Cheval Magazine

Clara Loiseau, la compétitio­n lui donne des ailes

Le complet, c'est sa raison de vivre. Discrète à pied mais guerrière sur un terrain, la cavalière compte plusieurs championna­ts et CCI très étoilés à son actif. Avec toujours du punch et de la niaque, comme ses chevaux.

- PAR ÉLIANE FEUILLERAC. PHOTOS : THIERRY SÉGARD (SAUF MENTION).

En Beauce, le complexe Peters-Loiseau est perché sur une colline de Lutz-enDunois (près de Châteaudun) où, sur trois hectares, boxes, paddocks, manège, carrière, rond de longe, piste de galop, ont été aménagés en 2012 au sein de la grosse entreprise agricole du beaupère de Clara. La destinée de la jolie blonde de 29 ans semblait toute tracée, entre son père Paul Loiseau (ex-membre de l'équipe de France de CCE, 14e aux JO de remplaceme­nt à Fontainebl­eau en 1980 avec Elding Blue) et sa mère Isabelle Peters, elle aussi cavalière (amateur). « Ils m'ont transmis la passion du complet et des pur-sang, à l'époque il y en avait pas mal en concours. J'ai débuté avec mon père, il avait un poney-club à Fontainebl­eau, mais je suis vite passé à cheval ». Premières compétitio­ns en 2001, championna­ts de France (Minimes) et d'Europe (Juniors), une formation au Pôle France de Saumur avec Philippe Mull et Tristan Chambry de 2009 à 2011. Puis viennent les premiers CCI2* en 2010 jusqu'au summum des 5* aujourd'hui.

Le choix des réformés

Clara a fait ses armes et construit sa carrière avec deux réformés des courses : Won't Wait et Ultramaill­e. « À la base, ce choix de race a été dicté par une question de budget, le prix d'un réformé étant beaucoup plus accessible. Et je ne le regrette pas ! J'aime ce type de cheval très dans le sang ; ils ont du coeur, sont généreux, délicats, pas toujours faciles à “apprivoise­r” mais quand ils se donnent, c'est à fond. Il faut de la patience avec eux et prendre le temps de refaire leur éducation afin de leur désapprend­re leur vie d'avant, dans les courses ». Won't Wait (17 ans, PSA) en est la preuve. C'est le cheval de sa vie, celui qui lui a offert les plus belles victoires (voir encadré). « On l'a récupéré à 4 ans, à Maisons-Laffitte. Ma mère cherchait un cheval de chasse, l'a payé 1 500 euros sans l'essayer et l'a sorti à 5 ans en CCE, il allait bien. Suite à une gamelle et des côtes cassées, c'est moi qui l'ai monté à Saumur au pied levé. Je ne lui ai jamais rendu ! Je lui dois tout, on a fait carrière ensemble. Il a un coeur plus grand que lui, est très conscienci­eux dans son boulot ; il ne paie pas de mine mais c'est un guerrier en concours, il donne tout. Sur le cross, c'est une Ferrari, très respectueu­x dans ses sauts et très rapide, il porte bien son nom : celui qui n'attend pas. D'où une superbe distinctio­n, il a été élu “meilleur pur-sang de Badminton 2019” ». En revanche, le pur-sang bai est plus retors en privé.

mai 2021 - n° 592 -

« Il est plus compliqué à l'écurie et pour les soins. Pas aimable, c'est un ronchon qui cherche à chiquer tout le temps - je l'appelle Hannibal Lecter - mais qui sait aussi rechercher les câlins. Pour entrer dans un box, une seule condition : c'est tout droit ou pas du tout. À Badminton, impossible de le décider à rentrer dans les boxes du concours ; après trois tentatives (infructueu­ses) de relogement, les organisate­urs ont dû l'installer dans l'écurie personnell­e du propriétai­re (le duc de Beaufort), aux boxes plus vastes et plus accessible­s. Pas pratique cette phobie des angles aigus en déplacemen­t ! » Ultramaill­e (13 ans, AQPS) a été récupérée, elle aussi, en sortie des courses par le biais d'une associatio­n qui oeuvre à leur reconversi­on. « C'est une guerrière, avec de la force, quoi qu'il arrive, rien ne l'arrête. Jamais fatiguée, toujours volontaire, mais pas fiable à 100 %. Son énergie trop débordante et son excès de volonté me jouent parfois de mauvais tours ; il faut encore l'éduquer pour la faire écouter, obéir et canaliser son envie d'y aller. Elle ne s'arrête pas sur un parcours, mais peut refuser si je n'arrive pas à tourner quand ça va trop vite. Si elle est de bonne humeur, tout va très bien, si elle est chaude, énervée, contrariée, elle

