Antarès sellier, l’excellence à fleur de peau
Cette marque née avec ce siècle porte haut le made in France. Antarès, c’est un design et une technicité au service de la performance, mais c’est également une entreprise conviviale où il fait bon vivre. Visite guidée au sein du nouvel atelier.
Antarès a emménagé en septembre dernier dans son nouveau siège, situé à Les Gonds, au sud de Saintes. Une arrivée suffisamment récente pour que la scénographie du hall, que l’on atteint après avoir gravi quelques marches, soit en cours de réalisation. Avec la cool attitude dont il ne se départ jamais, Xavier Lenrouilly, président-fondateur d’Antarès, nous accueille. Marie Picquet, en charge de la communication, et Yann Madec, responsable formation et référent technique pour les marchés américain et canadien, nous rejoignent. Au plafond de cet impressionnant espace, l’éclairage représente la constellation du Scorpion dont l’étoile la plus brillante est Antarès. Dans ce ciel de leds, un spot diffusant une lumière rouge, la représente. Dans la Grèce antique, Antarès était le dieu de la guerre, il est aussi le nom de l’un des chevaux du quadrige de Ben-Hur. « Un autre se nommait Altaïr », précise Xavier Lenrouilly. En 2007, ce nom sera choisi pour une gamme de selles standards, permettant au plus grand nombre d’accéder à l’offre Antarès. Pour les anglophones, même pourvus d’un fort accent, Antarès sonne bien, un bon point pour Évelyne Cummings et Thierry
Guiberteau, deux des associés de Xavier Lenrouilly qui se sont expatriés outre-Atlantique pour développer la marque dès sa création.
Un lieu, un esprit
Au milieu de cet espace en devenir trône une véritable pièce de musée : la toute première selle Antarès. « On l’a faite alors que l’entreprise n’existait pas encore. Elle n’a d’ailleurs pas de nom. » Elle fut vendue bien sûr mais, par un incroyable hasard, retrouvée chez son acquéreur qui a accepté de l’échanger avec l’une de ses lointaines descendantes. Ainsi matérialise-t-elle le point de départ de cette fabuleuse histoire. « Elle comportait déjà le passe étrivière en forme de boomerang intégré au quartier », fait observer Xavier. Ce hall aura une fonction plus prosaïque : être un espace de vente. Xavier Lenrouilly a pensé entièrement l’aménagement des 4 200 m2 du bâtiment, répartis sur deux niveaux. De ce hall-boutique, véritable épicentre du lieu, une paroi vitrée permet d’observer l’activité de l’atelier. À l’opposé, un long couloir percé de puits de lumière dessert les bureaux des ventes et du commerce digital, on y trouve un espace détente, et un grand showroom où sont reçus les visiteurs. Au rez-de-chaussée se trouvent le service des expéditions et le stock, qui voisinent avec l’atelier où est réalisé tout le mobilier destiné à l’agencement des stands et des véhicules des commerciaux. Une zone est occupée par le logement des quatre apprenties. Elles ont chacune une chambre avec salle de bain et une cuisine commune. Deux appartements sont à la disposition des agents commerciaux lorsqu’ils viennent au siège. « Il y a un vrai esprit de famille »,
se réjouit Xavier Lenrouilly. Ce niveau abrite également une salle de fitness à la disposition de tous les collaborateurs. « J’ai voulu un lieu où il fasse bon vivre et où on ne fuit pas le travail, trois fois par semaine il y a un pot. » Chez Antarès plane une atmosphère studieuse mais détendue, à l’image du patron. À l’autre bout, on réceptionne quasi quotidiennement la matière première. « Nous nous approvisionnons principalement chez Gal pour le cuir à quartier (d’aspect grainé, ndlr), Arnal et Carriat pour les cuirs souples, ce que l’on appelle le veau »,
indique Yann Madec. Ces deux tanneries familiales sont réputées depuis des générations pour la qualité de leur production et fournissent les plus grandes enseignes
Toutes les imperfections de la peau sont indiquées à l’aide d’une craie. Un examen minutieux qui précède la coupe. de la sellerie et de la maroquinerie. Chaque peau est l’objet d’un premier contrôle effectué par Laurent. Celui-ci les classe par qualité avant de les acheminer à l’atelier via un monte-charge. À côté, un local est dédié au huilage des selles neuves.
Par ici l’atelier
Avant de pénétrer dans l’atelier, que Paul dirige avec discrétion et efficacité, Yann, notre guide d’un jour, nous fait passer par les coulisses de celui-ci. Le bureau de Xavier est enseveli sous des prototypes, des échantillons de matières, une baie lui permet de communiquer directement avec son voisin Axel, le designer-développeur. Quelques pas nous séparent du premier poste de travail.
