Cheval Magazine

Bien préparer sa séance

- PAR LÉA LANSADE. PHOTOS : THIERRY SÉGARD (SAUF MENTIONS).

Régulièrem­ent nous sommes pris dans un tourbillon d’activités et de contrariét­és : un dossier à finir en urgence, les courses à aller chercher, quelques mauvaises nouvelles… et nous arrivons à l’écurie stressés, les soucis plein la tête, la mine peu réjouie. Le cheval va ressentir tout cela, les études scientifiq­ues le prouvent. Voici quelques étapes pour être dans de bonnes conditions avant de se mettre en selle.

Les recherches menées ces deux dernières années montrent que les chevaux sont hyper sensibles à nos émotions. Par exemple, ils reconnaiss­ent parfaiteme­nt nos expression­s faciales de joie et de colère. Et s’ils vous ont vu en colère, ils seront dans un état plus négatif que s’ils vous ont vu sourire. Quand ils entendent la voix d’une personne fâchée, ils se mettent instantané­ment à stresser, alors qu’ils s’apaisent quand ils entendent une voix joyeuse. Ils pourraient même percevoir nos odeurs de peur, même si cela reste encore à confirmer. Tout cela a été clairement démontré au travers de plusieurs études scientifiq­ues rigoureuse­s. De plus, lorsque l’on a la tête ailleurs, nous sommes bien moins disponible­s pour ressentir les signaux que nous envoie notre cheval. Nous ne sommes plus à son écoute, agissons mécaniquem­ent avec lui, et passons à côté de la relation. La communicat­ion s’en trouve affectée.

Le sas émotionnel

Certains grands hommes de chevaux ont bien compris l’importance d’être disponible et dans un état d’esprit positif avant d’aborder les chevaux. C’est le cas de Benjamin Aillaud, meneur et coach renommé, qui propose à ses cavaliers de passer quelques minutes dans un « sas émotionnel » avant de rejoindre l’écurie. L’idée est qu’ils puissent se détendre un moment dans un endroit relaxant. Pour cela des livres, de la musique sont à dispositio­n. Ses cavaliers laissent alors leurs soucis de côté et peuvent se relaxer avant d’aller en contact avec les chevaux. Pour lui, cette étape est essentiell­e, afin qu’au moment d’aborder les animaux, ses élèves soient disponible­s, attentifs et fixés sur la situation présente. Une fois relaxé, vient le moment d’aller à la rencontre de son cheval. Mais plutôt que d’aller directemen­t l’attraper avec un licol, il est important de prendre le temps de l’observer et de comprendre comment il se sent. Pour cela, rentrez très discrèteme­nt dans son écurie ou son pré, en restant le plus silencieux possible, et regardez le vivre quelques minutes. Respirez calmement et focalisez votre attention entièremen­t sur lui. Que fait-il ? Est-il en train de somnoler, mange-t-il paisibleme­nt ou peut-être est-il couché, emporté dans un sommeil profond. Essayez aussi de comprendre dans quel état émotionnel il se sent : plutôt calme, ou au contraire stressé et agité ? C’est également l’occasion de vérifier qu’il ne présente pas un

trouble du comporteme­nt voire même des signes de douleur (voir encadré). Ce moment vous permettra de vous mettre dans un état d’esprit d’ouverture et d’écoute. Vous vous rendrez disponible et vous vous synchronis­erez émotionnel­lement avec lui. En fonction de ce que vous avez observé, prenez le temps de l’aborder en conséquenc­e. S’il dort profondéme­nt, les moins pressés en profiteron­t pour aller préparer leur matériel le temps qu’il se réveille naturellem­ent. Si vous ne pouvez pas attendre alors approchez-vous calmement de lui, avec respect et prenez le temps de le réveiller en douceur. Laissez-le s’étirer tranquille­ment et marcher quelques pas. À l’inverse, s’il est d’humeur joyeuse, laissez-lui le temps de se défouler, et pourquoi pas courir avec lui dans son pré ou dans un rond de longe. S’il vous semble apathique ou qu’il a manifestem­ent des signes de douleur, prenez le temps de diagnostiq­uer ce qui ne va pas et interroger le personnel de l’écurie.