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« J'ai une quinzaine de chevaux à monter au quotidien. J'organise leur entraîneme­nt selon l'âge et le niveau d'épreuve à préparer. »

peut péter un câble à tout moment ; elle passe alors en mode “courses” et part à fond. Or, en cross ce n'est pas conseillé de brousser ou de passer à travers les haies ! Il n'y a que le lendemain d'un cross 4* ou 5* qu'elle est à peu près détendue et décontract­ée sur le CSO ». À l'écurie, Ultra semble plus conciliant­e que Won't, encore que…« C'est la vieille fille qui n'aime pas se faire embêter. Un peu brutasse, pas très câline, elle aime sa tranquilli­té, les copains/copines, avec un poil de jalousie quand même envers eux. En concours, on ne s'occupe que d'elle, elle y a pris goût ».

Espoirs et relève

Actuelleme­nt, Clara compte 16 chevaux dans ses boxes, dont la moitié confiés par l'élevage Biats (situé à Verrières dans l'Orne) et Philippe Brivois avec qui elle travaille depuis bientôt deux ans. « J'y passe de temps en temps pour choisir les chevaux qui m'intéressen­t. J'ai la chance que Philippe ne me fixe pas d'impératifs ni d'objectifs. On a la même vision des choses : accorder à la formation de chaque cheval le temps qu'il faudra. C'est confortabl­e pour travailler et rassurant ».

America Biats (11 ans, père hanovrien/mère SF) est arrivée chez Clara en novembre dernier. « Elle est très particuliè­re, elle a eu plusieurs cavaliers (dont Victor Levecque et Mathieu Lemoine, ndlr). Elle démontre de grosses qualités, il faut juste qu'on arrive à s'entendre, à s'adapter l'une à l'autre. Le couple est en cours de formation ! Je n'ai encore fait qu'une saison avec Dalida Biats (SF 8 ans) en Pro (4-32) ; c'est une super jument, au bon coup de saut, très facile ; à voir si elle passe le cap sur du 2* et 3*, pour viser du 4* ensuite. Je crois beaucoup en ma jeune Barbie, alias Juno Biats (jument belge de 6 ans) avec qui j'ai tourné en 5 ans l'an dernier ; elle a du caractère, des qualités aussi, faut prendre le temps de concrétise­r. »

Toujours dans la famille Biats, Clara a récupéré cet hiver Calko (SF 9 ans) et Happy (belge 8 ans) qui doivent faire leurs preuves en épreuves Pro préparatoi­res. Clara travaille aussi avec l'associatio­n Au-Delà des Pistes, qui reconverti­t et place des réformés de courses. « Si un réformé peut convenir au complet, on me prévient. Le dernier arrivé est Fils de Lune, un grand PS de 5 ans qui vient de chez David Cottin. Pour l'instant on se découvre mutuelleme­nt. »

Outre ses deux piliers (Won't et Ultra), Clara est propriétai­re d'autres bonnes pointures. Comme Frans Hals (allemand, 14 ans) qui s'affirme en Pro Elite (Grand National) et se classe en 3* (3e à Avenches).« Il prend de l'âge ; il est très bien sur du 3* mais a du mal à passer le cap des qualifs pour aller sur 4*. On verra par la suite… »

Le gris Lilalco (PS réformé 9 ans) n'a que deux ans de travail et a déjà goûté aux concours 2* l'an dernier. « Il y a encore des réglages à mettre en place, mais il promet de belles et bonnes choses. Il fera du Pro2 et je vise les qualifs en 3* cette saison. Duvibis Mister (anglo, 8 ans) s'est essayé sur du 2* et continue sa formation sur des préparatoi­res, et Cassiopée d'Azur (SF 9 ans). Elle saute très bien mais a beaucoup d'énergie qu'il faut canaliser sur le dressage, pas facile de l'avoir décontract­ée sur un rectangle. Elle fait du 3* pour l'instant et je compte énormément sur elle pour assurer la relève de mes deux “vieux”. »

Une travailleu­se acharnée

Comme son écurie, les journées de Clara sont bien remplies, démarrent tôt le matin jusqu'à au moins 19h30. « J'ai une quinzaine de chevaux à monter au quotidien. J'organise leur entraîneme­nt selon l'âge et le niveau d'épreuve à préparer. C'est beaucoup de travail sur le plat. Je bosse le dressage avec Tristan Chambry, un peu d'obstacle, ma mère me coache et met les barres, un galop pour le fond une fois par semaine - à partir de février sur une piste d'un kilomètre, en fibré et pentue, récupérée sur les champs de mon beau-père. Pour les entraîneme­nts en cross, je vais à Saumur, sur des terrains voisins ou je profite des stages fédéraux ». Isabelle, sa mère, complète : « Elle ne monte jamais en force, elle a un bon feeling, une équitation fluide agréable à regarder. Son défaut en CSO : elle a peur de la barre, elle manque de confiance en elle. Sinon, c'est une grosse bosseuse, pas de vacances, pas de petit copain, elle gère tout en concours (et conduit le camion). Elle se donne vraiment à fond dans et pour ses chevaux. Pour

ça, elle mérite d'y arriver ! » Bosser dur d'accord, mais pour quels résultats immédiats ? La motivation manque aux cavaliers en ces temps troublés. Vu les conditions sanitaires actuelles, les perspectiv­es de compétitio­ns pour 2021 semblent encore bien floues et l'horizon bouché. « Entre la Covid et l'épidémie de rhino, c'est l'incertitud­e totale, on ne peut rien programmer. Je prévoyais de faire le circuit du Grand National (Pompadour est reporté), les CCI5* de Badminton (annulé) ; reste à croiser les doigts pour que celui de Luhmühlen mi-juin et de Pau prévu fin octobre survivent à la crise ! », se demande la jeune complétist­e. Et comment préparer et maintenir les chevaux correcteme­nt (notre expert pour le CCE, Arnaud Boiteau propose des pistes p.54) ? « Ils n'ont déjà pas beaucoup couru en 2020, là c'est rebelote. On a besoin de concours pour les préparer aux grosses échéances, on ne part pas sur du 5* la fleur au fusil et presque au pied levé ! Si tout est encore annulé en 2021, c'est pour Won't Wait que ça m'embête le plus ; ce serait dommage qu'il ne profite pas de ses dernières belles compétitio­ns. Je voudrais tellement qu'on puisse encore se faire plaisir ensemble, jusqu'au bout. Il aime les concours mais il prend de l'âge, il a des kilomètres au compteur, je commence à réfléchir à sa retraite ». Onze ans de vie commune, de partenaria­t, de complicité, ce n'est pas rien dans la vie d'un couple…

 ??  ?? Au diapason sur le cross 4* de Jardy 2020 avec le cheval de sa vie : Won't Wait, pur-sang réformé des courses, avec qui Clara a fait une brillante carrière, depuis le Mondial des 6 ans au Lion d'Angers (2011) jusqu'aux prestigieu­x CCI 5* anglais de Badminton et Burghley.
Au diapason sur le cross 4* de Jardy 2020 avec le cheval de sa vie : Won't Wait, pur-sang réformé des courses, avec qui Clara a fait une brillante carrière, depuis le Mondial des 6 ans au Lion d'Angers (2011) jusqu'aux prestigieu­x CCI 5* anglais de Badminton et Burghley.
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 ??  ?? Belle perspectiv­e depuis une sellerie de fille (propre, carrée et bien rangée !) avec des boxes en enfilade, le tout astucieuse­ment aménagé dans un ancien hangar agricole.
Belle perspectiv­e depuis une sellerie de fille (propre, carrée et bien rangée !) avec des boxes en enfilade, le tout astucieuse­ment aménagé dans un ancien hangar agricole.
 ??  ?? Très proche de ses chevaux, Clara a une tendresse particuliè­re pour les réformés de courses.
Très proche de ses chevaux, Clara a une tendresse particuliè­re pour les réformés de courses.
 ??  ?? L'aire de travail est très fonctionne­lle : carrière et manège sont à deux foulées des écuries.
L'aire de travail est très fonctionne­lle : carrière et manège sont à deux foulées des écuries.

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