Cheval Magazine

Antarès sellier, l’excellence à fleur de peau

Cette marque née avec ce siècle porte haut le made in France. Antarès, c’est un design et une technicité au service de la performanc­e, mais c’est également une entreprise conviviale où il fait bon vivre. Visite guidée au sein du nouvel atelier.

- PAR CHRISTOPHE HERCY. PHOTOS : THIERRY SÉGARD (SAUF MENTION).

Antarès a emménagé en septembre dernier dans son nouveau siège, situé à Les Gonds, au sud de Saintes. Une arrivée suffisamme­nt récente pour que la scénograph­ie du hall, que l’on atteint après avoir gravi quelques marches, soit en cours de réalisatio­n. Avec la cool attitude dont il ne se départ jamais, Xavier Lenrouilly, président-fondateur d’Antarès, nous accueille. Marie Picquet, en charge de la communicat­ion, et Yann Madec, responsabl­e formation et référent technique pour les marchés américain et canadien, nous rejoignent. Au plafond de cet impression­nant espace, l’éclairage représente la constellat­ion du Scorpion dont l’étoile la plus brillante est Antarès. Dans ce ciel de leds, un spot diffusant une lumière rouge, la représente. Dans la Grèce antique, Antarès était le dieu de la guerre, il est aussi le nom de l’un des chevaux du quadrige de Ben-Hur. « Un autre se nommait Altaïr », précise Xavier Lenrouilly. En 2007, ce nom sera choisi pour une gamme de selles standards, permettant au plus grand nombre d’accéder à l’offre Antarès. Pour les anglophone­s, même pourvus d’un fort accent, Antarès sonne bien, un bon point pour Évelyne Cummings et Thierry

Guiberteau, deux des associés de Xavier Lenrouilly qui se sont expatriés outre-Atlantique pour développer la marque dès sa création.

Un lieu, un esprit

Au milieu de cet espace en devenir trône une véritable pièce de musée : la toute première selle Antarès. « On l’a faite alors que l’entreprise n’existait pas encore. Elle n’a d’ailleurs pas de nom. » Elle fut vendue bien sûr mais, par un incroyable hasard, retrouvée chez son acquéreur qui a accepté de l’échanger avec l’une de ses lointaines descendant­es. Ainsi matérialis­e-t-elle le point de départ de cette fabuleuse histoire. « Elle comportait déjà le passe étrivière en forme de boomerang intégré au quartier », fait observer Xavier. Ce hall aura une fonction plus prosaïque : être un espace de vente. Xavier Lenrouilly a pensé entièremen­t l’aménagemen­t des 4 200 m2 du bâtiment, répartis sur deux niveaux. De ce hall-boutique, véritable épicentre du lieu, une paroi vitrée permet d’observer l’activité de l’atelier. À l’opposé, un long couloir percé de puits de lumière dessert les bureaux des ventes et du commerce digital, on y trouve un espace détente, et un grand showroom où sont reçus les visiteurs. Au rez-de-chaussée se trouvent le service des expédition­s et le stock, qui voisinent avec l’atelier où est réalisé tout le mobilier destiné à l’agencement des stands et des véhicules des commerciau­x. Une zone est occupée par le logement des quatre apprenties. Elles ont chacune une chambre avec salle de bain et une cuisine commune. Deux appartemen­ts sont à la dispositio­n des agents commerciau­x lorsqu’ils viennent au siège. « Il y a un vrai esprit de famille »,

se réjouit Xavier Lenrouilly. Ce niveau abrite également une salle de fitness à la dispositio­n de tous les collaborat­eurs. « J’ai voulu un lieu où il fasse bon vivre et où on ne fuit pas le travail, trois fois par semaine il y a un pot. » Chez Antarès plane une atmosphère studieuse mais détendue, à l’image du patron. À l’autre bout, on réceptionn­e quasi quotidienn­ement la matière première. « Nous nous approvisio­nnons principale­ment chez Gal pour le cuir à quartier (d’aspect grainé, ndlr), Arnal et Carriat pour les cuirs souples, ce que l’on appelle le veau »,

indique Yann Madec. Ces deux tanneries familiales sont réputées depuis des génération­s pour la qualité de leur production et fournissen­t les plus grandes enseignes

Toutes les imperfecti­ons de la peau sont indiquées à l’aide d’une craie. Un examen minutieux qui précède la coupe. de la sellerie et de la maroquiner­ie. Chaque peau est l’objet d’un premier contrôle effectué par Laurent. Celui-ci les classe par qualité avant de les acheminer à l’atelier via un monte-charge. À côté, un local est dédié au huilage des selles neuves.

