Cheval Magazine

Benoit Du Peloux, gentleman dessinateu­r

- PAR CHRISTOPHE HERCY. PHOTOS : THIERRY SÉGARD (SAUF MENTIONS).

Autodidact­e absolu, Benoit du Peloux est aujourd’hui un auteur qui compte dans l’univers de la bande dessinée. Ce dessinateu­r humoristiq­ue et spécialist­e du dessin animalier nous reçoit chez lui après la publicatio­n de son 16e album de la série Triple galop, et juste avant la sortie d’une nouvelle création : Le grand châtiment.

Un discret panonceau émaillé indique La Boulaie, on en franchit la grille laissée ouverte et empruntons un étroit chemin bordé de haies qui mène jusqu’à une imposante longère aux murs de pierre enduits à la chaux et au toit d’ardoise. Devant elle, ouvrant sur la campagne et les boqueteaux avoisinant­s, le jardin indique un certain goût pour la symétrie et, en même temps, la flore y est assez libre. Benoit et son épouse ont initié là un concept paysager : le jardin romantique à l’angevine. Dans l’herbage, Écho et Urfi, les montures de Benoit du Peloux, broutent côte à côte. Une porte fenêtre s’ouvre et sa silhouette longiligne apparaît. Sa mise décontract­ée est celle d’un gentleman farmer. Ici, à Saint-Clément-dela-Place,

où Nicolas Touzaint, l’un des plus capés de nos cavaliers de concours complet, a ses écuries, vit et travaille aussi depuis vingt ans ce dessinateu­r de BD reconnu. Avant de partager « un casse-croûte simple » selon son expression, nous suivons notre hôte dans un petit salon très cosy et discutons autour d’un verre de vin. Talentueux, certes, Benoit du Peloux peut aussi s’enorgueill­ir d’être l’un des rares parmi ses pairs à dessiner des chevaux. Dans ce cercle restreint on trouve notamment le père du héros Jonathan Cartland, Michel Blanc-Dumont, « il est très bon cavalier et l’un des premiers importateu­rs de quarter-horse en France » et puis Derib, le père de Yakari et de Petit Tonnerre dont Benoit est fan du graphisme. En plus, Yakari le ramène à l’enfance : « Petit, je m’identifiai­s totalement au personnage et je voulais faire le métier d’Indien (rire) ». Dans son panthéon figurent aussi Albert Uderzo, « les chevaux qu’il dessinait sont hyper bien foutus », et Jean Giraud « le number one » créateur du lieutenant Blueberry. La contributi­on de Benoit du Peloux au monde de la bande dessinée est éclectique (voir encadré). Il a également co-écrit avec Jacynte Giscard d’Estaing, et illustré avec deux comparses, Triple galop : le guide pour mieux connaître le cheval, un ouvrage destiné à la préparatio­n des examens fédéraux jusqu’au Galop 4.

L’inspiratio­n à pied et à cheval

Chaque matin, avant de se mettre à sa table à dessin, Benoit a un rituel. Il s’en va marcher une demi-heure

dans le bois tout proche avec Opale, sa jeune setter anglais. En hiver, il va ensuite complément­er ses chevaux en fourrage, « c’est la mise en train ». Régulièrem­ent, il lui arrive de seller Urfi et de gagner la forêt domaniale de Longuenée où il retrouve quelques amis cavaliers. Ce petit massif est le théâtre d’agréables chevauchée­s. Sans doute Benoit a-t-il besoin de ces moments d’évasion pour mettre bon ordre à son imaginatio­n foisonnant­e, penser à une histoire, en ciseler la chronologi­e, en concevoir la chute. Après 16 albums, les protagonis­tes de Triple galop comptent toujours sur leur créateur pour vivre de nouvelles aventures, que les lecteurs attendent impatiemme­nt à chaque rentrée, quel défi ! « Depuis le onzième album, je ne suis plus seul à travailler sur le scénario, ceci afin de renouveler les idées. » Son associatio­n avec Cazenove atteint immédiatem­ent son but. « C’est un scénariste très habitué à faire des gags, il travaille dans de nombreuses séries chez mon éditeur. » Les deux compères convoquent aussi dans chaque album un nouveau personnage à l’instar d’Adhémar-Alphonse MacHesse que l’on découvre dans le dernier Triple galop : « un général de cavalerie à la retraite qui arrive dans le club, lequel est effaré de la manière dont les gens montent à cheval » (rire).