Anaïs, que tout le monde ici surnomme Myrtille, a été formée chez Hermès. Elle examine avec attention la peau étendue sur la table. Munie d’une craie, elle marque d’un repère toutes les imperfections dues aux conditions d’élevage, aux parasites, etc. Placée sous la peau, son autre main l’étire afin de lui révéler des faiblesses que son oeil pourtant exercé ne saurait déceler. Entre ses doigts et sa pupille passent en moyenne quatre peaux à l’heure. Les plus belles sont dévolues aux selles, les autres sont destinées aux accessoires et aux sacs. À côté se trouvent deux machines de découpe numérique. Via un ordinateur, sa collègue Fanny positionne les pièces nécessaires à la réalisation de la selle. Des rétroprojecteurs fixés au plafond projettent sur la peau l’encombrement de chaque gabarit. Un clic sur le pupitre suffit à lancer la découpe.
Auparavant cette opération s’effectuait à l’aide d’emporte-pièces et d’une presse. L’objectif est de tirer profit de la plus grande surface possible, en évitant les zones où des défauts sont indiqués. « Nous utilisons au maximum 50 % d’une peau de très belle qualité », précise Anaïs.
L’art et la matière
Les cuirs grainés destinés aux quartiers eux sont travaillés des deux côtés, car ils seront vus de part et d’autre. « Pour détecter les défauts, je roule le cuir, cela dilate les pores, indique Fanny qui allie le geste à la parole, à plat je pourrais ne pas en voir certains. » L’examen du second côté ne requiert pas forcément la même manipulation. Anaïs et Fanny sont aussi en charge de la découpe des plaques de feutre naturel et des mousses qui entrent dans la conception des panneaux et des avances de quartier.
Une fois découpées, certaines pièces vont, à l’aide d’un outil appellé abatcarre, être abat-carrées, c’est-à-dire biseautées sur tout ou une partie de leur contour. Sur la tranche est ensuite appliquée une teinture qui, indépendamment de l’aspect esthétique, étanchéifie le cuir. Les pièces qui vont être cousues sont passées à la rainette, second outil à main grâce auquel un fin sillon est fait dans le cuir et où viendra se loger le fil pour des coutures à champ. Toutes ces opérations sont réalisées par Ambre. D’autres pièces sont confiées ici à Manon pour être refendues à l’aide d’une scie à bande qui vient couper le cuir pour lui ôter
de l’épaisseur, là où la pièce va être cousue à une autre, la finalité étant de supprimer toute surépaisseur.
L’arçon, l’âme de la selle
Le poste voisin est celui de Freddy, l’arçonnier. Il est cerné de tous côtés par des hauts rayonnages sur lesquels sont empilés plus d’un millier d’arçons par type et par taille. « Cela représente environ trois mois de production. » L’essentiel provient de l’Arçonnerie française mais une part croissante est désormais fabriquée par la société Profine, implantée en Argentine, et propriété d’Antarès. Avant de fixer les sangles de nylon sur la structure en bois, Freddy procède à quelques vérifications. Tout d’abord, il contrôle à l’aide d’un laser la symétrie de l’arçon, puis les angles d’arcade, la hauteur du troussequin, etc. Le sanglage nécessite un vrai feeling. « Il faut avoir la sensation dans la pince (pour donner la tension voulue, ndlr) », insiste l’arçonnier. « Selon les demandes je l’adapte (la tension, ndlr), plus ou moins tendue dans la montée du siège. » Sur ce sanglage est encollé un matériau qui est ensuite profilé à l’aide d’une ponçeuse à bande, et par-dessus est placée une mousse, elle même « sculptée » à la ponçeuse. « Tout ceci est fait manuellement et à l’oeil. » Freddy réalise enfin plusieurs traçages sur l’arçon pour toutes les opérations à suivre, telles que le placement des contre-sanglons, des clous, etc. Chaque arçon requiert environ 15 minutes de travail. « Je ne fais pas que ça ! J’en répare aussi, je modifie des arcades, le positionnement des couteaux d’étrivières, et puis j’interviens sur les protos de Xavier. »
Des panneaux aux quartiers
Nous laissons Freddy à ses arçons et retrouvons Honorine, l’une des six personnes qui travaillent à ce poste. Celle-ci nous montre la manière dont sont faits les panneaux. Ils comportent des pièces en latex, des mousses de différentes densités, dont l’épaisseur et la largeur varient selon l’effet recherché en termes de portance et d’éloignement du cheval. « Nous avons travaillé avec des physiothérapeutes, des ostéopathes et des vétérinaires », ajoute Yann. L’étape suivante consiste à les recouvrir de cuir en lui faisant épouser exactement leur galbe. Sur les panneaux standards, ceci est effectué à l’agrafeuse pneumatique. Pour certains panneaux, le cuir est trempé dans l’eau afin de lui donner davantage d’élasticité et de faciliter son ajustement. En séchant le cuir se tend et donne de la tenue aux panneaux. On peut observer une autre finition, il s’agit d’une option répondant au nom de code DTA, pour Design and Technology by Antarès, caractérisée par une fine couture longitudinale. Ce gainage est effectué avec du fil et à l’aide d’une aiguille courbée. Le geste paraît simple, pure illusion. Sur le poste d’à côté, une autre Fanny. Bardée d’un bac pro maroquinerie et d’un CAP de sellerie-harnachement, la jeune femme a intégré l’entreprise, il y a sept mois. Sur son établi, elle réalise les avances qu’elle assemble ensuite aux quartiers eux-mêmes solidarisés à l’avant par un bourrelet relié au trapèze. Le trapèze est la pièce de cuir qui recouvre le dessous de l’arçon et fait la jonction entre les panneaux. Progressant dans l’atelier, nous croisons Catherine alias « Droups », penchée sur sa machine à coudre. Anciennement monitrice dans un poney-club, elle a posé ses valises ici il y a quinze ans. « Je n’y connaissais rien et ça a été un peu compliqué de passer du dehors à du minutieux dedans, mais j’ai trouvé la reconversion qu’il me fallait. Il y a tellement d’étapes pour fabriquer le quartier que rien n’est répétitif. Nous avons sept modèles différents, chacun d’eux a ses difficultés, sa beauté. »
Un siège mais deux tensions
Nous voici à un poste où la main d’oeuvre est entièrement masculine. Là est effectué la tension du siège, une opération réalisée en deux temps. Denis est le plus expérimenté à ce poste. En 14 ans, il a effectué ou supervisé les deux tensions de quelque 45 000 sièges, cela
« Nous avons travaillé avec des physiothérapeutes, des ostéopathes et des vétérinaires. »
commence à faire, non ? « Il faut bien compter trois mois d’accompagnement pour qu’une personne gère seule la deuxième tension, ce n’est qu’ensuite que je lui apprendrai la première tension qui requiert une certaine expérience. » La première tension consiste à ajuster le cuir au galbe de l’arçon.
Elle exige de l’artisan de ressentir le comportement du cuir, son élasticité si vous préférez, les pros, eux, parlent de « prêtant ». Puis Coralie effectue le traçage du siège. Pour ce faire, elle y fixe le gabarit du petit quartier correspondant à la taille du siège, et au crayon d’argent, trace pour guider le travail de sa collègue qui, elle, est au poste de la jointure. Vous nous suivez toujours dans cette histoire cousu de fil blanc !
De la jointure au laçage
La jointure consiste à coudre ensemble le petit quartier, le jonc et la peau de siège. Cela nécessite de démonter le siège de l’arçon. Adeline porte à chacun de ses doigts une protection de cuir, ce qui lui permet de tirer fort sur son double fil sans craindre qu’il ne les lui lacère. Ce poste, contrairement au précédent, se conjugue au féminin pluriel. En termes de parcours, c’est étonnant, l’une a travaillé comme opératrice dans l’agro-alimentaire, sa collègue dans l’administration pénitentiaire, et puis cette autre dans le milieu hospitalier, quant à Adeline elle fut cavalière d’entraînement chez Guillaume Macaire puis monitrice.
Décidément tout mène à la sellerie ! Pour ceux d’entre vous qui recherchez une possible reconversion voilà une piste à considérer. Ayant l’objectif d’accroître à moyen terme sa production (voir encadré p.87), Antarès va devoir recruter, pourquoi pas vous ?
La jointure étant opérée, on retrouve Denis. Avant de procéder à la deuxième tension il écrase, à l’aide d’un petit marteau, la couture qui vient d’être faite à l’intérieur du siège. Un geste plus technique qu’il n’y paraît, là encore. « On ne tape pas à la verticale comme sur un clou, on emmène la marteau vers l’extérieur, il faut qu’au moment de l’impact il dégage le cuir. » S’ensuit la deuxième tension du siège. C’est
au tour de Sylvain de procéder à un premier contrôle qualité, lequel porte sur près d’une cinquantaine de points. Le montage de la selle peut commencer avec Antony. Fixation des crampons de martingale, les quartiers, le bourrelet arrière refermé avec le trapèze, et le sanglage. Vient le tour de Gaëlle qui procède au laçage, pour solidariser les faux-quartier aux panneaux.
Après 15 heures de travail…
Voilà c’est terminé ! Enfin, pas tout à fait, la selle redescend de l’atelier pour le huilage. « Chaque selle
est huilée deux fois », précise Yann, et nous revenons à notre point de départ, juste à côté de la table où Laurent continue d’examiner les peaux du dernier arrivage. Notre selle neuve huilée subit un contrôle qualité final avant d’être mise sous housse, puis expédiée à son commanditaire. Si quelque chose cloche, le défaut est noté sur une étiquette rouge ficelée à la selle qui est aussitôt renvoyée à l’atelier. Désormais vous savez l’essentiel sur la fabrication d’une selle Antarès.
Si Saintes se trouve sur l’itinéraire d’un prochain déplacement professionnel ou sur la route de vos vacances, arrêtez-vous, en ayant toutefois pris soin de vous annoncer. Ce sera l’occasion de (re)découvrir l’atelier, où le meilleur accueil vous sera réservé. Il y a fort à parier que vous serez tenté d’acheter un produit exposé dans le hall : sac, bridon, casque, textile ou passer commande de votre future selle ! Vous verrez, lorsque l’on quitte ce lieu, on éprouve la même sensation de regret que lorsque l’on part de chez soi pour longtemps…
Si quelque chose cloche, le défaut est noté sur une étiquette rouge ficelée à la selle qui est aussitôt renvoyée à l’atelier.