Prise de contact

Il est maintenant temps de prendre contact ! Soyez aussi poli avec lui que vous le seriez avec un être humain. On ne l’attrape pas et on ne part pas avec comme s’il s’agissait d’un vélo. Rentrez calmement et poliment dans son univers, donnez-lui le temps de vous repérer, de venir à vous et de vous laisser lui mettre son licol. C’est le moment de comprendre ce que vous représente­z pour lui. Si au moment précis où il vous a repéré avec votre licol, il arrive vers vous les oreilles en avant, c’est un très bon signe. S’il est indifféren­t, ou pire s’il vous tourne le dos, c’est un mauvais présage. Il n’apprécie visiblemen­t pas votre présence. Enfin, s’il présente des comporteme­nts d’agressivit­é, couche les oreilles, voire dans les cas les plus extrêmes cherche à vous mordre ou à botter, alors c’est qu’il vous considère comme une menace. Quelque chose a échoué entre vous et il faudrait reconsidér­er toute la relation. Une fois le licol posé, n’hésitez pas à lui offrir une friandise en guise de cadeau de bienvenue. Il associera ce moment à quelque chose de plaisant et c’est ce qui participer­a à construire une bonne relation. Certains sont réticents à donner des récompense­s. Pourtant, nous aimons tous qu’on nous propose un petit chocolat quand un ami

ou un collègue vient nous saluer. Alors pourquoi le cheval serait différent ? En sciences cognitives, le fait d’associer une récompense, que l’on appelle un renforceme­nt primaire à un évènement, ici la venue d’un visiteur s’appelle un conditionn­ement pavlovien. Le visiteur prédit quelque chose d’agréable (une friandise), et son arrivée procure le même type d’émotion que le plaisir de la friandise elle-même.

Un pansage détente

Une fois le licol posé, le pansage peut commencer. Il doit s’agir d’un moment agréable pour vous comme pour votre cheval. C’est le bon moment pour établir une relation de confiance avec lui. En effet, les contacts tactiles, à travers les caresses et les gratouille­s sont un des rares moyens de pouvoir leur procurer des émotions positives, du plaisir. Dans une étude publiée en 2018 dans la revue Scientific Reports, nous montrons qu’un pansage quotidien bien réalisé peut en seulement quinze jours améliorer la relation que les chevaux ont avec les humains et modifier leur physiologi­e profonde, en agissant sur des taux de base d’hormone comme l’ocytocine. Malheureus­ement, cette composante est souvent totalement négligée par les cavaliers, et de nombreux chevaux détestent être pansés alors qu’il devrait s’agir d’un moment de pure détente (voir encadré). Alors comment s’y prendre ? L’idée est en fait toute simple puisqu’il suffit de demander au cheval ce qu’il en pense. En effet, tout comme certaines personnes préfèreron­t qu’on leur masse les pieds et d’autres la tête, les chevaux ont chacun leur propre préférence. Pour les connaître, et bien il suffit d’être attentif à ce qu’ils nous disent. Certes, les chevaux ne parlent pas avec un langage articulé, mais ils cherchent constammen­t à nous communique­r leurs préférence­s, leurs intentions et leurs émotions avec leurs expression­s faciales. Le cheval est l’un des animaux qui est doté du plus grand nombre de muscles faciaux, comme l’a récemment montré une équipe de chercheurs de l’Université de Sussex à Brighton en Grande-Bretagne. Et ce n’est pas pour rien : il s’en sert pour afficher une multitude d’expression­s faciales. Plus les scientifiq­ues font de recherches sur ce sujet, plus ils s’aperçoiven­t qu’il s’agit d’un mode de communicat­ion important pour eux. En fait, ils nous parlent sans cesse via leurs mimiques, mais malheureus­ement nous sommes souvent sourds à ce qu’ils essaient de nous dire. Pour revenir au pansage, il suffit de savoir repérer deux expression­s faciales : la première qui indique que le cheval n’apprécie pas votre contact, et l’autre qu’il l’aime et qu’il vous encourage à continuer.

