Tao, tête d’affiche
Durant près de vingt ans le percheron Tao fut l’une des têtes d’affiche du Théâtre du Centaure. Sous les projecteurs, il a prouvé qu’un physique colossal ne nuisait pas à la légèreté, offrant à son mentor, Manolo, toute sa générosité et sa délicatesse. Ce
Le voyage lui a sans doute paru long entre Marseille et Bordeaux, 700 km d’asphalte avant de goûter l’herbe de sa nouvelle prairie, de sa nouvelle vie de retraité du spectacle. Le souffle parfois violent du mistral a laissé place à une douceur océanique dans ce paysage ondulant de l’Entre-deux-Mers, terre hérissée de vignes et enlacée par deux fleuves, la Garonne et la Dordogne. Le théâtre du Centaure est situé à Marseille à la limite du Parc national des Calanques entre ville et nature. « Même si l’endroit est superbe, nous n’avons pas de prés ! », expose Manolo, fondateur de la compagnie. À 20 ans, Tao, bien qu’en bonne santé, n’avait plus de projet artistique. « Il ne me semblait pas juste de le garder en box. Il était temps de lui redonner une certaine liberté. » Cela se réalisera donc grâce à l’association Cheval Espoir 33 (voir encadré).
Un coup de coeur
C’est au début des années 2000 que tout commence. En tournée avec son spectacle Macbeth, le théâtre fait étape au Haras national du Pin dans l’Orne. Manolo est émerveillé par tous ces étalons percherons abrités au sein de l’établissement, ce qui lui donne l’idée d’en intégrer un dans sa compagnie de chevaux légers. Il en fait part aussitôt à Bernard Maurel, alors directeur du site et juge international de dressage. « Dès le lendemain, il m’appelle pour me dire qu’il se trouvait chez Michel Lepoivre, un éleveur réputé, et que celui-ci avait un magnifique poulain qui me conviendrait ! » L’artiste se rend chez l’éleveur découvrir cette perle rare. « Ce fut un coup de coeur. Tao, une tonne sur la balance, était splendide et impressionnant mais pas débourré et à peine “licolé”. Je n’en menais pas large avec cette masse en bout de longe ! », poursuit l’artiste en souriant. Finalement les Haras nationaux offrent Tao au théâtre du Centaure. « Ils ont considéré que nous étions une bonne vitrine pour mettre en avant les qualités des percherons et des chevaux de trait en général. C’est la première fois que l’on nous faisait un cadeau de ce poids ! »
Né à l’élevage des Forges à Saint-Aubin-de-Courteraie (Orne), le jeune percheron a des origines prestigieuses. Son père, Gallien, grand gaillard de 178 cm au garrot est considéré comme un chef de race ayant contribué à la renaissance du type diligencier percheron. Mais le grand-père de Tao est encore plus célèbre, puisqu’il s’agit de Silver Shadow Sheik, premier étalon américain à la robe d’un noir jais importé des États-Unis en 1993. Le but était de redonner à la race percheronne en France, taille et vélocité, qu’elle avait perdues au fil du temps par une politique d’élevage ayant misé davantage sur le poids de la “viande” que sur la locomotion des chevaux de trait.
Géant généreux
« J’ai tout de suite voulu le montrer sous un autre angle que celui habituel du cheval de trait sur un cercle qui sert à la voltige dans un galop patapoum-patapoum », explique Manolo. « D’abord, je l’ai gardé entier et j’ai effectué avec lui un travail axé sur la recherche de la légèreté de l’avant-main. Mais Tao avait, il est vrai, une locomotion exceptionnelle. » Le percheron se montre alors très généreux, énergique avec beaucoup de coeur. « C’est sûr que sur son dos, je me sentais comme un fétu de paille ! Mais je pouvais me lover dans ses jambes sans danger, ce que je faisais pour une performance appelée “Secret”, évoquant le thème du dicton asiatique disant que, lorsqu’on est malheureux, on va confier ses secrets dans le creux d’un arbre. C’était un immense plaisir pour moi. »
Le cheval, à la robe gris fer et à la longue crinière gaufrée, a donc reçu un dressage tout en finesse lui permettant même de développer aussi quelques jolies figures de Haute École. « Il avait une cabriole pas ridicule du tout, poursuit Manolo, et il sortait un pas espagnol d’anthologie en montant ses antérieurs bien au-dessus de la verticale, si bien que l’on pouvait compter les clous de ses fers ! » Vibrant, énergique, léger, Tao a durant de nombreuses années foulé les pistes aux étoiles en France et à l’étranger.
Fantastique fantasia
Parmi ses souvenirs, Manolo ne manque jamais d’évoquer une expérience unique : celle de sa participation avec Tao à une fantasia (tbourida) au Maroc en 2004. Invités avec sa partenaire de spectacle Camille en résidence par l’Institut français à Meknès, le théâtre du Centaure traverse la Méditerranée avec leurs frisons et leur jeune percheron. Durant leur séjour dans la ville impériale, ils se produisent en soirée sur la grande carrière du Haras national (fondée au début du XXe siècle durant le protectorat français) dans le cadre du Festival du cheval. Mais en journée, au pied des remparts de la médina, se déroulent des concours de fantasia. « Je ne sais plus qui m’a proposé pour rire d’y participer avec Tao ! », dit l’artiste. Un percheron entier d’une tonne en ligne avec d’autres entiers barbes ou barbes-arabes pour effectuer un court mais très rapide galop, cela pouvait être, en effet, explosif ! « J’ai accepté mais ma grande angoisse était de savoir si j’allais pouvoir arrêter Tao en bout de piste. Je craignais de terminer dans les tentes caïdales où siégeaient les officiels ! » Mais Tao a été exemplaire. Les personnalités ont conservé dignité et toilettes propres. Tao : un cheval bien élevé !
Vibrant, énergique, léger, Tao a durant de nombreuses années foulé les pistes aux étoiles en France et à l’étranger.