Cheval Magazine

GUY JONQUÈRES D’ORIOLA

« Je me lève tous les matins en me disant quelle chance ! »

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avril 2021 - n° 591 -

Un nom presque iconique dans les sports équestres. Spécialist­e du commerce de chevaux, Guy Jonquères d’Oriola est surtout un cavalier qui travaille dans la compréhens­ion du cheval. Nous sommes allés à sa rencontre avec Francis Rebel. Une entrevue émaillée de souvenirs de son mentor Marc Bertran de Balanda. PAR DELPHINE GERMAIN. PHOTOS : THIERRY SÉGARD (SAUF MENTIONS).

Le respect des chevaux. C’est ce qui l’anime au quotidien. On ne pourrait avoir meilleur leimotiv de nos jours. Lorsque nous arrivons aux Écuries des Bréviaires, dans les Yvelines, où il est véritablem­ent installé depuis 1987, le soleil est au rendez-vous de cette matinée hivernale. Ce dernier tente même quelques percées, illuminant le manège où il est en train de travailler un cheval. Guy Jonquères d’Oriola a pu trouver un petit moment à nous accorder dans un emploi du temps toujours très dense. À l’heure où nous arrivons, il présente un cheval à un acheteur venu spécialeme­nt du Portugal. Cavalier, compétiteu­r, notre hôte est surtout spécialisé dans le commerce. Grand et doté d’un franc sourire, l’homme ne manque ni de charisme, ni de conviviali­té agrémentée d’un léger accent chantant qu’il doit à ses racines du Sud-Ouest. Originaire de Perpignan, où il a vécu et grandit dans la propriété familiale, son nom est inscrit dans le terroir local (depuis le XVe siècle, la famille produit du vin dans le Roussillon). Il l’est aussi au Panthéon des sports équestres. Sa simple évocation est un véritable passeport sur la planète du jumping, notamment grâce aux exploits du cousin de son père, Pierre Jonquères d’Oriola. Ce dernier fut médaillé plusieurs fois aux Jeux Olympiques (Helsinki en 1952 et Tokyo 1964) et aux championna­ts du monde (1966) de saut d’obstacles. Il est l’un des cavaliers français les plus titrés de l’histoire, il a remporté plus de 350 Grands Prix. Derrière ce glorieux patronyme, Guy se révèle un homme plutôt discret et qui agit surtout par passion.

La rencontre avec Marc Bertran de Balanda

« Je me lève tous les matins en me disant : quelle chance, je fais ce que j’aime, et l’expérience me fait avancer, ça me passionne toujours autant. », avance-t-il en préambule. Si à l’inverse de ses frères et soeurs, il n’a pas reçu le goût pour le travail de la vigne en héritage, il n’a pas échappé à la passion pour les chevaux, perfection­nisme et sens du défi en sus. « Moi, le virus du cheval, je le tiens plus du côté de ma mère. Mon grand

père maternel, Jean de Saint Pastou, était éleveur d’anglo-arabes, un autodidact­e complet qui a commencé à monter en concours à 45 ans et a gagné le Grand Prix de Biarritz à 65 ans, si mes souvenirs sont bons. Je l’accompagna­is sur les marchés, les concours de poulains, il présentait ses poulinière­s pendant les vacances d’été. J’adorais ça ! » Pourtant, il n’était pas forcément écrit que Guy devienne un profession­nel des chevaux. « Mon père voulait que je fasse des études de commerce à la différence de mes frères et soeurs qui ont fait des études d’oenologie. Il fallait bien quelqu’un pour vendre le vin ! », lance-t-il amusé. Vers l’âge de 18 ans, bac en poche, le jeune Guy Jonquères d’Oriola quitte le terroir natal pour aller faire des études à Paris, comme cela se faisait alors. Il fait la connaissan­ce de Marc Bertrand de Balanda (entraîneur remarquabl­e, cavalier internatio­nal de CSO, instructeu­r du Cadre Noir) originaire d’un village voisin du berceau familial. Il ne le sait pas encore mais cette rencontre va orienter le cours de sa vie et, dans un premier temps mettre un terme à ses études… « Avec Marc, J’ai commencé à faire des études de cheval… poussées ! (rires) Rapidement, il a dit à mon père qu’il fallait qu’on m’achète un cheval. À l’époque, on ne mettait jamais plus de 10 000 francs dans un cheval, on récupérait beaucoup de trotteurs. C’était en 1984, il y avait les sélections pour les Jeux de Los Angeles, Bosty les avait gagnées, il avait 18 ou 19 ans… Franc Compagnon était un pur-sang qui avait couru jusqu’à l’âge de 10 ans à Auteuil, il avait été réformé puis donné à Éric Leroyer, ce dernier l’avait monté en concours. Marc a dit : C’est le cheval qu’il te faut. Pourtant, d’après le vétérinair­e, il était fourbu et avait eu quelques incidents en courses ! Mais Marc avait raison, il était génial ce cheval. Je l’ai eu à l’âge de 13 ans, j’ai même fait mon service militaire au CSEM avec, puis je l’ai revendu à l’âge de 15 ans et il a fini champion d’Italie sénior. » Plus qu’un simple coach, « Marc, c’était mon deuxième père, c’est vraiment lui qui m’a donné goût à tout cela, c’était mon mentor. », se souvient-il. « Je venais de Perpignan avec une 3e catégorie, je faisais des concours de temps en

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« Au début ma motivation, c’était les concours. Je n’avais pas tellement de plan, puis j’ai acheté cette installati­on que j’ai faite évoluer »

temps. Il m’a beaucoup encouragé, je le suivais partout, je montais les chevaux pendant les stages, il m’a fait faire de nombreuses rencontres et c’était un personnage ! Puis un jour, lors d’un concours à Caen, il a glissé sur le pont d’un camion, il m’a dit qu’il s’était foulé la cheville…. En réalité, c’était plus grave, mais comme il était un peu casse-cou, il ne s’écoutait pas, il a prétexté qu’il n’avait rien. Finalement, après quelques mois, il est allé faire des radios, il avait une fracture, il y a eu des complicati­ons, il a dû être amputé des deux jambes mais il gardait un moral incroyable, il continuait à donner des stages en fauteuil roulant (Jean Rochefort lui a rendu hommage à travers un film, Cavaliers seuls, ndlr). »

Les Bréviaires, là où tout a commencé…

Au gré de ses pérégrinat­ions, Marc a élu domicile aux Écuries des Bréviaires à quelques minutes de l’ancien Haras National, c’est ainsi que Guy a découvert ces écuries, dont il est devenu propriétai­re par la suite. « Au début, ma motivation, c’était les concours. Je n’avais pas tellement de plan, puis j’ai acheté cette installati­on que j’ai faite évoluer. », raconte le cavalier de jumping qui, à 57 ans, sort toujours en concours 2-3*. « Pour me faire plaisir. J’adore ça… parfois même trop ! Aujourd’hui, je fais un peu plus attention, longtemps je ne me suis pas autorisé à garder un bon cheval. Maintenant, j’essaie d’avoir des chevaux avec un peu de potentiel », confesse-t-il. C’est d’ailleurs un peu par hasard qu’il est devenu un fameux marchand de chevaux de sport en France. « Comme je voulais beaucoup monter en concours, j’étais parti en 1987 faire une compétitio­n au Portugal avec trois chevaux, on est resté bloqué là-bas à cause d’un problème de peste équine. Nous avons dû stationner pendant un mois avec les chevaux. Finalement, je suis rentré sans les chevaux que j’ai vendus, c’est ainsi que je me suis dit que j’allais peut-être gagner ma vie. Tout a commencé au Portugal, où j’ai instauré des relations, on était les seuls à vendre des chevaux là-bas. » Finalement, son père n’avait pas tort de lui avoir fait faire une école de commerce… Au fil des années, Guy Jonquères d’Oriola est devenu un incontourn­able du marché des chevaux de CSO en France et à l’étranger. Il travaille essentiell­ement avec des profession­nels. Son réseau à lui, c’est le « bouche-à-oreilles ». « Je ne suis pas du tout adepte des nouvelles technologi­es digitales. C’est une force

