Cheval Magazine

La compta attendra

Ce devait être une journée comme une autre, avec un planning bien huilé, une liste de tâches précise, et puis tout a basculé pour une histoire de drague entre troupeaux. Quand les chevaux prennent le contrôle de mon emploi du temps…

- PAR SOPHIE DUHAMEL. ILLUSTRATI­ON : BRUCE MILLET.

C’est une belle journée de printemps qui s’annonce, avec des températur­es quasi négatives au lever du jour, et un soleil qui vient réchauffer progressiv­ement les robes des chevaux et l’épiderme des humains au travers des couverture­s et doudounes. Aucun nuage à l’horizon, ni dans le ciel, ni dans le planning de la journée. Administra­tif le matin de bonne heure, distributi­on des rations et soins habituels, travail sur la carrière le matin, puis l’après midi est réservée pour des tâches comptables… Ce n’est pas mon activité préférée, loin de là, mais il faut bien s’y soumettre de temps en temps. Et… c’est le drame ! Du bureau, levant le nez de ma calculette, j’aperçois par la fenêtre deux alezans ensemble qui font les nouilles, la queue sur le dos et le nez au vent, avec des allures relevées que je ne leur connais pas d’ordinaire. Le quarter horse, qui est plus doué pour traîner les pieds et s’étirer tout seul la ligne du dessus, se prend tout d’un coup pour un pur-sang arabe et la vieille selle français (celle de la chronique « Elle, moche et méchante» de Cheval magazine 587) qui d’habitude boite, ne touche plus terre tellement elle est aérienne. Jusque-là, rien d’extraordin­aire me direz-vous, c’est le printemps, les chevaux revivent. On les voit à nouveau jouer et se lancer dans de grandes galopades, profitant de terrains moins glissants que durant l’hiver… Sauf que, dans ce cas précis, ces deux chevaux ne sont pas censés être ensemble.

Comme un léger contretemp­s

À partir de ce moment, je subodore que la journée va complèteme­nt dérailler… Et pour cause ! Une fois sur la scène de crime, je peux reprendre ma calculette et faire d’autres comptes : un, deux, trois, quatre, cinq piquets, ah non six, à terre… trois hauteurs de rubans qui flottent au vent, une bonne vingtaine d’isolateurs en morceaux. Mais le meilleur bien sûr, c’est une dizaine de chevaux qui trouvent ça très distrayant et ne sont pas pressés de retourner dans leur parc respectif ! Surtout, ne pas s’énerver… Respirer et penser très fort aux exercices matinaux de yoga et de méditation. Se réjouir d’avoir prévu une remorque spécifique déjà chargée avec le matériel de clôture pour les interventi­ons d’urgence, se souvenir que la batterie de la visseuse est sans doute à plat, aller supplier chéri de stopper toute activité non essentiell­e pour voler à mon secours et se préparer à planter quelques piquets…

Mais avant ça, il faut parvenir à reformer les groupes et parquer les effrontés ! Les deux alezans amoureux ne sont pas les plus récalcitra­nts. Au bout d’un certain temps, je réalise que mon âne miniature a disparu… Je l’aperçois enfin, installé tranquille­ment au round baller entre deux ponettes shetlands de même taille, lesquelles n’y trouvent rien à redire.

« Avec un peu de chance, je vais passer inaperçu, on va me prendre pour un poney et je vais rester avec les filles ! », semble se dire l’espiègle longues-oreilles. Il fait moins le malin quelques minutes plus tard quand il se retrouve poursuivie par un troupeau de cinq juments en goguette :

« Allez, viens, on veut juste regarder tes oreilles de plus près… ». L’épilogue de cet « incident » dans mon emploi du temps est heureux : aucun blessé à déplorer, que du matériel cassé, et une bonne rigolade de les voir si joyeux et plein d’énergie. Comment ne pas se réjouir de rater un après-midi de compta devant un tel spectacle ? Cela pourrait être pire ! La même situation aurait pu se produire un samedi soir de tempête avant un dîner (dans l’ancien temps, quand on avait des « dîners »), ou un cheval aurait pu être pris de coliques un 24 décembre à 20 heures. Ils sont particuliè­rement doués pour prendre le contrôle de notre emploi du temps. Et par la même occasion nous apprendre à lâcher prise. Voilà pourquoi, je suis souvent en retard pour rendre mes documents à ma comptable ou… cette chronique !

Ils sont particuliè­rement doués pour prendre le contrôle de notre emploi du temps. Et par la même occasion nous apprendre à lâcher prise.

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