Le brumby, histoire d’un symbole mal aimé
Histoire d’un symbole mal aimé
Cheval emblématique de l’Australie, le brumby fascine tout autant qu’il est contesté. Sa population en surnombre ne fait pas l’unanimité, il est souvent victime de campagnes meurtrières pour le réguler. Pourtant reconnu en 2019 par le gouvernement comme un héritage de la culture australienne, des associations luttent au quotidien pour mettre en place un contrôle des troupeaux pérenne et respectueux de ces équidés.
Nul ne sait d’où vient son nom. Une théorie attribue son origine au sergent James Brumby qui relâcha dans la nature les animaux de son ranch en 1804. Une autre lui prête des origines aborigènes, brumby serait la déformation du mot baroomby qui signifie sauvage.
Une race melting-pot
Désormais sauvage, il est vrai, le brumby a pourtant une histoire intimement liée à celle de l’homme. On estime le début de son importation à 1788, lors de la première vague de colonisation européenne. Plusieurs navires, appelés first fleet, ont pris le large pour établir une colonie en Nouvelle-Galles du Sud. Dans leurs bagages, ils ont emmené avec eux des chevaux du Cap (Afrique du Sud), du Timor (Indonésie), ainsi que des pur-sang anglais et arabes. Sans ces équidés destinés au travail agricole, à la gestion du bétail, aux travaux de construction, à l’acheminement du courrier ou encore comme moyens de transport et chevaux de guerres, l’établissement de la colonie aurait été impossible. Au fil des années certains se sont échappés, d’autres ont été abandonnés au profit d’appareils motorisés et se sont alors acclimatés aux conditions de vie sur le territoire australien. Une de leur particularité est leur robustesse car lors de leur importation ils ont dû survivre à un voyage auquel seuls les plus endurants ont résisté. S’en est suivie la sélection naturelle qui leur a appris à s’adapter à toutes les circonstances entre déserts, montagnes et autres forêts tropicales qui constituent le pays. Le brumby est donc né d’un melting-pot de races, ce qui explique qu’il n’a pas de standard précis. Cependant des variations sont observées selon les régions. Trapu et costaud, dans le Victoria pour résister au froid des hivers, il est plus grand dans le désert, et en Nouvelle-Galles du Sud il se rapproche des Walers Horse, chevaux qui ont été utilisés pour la guerre. Aujourd’hui constitué en hordes, il forme une population férale (retournée à l’état sauvage) de 200 000 à 300 000 individus (selon l’Australian Brumby Alliance), qui est considérée comme une menace pour les écologistes du pays.
La genèse d’un combat
Les écologistes australiens, très attachés aux vastes étendues de faune et flore qui jalonnent le pays, perçoivent la surpopulation des brumbies comme une nuisance pour la biodiversité. Les troupeaux piétinent les sols et entrent en concurrence avec la faune locale qui s’était développée sur les terres sans ces non-natifs. Le gouvernement fédéral dénonce également les torts qu’ils causent aux fermiers dans les pâturages ou encore sur les clôtures. Devenues des bêtes noires, leur régulation semble inévitable et des abattages massifs en hélicoptères sont organisés par les autorités. Appelée aerial culling, cette pratique consiste à voler à basse altitude pour effrayer les chevaux et les rassembler vers des enclos où ils sont abattus à coup de fusil. Leur viande est ensuite exportée ou finit transformée en pâté pour chien. Ce système de tuerie ne permet pas des tirs précis. Certains chevaux agonisent pendant des jours avant de succomber, privés de leurs mères, des poulains sont condamnés à mourir de faim. En 2000, suite au retentissement médiatique qu’ont généré ces méthodes, le gouvernement du Sud a interdit les chasses par hélicoptère, mais cette décision n’a pas été étendue au reste du pays. Ces abattages sont cruels pour l’Australian Brumby Alliance (ABA) qui propose des programmes de régulation alternatifs. Fondée en mars 2009, l’ABA, qui regroupe plusieurs associations, s’est donnée pour mission de promouvoir « la protection et la gestion humaine des brumbies sauvages en défendant les causes communes de nos groupes membres auprès des gouvernements nationaux, des états et des collectivités locales et du public », explique son président Jill Pickering. L’ABA lutte pour obtenir du gouvernement l’allocation de terre sur le long terme pour que les équidés continuent de vivre dans leur état sauvage et pour un changement de la législation. Son combat prend d’autant plus d’ampleur à mesure que la population des chevaux sauvages dimi
nue avec l’intensification des campagnes d’aerial culling. « L'État du Victoria est en train de retirer tous ses brumbies dans le cadre d'un plan approuvé par le gouvernement, qui devrait être achevé en 2022. Nous sommes à court d'options pour prévenir cette tragédie face aux écologistes anti-brumby. »
Un combat pour la vie
L’Australian Brumby Alliance propose deux solutions de régulation des hordes de manière humaine et pérenne : le piégeage passif et le contrôle de la fertilité.