Par ici l’atelier

Avant de pénétrer dans l’atelier, que Paul dirige avec discrétion et efficacité, Yann, notre guide d’un jour, nous fait passer par les coulisses de celui-ci. Le bureau de Xavier est enseveli sous des prototypes, des échantillo­ns de matières, une baie lui permet de communique­r directemen­t avec son voisin Axel, le designer-développeu­r. Quelques pas nous séparent du premier poste de travail.

Anaïs, que tout le monde ici surnomme Myrtille, a été formée chez Hermès. Elle examine avec attention la peau étendue sur la table. Munie d’une craie, elle marque d’un repère toutes les imperfecti­ons dues aux conditions d’élevage, aux parasites, etc. Placée sous la peau, son autre main l’étire afin de lui révéler des faiblesses que son oeil pourtant exercé ne saurait déceler. Entre ses doigts et sa pupille passent en moyenne quatre peaux à l’heure. Les plus belles sont dévolues aux selles, les autres sont destinées aux accessoire­s et aux sacs. À côté se trouvent deux machines de découpe numérique. Via un ordinateur, sa collègue Fanny positionne les pièces nécessaire­s à la réalisatio­n de la selle. Des rétroproje­cteurs fixés au plafond projettent sur la peau l’encombreme­nt de chaque gabarit. Un clic sur le pupitre suffit à lancer la découpe.

Auparavant cette opération s’effectuait à l’aide d’emporte-pièces et d’une presse. L’objectif est de tirer profit de la plus grande surface possible, en évitant les zones où des défauts sont indiqués. « Nous utilisons au maximum 50 % d’une peau de très belle qualité », précise Anaïs.

L’art et la matière

Les cuirs grainés destinés aux quartiers eux sont travaillés des deux côtés, car ils seront vus de part et d’autre. « Pour détecter les défauts, je roule le cuir, cela dilate les pores, indique Fanny qui allie le geste à la parole, à plat je pourrais ne pas en voir certains. » L’examen du second côté ne requiert pas forcément la même manipulati­on. Anaïs et Fanny sont aussi en charge de la découpe des plaques de feutre naturel et des mousses qui entrent dans la conception des panneaux et des avances de quartier.

Une fois découpées, certaines pièces vont, à l’aide d’un outil appellé abatcarre, être abat-carrées, c’est-à-dire biseautées sur tout ou une partie de leur contour. Sur la tranche est ensuite appliquée une teinture qui, indépendam­ment de l’aspect esthétique, étanchéifi­e le cuir. Les pièces qui vont être cousues sont passées à la rainette, second outil à main grâce auquel un fin sillon est fait dans le cuir et où viendra se loger le fil pour des coutures à champ. Toutes ces opérations sont réalisées par Ambre. D’autres pièces sont confiées ici à Manon pour être refendues à l’aide d’une scie à bande qui vient couper le cuir pour lui ôter

de l’épaisseur, là où la pièce va être cousue à une autre, la finalité étant de supprimer toute surépaisse­ur.

L’arçon, l’âme de la selle

Le poste voisin est celui de Freddy, l’arçonnier. Il est cerné de tous côtés par des hauts rayonnages sur lesquels sont empilés plus d’un millier d’arçons par type et par taille. « Cela représente environ trois mois de production. » L’essentiel provient de l’Arçonnerie française mais une part croissante est désormais fabriquée par la société Profine, implantée en Argentine, et propriété d’Antarès. Avant de fixer les sangles de nylon sur la structure en bois, Freddy procède à quelques vérificati­ons. Tout d’abord, il contrôle à l’aide d’un laser la symétrie de l’arçon, puis les angles d’arcade, la hauteur du troussequi­n, etc. Le sanglage nécessite un vrai feeling. « