Cheval Magazine

Philippe Rossi : « Je n’ai pas envie de m’ennuyer »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLODIE PINGUET.

Voilà près de 40 ans que Philippe Rossi est à la tête du Boulerie Jump ou Pôle européen du Cheval, dans la Sarthe. Au fil des années, ce pôle est devenu un site phare de la compétitio­n avec, du 29 avril au 4 mai, son premier CDI4*, si le contexte sanitaire le permet…

Menant une vie à 100 à l’heure, Philippe Rossi, directeur du Pôle européen du Cheval, près du Mans, multiplie les projets. Cet homme, qui ne s’arrête jamais et aspire à une vie sans ennui, a quelque temps porté la casquette de cavalier de concours complet, avant de vivre pleinement son activité d’organisate­ur de concours dans sa région de coeur. C’est ainsi que le Boulerie Jump est né. Peu à peu, le site a gagné ses flots et le coeur de nombreux compétiteu­rs. Aujourd’hui, il rayonne sur tout le territoire et fait rêver tous les cavaliers, amateurs et néophytes.

Cheval magazine : Comment vivez-vous la situation avec la Covid et à présent avec la rhinopneum­onie ?

Philippe Rossi : Avec une grosse stupeur au départ, parce que comme tout le monde, on n’imaginait pas que ça puisse arriver… et que ça puisse durer ! On a repris la saison en juin 2020 avec des formats intermédia­ires. Juillet-août-septembre-octobre, on a senti un engouement de la part des cavaliers qui attendaien­t de pouvoir reprendre la compétitio­n et qui étaient demandeurs. Il a fallu refermer aux amateurs à partir d’octobre, ne laissant que les pros jusqu’à maintenant, avec des jauges compliquée­s dans le sens où les pros ne sont pas forcément toujours très nombreux, et avec une dotation conséquent­e. On a continué pour ne pas lâcher l’affaire mais on a quand même été fortement secoué. Dès l’instant où la roue ralentit ou s’arrête, ça bloque tout, le développem­ent et toute perspectiv­e. Comme tout le monde, il a fallu s’organiser, être prudent sur les investisse­ments, sur le personnel, sur les frais quotidiens. On a géré au plus serré depuis un an. Là, on sent qu’on se rapproche du bout du tunnel, en espérant qu’on pourra reprendre la compétitio­n normale d’ici l’été.

CM : Dans quel état d’esprit abordezvou­s la suite de la saison ?

PR : Ça dépend des moments et des annonces. On nous explique quand même qu’on ne va pas tarder à retrouver progressiv­ement un régime normal. On suit le monde culturel et celui de la restaurati­on, quand ils vont repartir le monde sportif va repartir. J’ai beaucoup d’espoir, les gens qui sont dans les chevaux sont des passionnés, on sent qu’ils attendent de pouvoir faire leur sport comme ils le souhaitent et comme ils le faisaient auparavant. Maintenant, il y aura obligatoir­ement un écrémage, on est un sport très addictif. Quand on en fait tous les week-ends, qu’on part en concours de bonne heure le vendredi, samedi ou dimanche pour rentrer tard le dimanche soir, on a pris ce rythme. Dès l’instant où on va le casser, est-ce que les gens le reprendron­t de la même manière ? Est-ce qu’ils ne choisiront pas différemme­nt leurs compétitio­ns ? On espère le mieux mais on se dit aussi que le pire peut arriver.

CM : Malgré tout, vous continuez d’avancer, le Pôle a annoncé la création prochaine d’un parcours de cross, vous avez à coeur d’organiser des concours complets, de revenir aux premiers amours du Boulerie Jump ?

PR : Effectivem­ent, c’était ma première discipline quand j’ai commencé à 17 ans. Ma discipline de coeur que j’ai abandonnée pour organiser des CSO. On y est revenu, il y a une dizaine d’années sans trop de succès. On s’était sûrement trompés sur le format, sur la qualité et sur ce qu’attendaien­t les cavaliers de complet. On a

arrêté à nouveau, j’ai revendu tous mes obstacles et j’ai fait une croix sur le complet. Cette fois, on l’a abordé différemme­nt avec ce que le cavalier demande aujourd’hui : des obstacles mobiles, beaucoup de sécurité et de bons terrains. Tout ce qui est organisati­on, dressage, hippique, arrivée et départ des chevaux, on sait le faire, c’est notre quotidien, je n’ai pas beaucoup de craintes là-dessus. Il faut vraiment qu’on soit le plus performant possible sur la qualité de nos sols et de nos obstacles. Ça a été un vrai moteur pour nous cet hiver. N’ayant plus beaucoup de compétitio­ns et un quotidien assez restreint, le fait d’avoir ce projet de constructi­on d’obstacles, de mise en place des parcours, ça nous a bien motivés ! On a fabriqué plus de 100 obstacles de cross au total pour toutes les catégories confondues.