Le piégeage passif consiste à attirer les équidés dans de grands enclos à l’aide de nourriture, d’eau ou parfois d’une jument dressée pour guider les troupeaux. Ainsi piégés les chevaux sont débourrés et proposés à la vente. C’est ce que l’association appelle le Brumby Re-homing. « Chaque groupe de sauvetage et de réhabilitation collecte chaque année entre 20 et 60 brumbies qui sont piégés passivement dans le cadre des plans de gestion officiels des parcs nationaux. Au total, cela représente environ 200 à 300 brumbies, avec de légères variations annuelles. » Mais ces ventes de chevaux ne couvrent jamais la totalité des dépenses et l’association, comme d’autres, doit faire face au manque de subvention car le gouvernement australien ne veut pas investir dans un tel programme.
La fertilité est contrôlée en reproduisant le modèle déjà utilisé sur les mustangs aux États-Unis. En novembre 2009, l’ABA a organisé une campagne de contrôle de la fertilité sur les juments sauvages de Brisbane dans le Queensland, depuis un groupe de travail a été créé pour développer ce processus. Si moins de poulains sont conçus chaque année, cela aura pour effet d’abaisser les hordes de chevaux et permettra de stabiliser la reproduction des équidés féraux de manière durable. Ces traitements sous forme de vaccin sont administrés à l’aide de fléchettes qui, une fois la dose injectée, tombent seules et laissent une trace de peinture sur les juments fertilisées. Elles sont sélectionnées en fonction de leur âge pour leur laisser la possibilité de pouliner au moins une fois. Deux vaccins sont possibles, le Porcine Zona Pellucida (PZP immuno-contraceptive) qui fait produire aux femelles des anticorps pour
Si moins de poulains sont conçus chaque année cela aura pour effet d’abaisser les hordes de chevaux et permettra de stabiliser la reproduction des équidés féraux de manière durable.
empêcher les spermatozoïdes de se fixer à la membrane de l’ovule et le Gonadotropin Releasing Hormone (GnRH immuno-contraceptive) qui interrompt le cycle et empêche la création des oeufs. Ces vaccins peuvent faire effet sur plusieurs années.
Redorer le blason du brumby
Depuis 2013, l’association a lancé le Brumby Challenge, inspiré de l’American Mustang Challenge, qui a pour but de mettre en valeur le brumby. Pendant 150 jours des entraîneurs, professionnels et amateurs, évoluent avec un équidé récemment capturé et non manipulé, sur des épreuves à pieds et montées pour les plus de 4 ans. Les chevaux sont jugés sur leur éducation et la relation nouée avec les entraîneurs, plusieurs épreuves se succèdent. La première consiste à libérer les équidés dans une carrière ronde, à les rattraper au licol puis à prendre leurs pieds et les brosser. Pour la deuxième étape, les chevaux doivent monter dans un char, y rester quelques instants puis redescendre. Ces compétences sont indispensables pour qu’ils puissent évoluer dans leur vie captive. Le prochain palier à franchir est celui d’apprendre à marcher, trotter, galoper, s’arrêter, tourner à gauche et à droite, puis reculer sur demande. La formation continue sous le signe de la confiance, les brumbies doivent passer au-dessus, en dessous et tourner autour de divers obstacles. Enfin, pour conclure leur apprentissage, équidés et entraîneurs doivent réaliser une chorégraphie en musique pour montrer les talents de leurs compagnons. À l’issue de cette formation, étalée sur un peu moins d’un an, les brumbies qui ne sont pas retenus par leur entraîneur sont vendus aux enchères. Ce challenge permet de montrer la forte capacité d’adaptation de ces robustes et polyvalents chevaux qui conviennent à de nombreuses disciplines. L’édition 2020 du Brumby Challenge a été quelque peu perturbée par la crise sanitaire, mais l’association ne se laisse pas abattre et annonce son retour pour 2022. De quoi montrer au public que ces équidés féraux ont encore une histoire à partager avec l’homme…