« Tout a commencé au Portugal, où j’ai instauré des relations, on était les seuls à vendre des chevaux là-bas. »

de savoir travailler avec les réseaux sociaux, cela encourage des clients à venir mais ce n’est pas mon truc. », avoue-t-il. Sa force à lui c’est de connaître parfaiteme­nt les clients avec qui il traite et de valoriser ses chevaux auprès de très bons cavaliers, comme le champion de France Benoît Cernin. Il achète des chevaux partout. « Il y a une dizaine d’années, je faisais plus de 100 000 kilomètres par an en voiture. Aujourd’hui, je n’en fais que 30 000. Les méthodes ont changé, avant quand on allait voir un cheval, c’était une vraie découverte lorsqu’il sortait du box, bonne ou mauvaise. Aujourd’hui, avec Internet, on sait tout ou presque à l’avance, avec les vidéos et les résultats. On gagne du temps, mais on peut passer à côté de certaines choses. Et avec les clients, c’est également plus complexe, eux aussi sont branchés sur la toile et ont les infos en temps réel. » Pour faire vivre cette structure de sept hectares et son commerce, Guy a commencé seul avec Alice, sa femme, également cavalière et passionnée comme lui, sous la houlette de Marc Bertran de Balanda qui vivait sur place. Au fil des années, il a constitué une équipe de fidèles et de pros autour de lui, comme Thomas Couve Correa, un cavalier de CSO chilien (qui a fait les JO de Londres) ou encore Gustavo Arroyo un cavalier de CSO vénézuélie­n. Lucien Bridlance, un ancien militaire, est son bras droit depuis une vingtaine d’années. « Il est responsabl­e de tout ici, c’est lui qui gère, il fait un travail fantastiqu­e. », explique encore celui dont le temps est compté, toujours entre deux visites d’achat ou de vente, deux destinatio­ns.

Cheval et bien-être

Si le maître des lieux préfère le paddock et les libertés au marcheur, il sort tous ses chevaux en extérieur. « J’ai encore beaucoup de plaisir à prendre un cheval et à aller faire une promenade en forêt. Je suis 100 % nature. », assène-t-il. « J’aime m’occuper d’un cheval, le longer, le monter. J’ai fait une rencontre magnifique, il y a quelques années, celle du cavalier italien de haut niveau, Lucas Moneta, qui est devenu un ami, cette rencontre m’a donné un coup de boost. Il a une approche des chevaux extraordin­aire. Il laisse le cheval être un cheval, il le respecte beaucoup, il arrive à faire du très haut niveau avec des chevaux un peu difficile en prenant le temps. Cela me touche et me parle. J’essaie aussi de prendre le temps, de faire des essais, en déferrant des chevaux par exemple… Mais

La photo du champion olympique Pierre Jonquères d’Oriola (le cousin de son père) trône sur les étagèges de son bureau.

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 ??  ?? Guy Jonquères d’Oriola travaille les chevaux au quotidien et sort toujours en concours.
Guy Jonquères d’Oriola travaille les chevaux au quotidien et sort toujours en concours.
 ??  ?? Son grand-père, Jean de Saint Pastou.
Son grand-père, Jean de Saint Pastou.
 ??  ?? Chevaux et vin, c’est presque une devise de famille qui possède de nombreuses vignes dans le Sud-Ouest.
Chevaux et vin, c’est presque une devise de famille qui possède de nombreuses vignes dans le Sud-Ouest.
 ??  ?? 7 hectares, de nombreux paddocks, un spring garden, la forêt à deux pas, le bonheur est aussi en extérieur chez les d’Oriola…
7 hectares, de nombreux paddocks, un spring garden, la forêt à deux pas, le bonheur est aussi en extérieur chez les d’Oriola…
 ??  ?? Cet azulejo lui a été offert par un client portugais quand il a racheté l’écurie.
Cet azulejo lui a été offert par un client portugais quand il a racheté l’écurie.
 ??  ?? Le maître des lieux dans son bureau où il passe « plus de temps » qu’il ne le souhaitera­it !
Le maître des lieux dans son bureau où il passe « plus de temps » qu’il ne le souhaitera­it !
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