonné ?
J.-L. G : Oui, y compris en compagnie de mon ami Marc Lhotka, que j’avais entraîné à cheval en Asie centrale. Mais à ce terme de randonner, je préférerais celui de voyager ou, mieux encore, de pérégriner. Je me suis en effet qualifié moimême de « pérégrin émerveillé » lorsque je me suis mis à raconter un de mes grands voyages à cheval, de Paris à Moscou : 3 333 km couverts en 75 jours, grâce à mes deux trotteurs, Prince de la Meuse et Robin, que je montais « à la turkmène », c’est-à-dire en alternance : un jour l’un, un jour l’autre. Celui que je montais portait aussi les bagages, tandis que l’autre, débarrassé de tout poids, se reposait en marchant. Car ce qui fatigue un cheval, ce ne sont pas les kilomètres, ce sont les kilogrammes.
CM: Comment vous est venu ce goût pour le voyage à cheval ? J.-L. G :
Une triple attirance : le besoin de sortir de l’espace confiné des villes, d’aller respirer le grand air, une sorte de nécessité vitale ! Mais aussi l’occasion de vivre une grande intimité avec le cheval, nuit et jour. Partager ses émotions, ses joies, ses frayeurs, ses découvertes, ses fatigues au quotidien, mais aussi ses repas et son repos. Tout cela entraîne une véritable osmose entre le cheval et son cavalier. C’est un échange de bons procédés entre l’un et l’autre : tu me rends service et je m’occupe de toi. Le voyage à cheval, enfin, est le meilleur moyen de découvrir réellement le monde, à la bonne vitesse, en obligeant celui qui voyage à faire preuve d’une attention, d’une vigilance, d’une curiosité de tous les instants. Mieux regarder la nature, mieux observer le monde extérieur et mieux communiquer avec ceux qui se trouvent sur votre chemin.
CM: Dans quels pays avez-vous ainsi vécu les expériences les plus enrichissantes ? J.-L. G :
En dehors de ma traversée de l’Europe pour aller de Paris à Moscou – qui reste un grand moment de ma vie –, je peux évoquer un long séjour en Mongolie, au cours duquel j’ai accompagné pendant plusieurs jours ce qu’on appelle là-bas un « petit médecin ». C’est-à-dire un simple berger, auquel on a donné une formation médicale allant un peu au-delà du niveau d’infirmier. Ce qui lui donne la compétence nécessaire pour assurer une sorte de veille sanitaire sur toute une région, qu’il sillonne, à cheval, bien sûr, tout au long de l’année. En l’accompagnant dans ses tournées quotidiennes, j’ai assisté à des scènes extraordinaires. Il y avait dans la paroisse de mon petit médecin deux centenaires encore valides et il en était très fier. C’était une preuve de l’efficacité de ses soins.
CM : Où avez-vous trouvé les meilleurs chevaux ? J.-L. G :
Partout dans le monde, les hommes ont su sélectionner des types de chevaux les mieux adaptés à leurs besoins. Je n’aime pas beaucoup le mot race, mais je l’utiliserai tout de même pour dire que certaines races m’ont particulièrement intéressé. À commencer par le cheval barbe, que j’ai découvert sur les hauts plateaux algériens à une époque où la race était sinon oubliée, du moins un peu méprisée.
Le barbe est pourtant un cheval extraordinaire : sobre, endurant, généreux, ni trop grand, ni trop petit, bien dans sa tête et bien dans son dos. J’ai alors voulu lui redonner la place qu’il méritait, le réhabiliter, comme l’a dit un grand monsieur qui a bien voulu m’aider dans cette tâche, le colonel Denis Bogros. J’ai réussi à convaincre les pays du berceau (Algérie, Maroc, Tunisie) de s’allier aux pays où se trouvent les principaux débouchés (France, Allemagne, Suisse, Belgique) pour créer une organisation mondiale, l’OMCB, destinée à promouvoir la race. J’ai aussi beaucoup contribué, je crois, à faire connaître en France l’AkhalTéké, un cheval originaire du Turkmenistan ; le kabarde, un cheval du Caucase ; le karabakh, originaire d’Azerbaïdjan ; le Marwari, originaire du Rajasthan.
CM : Il y a chez vous quelque chose de militant : vous vous êtes érigé en défenseur du cheval. J.-L. G :
Oui, je suis l’avocat bipède et bavard d’un quadrupède silencieux. Mais en défendant en toutes circonstances la cause du cheval, je défends aussi la cause des hommes. Car, comme j’essaye de le dire dans mon petit manifeste, le cheval est indispensable à l’équilibre de l’homme.
CM : Vous n’avez pas fait, toute votre vie, que vous promener à cheval et publier des livres sur les chevaux ? J.-L. G :
Non, en effet. J’ai mené parallèlement une longue carrière de journaliste politique, plus précisément, géopolitique, avec pour terrains de jeu l’Afrique, le monde arabe, l’espace soviétique (Russie, Caucase, Asie centrale) et une partie de l’Asie, Chine, Inde, Mongolie. Partout, j’y ai vu, et fréquenté, des chevaux. Partout, j’ai pu vérifier que les chevaux ont autant besoin des hommes que les hommes ont besoin des chevaux.
CM : Et maintenant ? J.-L. G :
Je continuerai, si les dieux et les Covid19, 20 ou 21 me prêtent vie, à aller voir d’aussi près que possible ce qui bouge dans le monde. Une chose est sûre : il y aura toujours des chevaux dans les parages.
« Je suis l’avocat bipède et bavard d’un quadrupède silencieux. Mais en défendant en toutes circonstances la cause du cheval, je défends aussi la cause des hommes. Car, comme j’essaye de le dire dans mon petit manifeste, le cheval est indispensable à l’équilibre de l’homme : le cheval est l’avenir de l’homme. »