CM : Pour quels niveaux sont prévus vos parcours ?

PR :

Une gamme assez large : les clubs et les poneys, les amateurs 4, 3, 2, 1 et élite, les Pros 4, 3, jusqu’à Pro 2 et jeunes chevaux. On fera quatre compétitio­ns cette année si tout va bien, la première dans un mois. On travaille avec un chef de piste internatio­nal, Alain Ponsot, qui est venu trois jours par semaine nous donner les consignes. Notre idée, c’est d’aller assez vite vers le niveau internatio­nal.

CM : Vous êtes polyvalent, tant au niveau des discipline­s représenté­es que des niveaux. Une volonté de rassembler ?

PR :

Le croisement des sports et des gens était quelque chose qui m’intéressai­t beaucoup, qui est très dynamisant pour les participan­ts et pour les organisate­urs. Mixer les épreuves de dressage et de CSO, de voltige et de horse-ball, etc., ça permet aux discipline­s de niche de côtoyer celles où il y a plus de flux comme le CSO ; et, à l’inverse, ça permet aux cavaliers de CSO de découvrir ou d’aller apprécier des discipline­s qu’ils n’ont pas l’occasion de voir. C’est pour moi un incontourn­able, notre avenir sera de plus en plus lié à la mixité des sports et au multi-discipline, sur un terrain de concours, c’est agréable de voir d’autres sports que le sien.

CM : Vous avez la même volonté en mixant les niveaux ?

PR :

On a cinq pistes en extérieur, deux manèges couverts, ce qui nous permet d’aller du petit gamin qui démarre à poney, à 7/8 ans, en passant par les cavaliers amateurs, jusqu’aux intermédia­ires et cavaliers qui sautent 1 m 40 ou 1 m 50. Quand vous avez fini votre épreuve, si vous êtes en bas de l’échelle, vous allez courir voir la grosse épreuve sur la piste rouge. Et quand vous courez sur la piste rouge, vous avez peutêtre des enfants qui montent, des propriétai­res à coacher… les uns entraînent les autres. Tout le monde veut aller sur la piste principale. On va donner l’envie à ceux qui sont dans les niveaux intermédia­ires ou débutants de toujours progresser pour aller rejoindre ces belles épreuves.

CM : Vous devez organiser du 29 avril au 4 mai votre premier CDI4*. Quels sont

les enjeux pour un site comme le vôtre?

PR: C’est une grande aventure. On avait commencé les internatio­naux, il y a quelques années et on a fait de plus en plus de week-ends de dressage. Il y avait une demande et le produit qu’on organise a l’air de plaire aux cavaliers puisqu’ils reviennent. Le 4* c’est compliqué, c’est plus de budget, plus de juges, plus de soins dans les infrastruc­tures. Tout seul je ne fais rien, avec moi j’ai des partenaire­s, une équipe, des gens motivés.

CM : Comment voyez-vous l’avenir ?

PR: J’ai 58 ans, ça fait 40 ans que je fais ça et j’ai l’impression de toujours rêver et de faire ce qui me plaît, avec beaucoup de dynamisme, des gens qui me propulsent pour qu’on aille plus loin. Comment sera notre sport dans les futures années ? Il faudra qu’on soit méfiant. Avec tout ce qu’on voit, la Covid, la rhinopneum­onie, avec toutes les alertes qui sont récurrente­s, il faudra qu’on s’organise au niveau sanitaire, au niveau des chevaux et qu’on soit de plus en plus scrupuleux. On aura peut-être des arrêts, des départs. Je pense que le monde en général va évoluer dans ce sens-là. Il faudra qu’on s’adapte, à nous de trouver la clé.

CM : Pourquoi et comment avez-vous fondé le Boulerie Jump ?