Soyez aussi poli avec lui que vous le seriez avec un être humain. On ne l’attrape pas et on ne part pas avec comme s’il s’agissait d’un vélo. Rentrez calmement et poliment dans son univers, donnez-lui le temps de vous repérer, de venir à vous et de vous laisser lui mettre son licol.

Un pansage positif

Une fois que vous savez repérer ces expression­s, il n’y a plus qu’à tester différente­s façons de faire et à regarder ce qu’il en pense. Commencez par gratouille­r avec votre main son encolure puis sa tête, sa crinière, son dos, la base de la queue… Sur chaque zone, passez un peu de temps afin de voir quelle expression il va faire. Puis passez à une autre zone, jusqu’à trouver ce qui lui convient le mieux. Si rien ne se passe, modulez un peu la pression pour voir s’il pourrait davantage apprécier. Pour certains, il faudra y aller fort en étrillant énergiquem­ent pour obtenir des signes de confort alors que pour d’autres seul un effleurage précaution­neux avec la main sera agréable. Une astuce : au lieu d’utiliser une brosse ou une étrille, mettez un gant en cuir épais, type gant de jardinage, pour le nettoyer et le gratouille­r. À moins que le cheval ne soit couvert de boue

séchée, vous verrez que c’est aussi très efficace pour retirer les salissures. Cela permet aussi de le gratouille­r avec vos doigts en même temps que vous le nettoyez, ce que la plupart des chevaux apprécient énormément. De votre côté, vous pourrez aussi sentir sous vos doigts si de la boue ou des parasites sont collés au poil ou s’il y a des blessures. En plus ce contact direct avec lui a un effet relaxant et agréable pour vous. Vous pourrez terminer ensuite le travail avec une brosse douce et de préférence souple, pour enlever la poussière sur l’ensemble du corps. Pendant tout le pansage, n’hésitez pas aussi à lui parler de façon très positive, en mettant de

Il leur faudra plusieurs semaines avant qu’ils comprennen­t vos intentions et se mettent à se détendre. Mais une fois que vous aurez trouvé la bonne façon de faire, quel plaisir pour lui, mais aussi pour vous !

la joie dans votre voix et en lui souriant, puisque nous savons maintenant qu’il y est très sensible. Il vous faudra peut-être plusieurs séances pour trouver une manière de le brosser qu’il apprécie. C’est notamment le cas pour les chevaux qui n’ont jamais eu l’habitude de recevoir des pansages agréables : pour eux, il leur faudra plusieurs semaines avant qu’ils comprennen­t vos intentions et se mettent à se détendre. Mais une fois que vous aurez trouvé la bonne façon de faire, quel plaisir pour lui, mais aussi pour vous. Nous avons montré qu’une personne qui effectue à son cheval un pansage positif tel que celui que l’on vient de décrire voit également son rythme cardiaque s’abaisser. Beaucoup de chevaux quant à eux s’étirent, baillent et les deux se détendent et prennent du plaisir au final. Il est maintenant temps de mettre la selle et le filet, toujours en prenant son temps et avec beaucoup de douceur, et de commencer votre séance… avec le sourire !

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90 Comporteme­nt : Bien préparer sa séance.
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Avant d'aborder son cheval , il est important d'être dans de bonnes dispositio­ns mentales et dans un état d'esprit positif. Exit les mauvaises pensées !
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Prenez le temps de jouez ou de courir avec lui avant de lui mettre le licol, même s'il vit au pré !
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