Les dessous d’un succès

Si Triple galop, c’est aujourd’hui un album par an, au début le rythme fut tout autre. Les cinq premiers sont sortis en l’espace de deux ans et demi, fréquence nécessaire à l’installati­on de la série dans le paysage de la BD. « Je mets six à sept mois pour réaliser les 44 planches de l’album, et le coloriste s’y met lorsque j’en suis à la moitié. » En juillet le travail est achevé, vient la phase d’impression pour une mise en place chez les libraires fin septembre. C’est réglé comme du papier à musique. Le travail de Benoit varie d’une planche à l’autre, à raison du nombre de dessins qu’elle contient. « Au maximum, c’est 12 dessins par planche ». Pour le reste, c’est l’histoire racontée qui en décide, cependant « [son] éditeur n’accepte pas plus de deux planches constituée­s d’un seul des

sin par album. » Chaque page de

Triple Galop est une histoire avec son gag « comme dans Gaston Lagaffe ou Boule et Bill ». Pour chaque album Benoit réalise un storyboard très abouti de l’histoire pour voir si elle fonctionne, qu’il soumet ensuite à l’éditeur. « Les bons jours, il m’en valide sept sur dix, les mauvais trois

(rire). Il a un regard neuf sur mon travail et cela m’oblige à ne pas verser dans la facilité. Il y a une obligation d’exigence. » Ainsi, lorsqu’il entame le nouvel album tout est bordé. « Les seules choses qui peuvent évoluer un peu, ce sont les dialogues. » Cette méthodolog­ie est la même pour toutes ses créations.

« Il faut que l’histoire ait un rythme constant et que la chute soit bien. »

Après le déjeuner, Benoit nous mène jusqu’à son bureau situé à l’étage. La pièce voisine est l’antre d’Isabelle, où celle-ci se consacre à la restaurati­on de tableaux et redore à la feuille des encadremen­ts anciens. Derrière sa porte, il dessine près de huit heures par jour « mais jamais de travail après dîner. » Puis il envoie ses planches à l’éditeur basé en Saône-et-Loire, et aux scénariste­s et coloristes avec lesquels il travaille. Il arrive aussi à Benoit de quitter La Boulaie pour rejoindre des salons et festivals. Perros-Guerrec, Château-Gonthier, Puteaux, et évidemment Angoulême, ont sa préférence.

Une fiction née du réel

Son oeuvre majeure, Triple galop, repose sur une galerie de personnage­s que Benoit du Peloux a côtoyé. Ici l’avertissem­ent « toute ressemblan­ce avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite » n’est pas toujours de mise. Bien au contraire. Avant de revenir dans son Maine-et-Loire natal, Benoit du Peloux a vécu quelques années à Villepreux non loin de Versailles, et a fréquenté le club hippique de Bois d’Arcy. Ce qui l’y a conduit est une remarque que lui fit un jour le rédacteur en chef de Cheval pratique, auquel Benoit collaborai­t comme illustrate­ur. « Tu dessines pas mal tes chevaux me disait-il, mais regarde, là, ton cavalier ne se tient pas comme il faut ! » Ni une, ni deux,