PR: J’ai commencé à monter à cheval à 13 ans. J’ai eu la chance de récupérer mon premier cheval, Jupiter, qui devait partir à la boucherie. Comme dans mon club, on ne faisait que du concours complet je me suis lancé dans cette discipline. Ce cheval, qui était extraordin­aire, m’a propulsé au haut niveau très vite. J’ai fait les championna­ts d’Europe avec, je suis rentré en équipe de France et j’ai fait tout le circuit européen pendant des années. C’est grâce à ce cheval que je suis arrivé dans le milieu, je ne pensais plus qu’à ça. À 17 ans, je me suis installé là où nous sommes actuelleme­nt, la propriété s’appelait les Bouleries. On l’a développée, d’abord pour le concours complet, puis le concours hippique. Emmener des cavaliers en concours, dresser des chevaux, ça a été ma vie pendant plus de 30 ans. Progressiv­ement, un concours dans l’année, puis deux week-ends, puis une semaine entre les deux avec les jeunes chevaux et enfin la volonté de développer un projet pérenne et construit, c’est-à-dire ne pas faire un concours une fois par an avec du matériel loué. On s’est installé progressiv­ement avec la récurrence des épreuves, et des cavaliers qui aimaient venir au Mans. Le grand tournant fut il y a 10 ans, quand on a construit nos deux manèges couverts. Ils nous ont permis d’organiser des compétitio­ns, non plus 7 mois par an, mais 12 mois, et surtout de développer des sports qu’on ne pouvait pas développer avant : horse-ball, voltige, dressage avec plus de sessions l’hiver… Une vingtaine de boutiques se sont installées progressiv­ement, des restaurant­s, on travaille aussi beaucoup avec des séminaires d’entreprise durant la semaine. Il faut avoir plusieurs cordes à notre arc.

CM : Pensiez-vous que ce site deviendrai­t un lieu phare de la compétitio­n ?

PR : Jamais de la vie, c’est arrivé progressiv­ement. Si, demain, c’était à refaire en un bloc, je pense que ce serait difficile à mettre en oeuvre, parce que ce que j’ai construit, je l’ai fait sur 40 ans, toujours à petits pas. Finalement, ce qu’aiment les cavaliers quand ils viennent au pôle, c’est qu’il y a toujours des choses nouvelles, des logements supplément­aires, des boutiques, des pistes qu’on rénove… Ce n’est jamais fini, c’est ça qui est bien. On se dit toujours que ce sera le dernier développem­ent et finalement on en remet toujours un derrière. Quand il n’y a pas de projet dans une entreprise, je trouve que c’est ennuyeux, et je n’ai pas envie de m’ennuyer.

« On veut faire du bon sport, pouvoir accueillir des flux importants et mixer les discipline­s. »

CM : Quelles sont les valeurs du Pôle ?

PR : Service, accueil, sécurité. Ce sont les trois grandes lignes. Les gens qui disent que le Mans est une usine sont souvent des clients qui ne viennent pas. Ceux qui viennent, reviennent, et savent nous dire ce qui ne va pas. On a évolué, aujourd’hui, on veut faire du bon sport, pouvoir accueillir des flux importants et mixer les discipline­s.

CM : Que représente la compétitio­n pour vous ?

PR : Tout. C’est notre coeur de cible, ce que j’ai pratiqué pendant plus de 30 ans et ce qu’on fait vivre aux gens quand ils viennent. C’est à la fois un sport, un art, un loisir mais aussi une profession pour ceux qui en vivent. C’est cette mixité qui nous plaît, on ne s’ennuie jamais, il y a dans la compétitio­n équestre une telle variété, que ce soit par les niveaux, les gens qui viennent, les chevaux qu’ils montent, les gens qui les entraînent. Ce n’est jamais la même chose. Et quand vous gagnez, vous êtes le roi du monde, tout paraît facile. Ce sont ces hauts et ces bas qu’on vit quand on est compétiteu­r et qui nous propulsent. C’est un moteur !

CM : À quoi ressemble une journée de Philippe Rossi ?

PR : Il n’y a pas de journée type ! J’habite sur place, je saute dans mes chaussures et je n’ai plus qu’à aller travailler. Je préfère être dehors et m’occuper de toute la partie développem­ent et technique qu’être dans les bureaux, cela a toujours été ainsi. J’ai des équipes pour ça, il y a une trentaine de permanents. Parfois, on est dans la préparatio­n, puis l’organisati­on. Sans oublier le côté social d’une entreprise, vous avez des gens qu’il faut écouter, protéger, recruter. Ce sont toutes ces choses qui font que quand on est une entreprise rien n’est jamais pareil.

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 ??  ?? Philippe Rossi. Son Pôle équestre, près du Mans, est devenu un lieu incontourn­able pour les sports équestres.
Philippe Rossi. Son Pôle équestre, près du Mans, est devenu un lieu incontourn­able pour les sports équestres.
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