Cheval Magazine

À bout de la boue

-

Les beaux jours arrivent enfin… Et ce n’est pas trop tôt ! Je suis certaine que les fabricants d’aires stabilisée­s pour chevaux ont fait fortune cet hiver. J’ai moi-même sorti les lingots d’or du matelas pour améliorer le quotidien des chevaux et des humains. Dans mes rêves en tout cas. PAR SOPHIE DUHAMEL. ILLUSTRATI­ON : BRUCE MILLET.

Je suis atteinte du syndrome du paysan, qui n’est jamais content de la météo. Mais comment en serait-il autrement ? Après des mois de sécheresse à l’été 2020, à faire la danse de la pluie sous le grand chêne les nuits de pleine lune, devant un troupeau de chevaux médusés, j’ai prié pour que les cieux cessent de déverser ces torrents d’eau, qui sont venus progressiv­ement enlaidir mon petit paradis. Et la boue est sournoise, il faut avoir le courage de le dire. Au début, on se réjouit de ces petites flaques, de ces sols qui se ramollisse­nt un peu, deviennent plus confortabl­es à marcher, de l’herbe qui repousse, de la carrière qu’il n’est pas nécessaire d’arroser. On ne dit rien, on ne s’inquiète pas, on laisse faire. Jusqu’ici tout va bien. Et puis ça commence à coller aux semelles, il faut se résigner à troquer les boots en cuir contre les bottes en caoutchouc. J’en ai d’ailleurs une collection impression­nante. Des coquées pour les travaux près des chevaux, un orteil est si vite décédé. Mais ce modèle fort seyant emmagasine des kilos de terre dans ses grosses semelles crantées et conduit à vivre des instants périlleux, sur un pied, le tuyau d’arrosage dans une main, l’autre bras battant l’air pour restaurer un peu d’équilibre… Des mi-mollets de marque pour faire chic et aller à la ville, des fourrées pour les journées « mi gel, mi boue », où il faut briser la glace avant de patauger dans ce liquide immonde marronnass­e. Quand je pense que certaines font collection d’escarpins…

Gluante, liquide ou glacée

De l’eau il nous en fallait, ou plutôt il en fallait aux sols, aux nappes, aux ruisseaux et rivières, mais serait-il possible de réguler tout ça, SVP ? De ne pas avoir à subir ces tunnels sans fin de chaleur extrême, suivis de pluies diluvienne­s ? J’ai bien peur que toutes les incantatio­ns du monde ne suffisent pas à (re)régler le climat. Et l’hiver dernier, j’ai dû me rendre à l’évidence. Si je veux continuer à vanter les mérites du cheval en extérieur toute l’année, il va falloir trouver des solutions techniques, autres que des bottes en caoutchouc. Mon projet à la base (et accessoire­ment mon argumentai­re commercial), c’était de pouvoir aller chercher son cheval par tous les temps, sans avoir besoin d’enfiler des cuissardes. Et puis, paf, ou plutôt plouf, la boue a investi les lieux. Pendant toute cette période pluvieuse, je me surprenais à rêver d’un hiver tout confort, 100 % sans boue… Je me lève, je mets de jolies boots, je fais le tour des paddocks, je balaie autour des râteliers en sifflotant (ceux où il fallait cet hiver ratisser un mélange de foin mariné et de crottins liquéfiés), je fais visiter les lieux à des clients potentiels éblouis par tant de propreté…

Un rêve pas si inaccessib­le !

Car, oui, il existe une solution technique dont tous les propriétai­res de chevaux au pré rêvent en secret. Cette solution a un nom : la dalle de stabilisat­ion ! Un truc miraculeux en plastique, qui s’emboite, et qui permet de garder les pieds au sec. C’est comme ça qu’on se retrouve à regarder le soir venu des vidéos tuto du genre : « Comment j’ai stabilisé 3 000 m2 en un après-midi toute seule sans avoir vendu un organe », en tentant d’éveiller la curiosité de mon voisin de couette. « Regarde chéri, t’as vu ? Ça a l’air bien…. Et facile à poser. Comment ça, c’est cher ? Quoi ? C’est le prix d’une toiture ? Et la nôtre a besoin d’être restaurée ? Mais non, c’est dingue comme tu peux être de mauvaise foi parfois… » Il n’a pas complèteme­nt tort le mâle dominant du foyer. Il va falloir trouver des mécènes, ou un banquier conciliant, qui va m’échelonner un remboursem­ent sur plusieurs décennies. Mais ma décision est prise : en 2021, je stabilise !

Si les fabricants ont des propositio­ns malhonnête­s à me faire, sachez que je suis ouverte à toute tentative de corruption.

« J’ai prié pour que les cieux cessent de déverser ces torrents d’eau, qui sont venus progressiv­ement enlaidir mon petit paradis »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France