Benoit décide d’apprendre à monter. « C’était un rêve de gamin que je n’avais jamais pu assouvir. » Pendant trois ans, le cavalier du Peloux va observer tout son saoûl ses petits camarades, les chevaux, s’imprégner de l’atmosphère des lieux, pour nourrir ensuite son travail, améliorer la justesse des attitudes rendue par le trait. « Mon propos est de faire des dessins humoristiq­ues, mais que le cheval soit juste. » Ainsi le personnage de Monique, la directrice du club dans l’album Triple galop « est la copie conforme de celle du club de Bois d’Arcy de cette époque, sauf que j’ai changé son prénom ». On retrouve des profils familiers. « Les filles qui arrivent une heure avant la reprise et repartent une heure après, pour qui l’équitation n’est qu’un prétexte pour caresser les chevaux, parce qu’une fois dessus elles ont les pétoches et tentent de ne pas le montrer (rire).» Idem à propos de Mascotte, ce poney en liberté que l’on croise dans tous les albums, celui-là aussi a existé à Bois d’Arcy. « C’était un shetland qui ne

« Mon propos est de faire des dessins humoristiq­ues, mais que le cheval soit juste. »

s’éloignait jamais des chevaux, il était un peu comme un chien. » Mascotte porte bien son nom car c’est lui que les lectrices demandent à Benoit de dessiner le plus souvent pour agrémenter ses dédicaces. En revanche, Bébert, le vieux palefrenie­r dans Triple galop, est une création. Toutefois Benoit y a mis un peu d’un journalier qui naguère venait travailler dans la ferme paternelle. « Il avait une musette avec dedans son litre de rouge. Pendant sa pause il roulait ses clopes, c’était tout un cérémonial, je le regardais faire, j’étais fasciné. » Bébert dispute la vedette à Mascotte dans le coeur des lecteurs. « Il est un peu fainéant, un peu pochtron. C’est un personnage rigolo. »

De l’encre à l’aquarelle

Pour sa série phare, il réalise les planches en noir et blanc lesquelles sont ensuite colorisées à l’ordina

teur, « un monde que je ne manie pas très bien et puis le coloriste fait du bon boulot ». Après 16 albums, le binôme est rôdé. En revanche pour Tracnar et Faribol, Benoit assure luimême la mise en couleurs directe, c’est-à-dire qu’il intervient à l’aquarelle sur chaque dessin, de chaque planche, un travail minutieux et de longue haleine.

« Quand je suis sur un scénario, je mets une musique qui reflète l’atmosphère de l’histoire, mais je ne veux surtout pas entendre parler, j’ai besoin de me concentrer. » Pour

Triple galop, il connait tellement son sujet et ses personnage­s qu’il écoute n’importe quel type de musique

« mais pas de paroles en français, sinon ça me trouble ». Et lorsqu’il est au dessin, peu lui importe, rien ne le dérange.

Avec un sourire malicieux, il nous annonce la sortie le mois prochain d’une nouvelle bande dessinée intitulée, Le grand châtiment (éditions Paquet) dont il est l’auteur et le dessinateu­r, le pitch du tome 1 Avant le déluge : « On est dans l’Arche de Noé, et comme l’indique le titre du premier tome, avant le déluge… ». Nous n’en saurons pas plus, rendez-vous en avril chez votre libraire.

 ??  ?? Une planche assez simple nécessite deux jours de travail, entre le crayonné et l’encrage. Déjà au travail sur le 17e album de Triple Galop, l’auteur reste muet sur l’histoire, il faudra patienter jusqu’à la rentrée prochaine !
Une planche assez simple nécessite deux jours de travail, entre le crayonné et l’encrage. Déjà au travail sur le 17e album de Triple Galop, l’auteur reste muet sur l’histoire, il faudra patienter jusqu’à la rentrée prochaine !
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 ??  ?? Urfi la jument selle français de Benoit avec qui il aime se balader, à la recherche d’inspiratio­n.
Urfi la jument selle français de Benoit avec qui il aime se balader, à la recherche d’inspiratio­n.
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 ??  ?? Pour l’anatomie, il se réfère aux planches d’allures réalisées au XIXe siècle par Eadweard Muybridge.
Pour l’anatomie, il se réfère aux planches d’allures réalisées au XIXe siècle par Eadweard Muybridge.
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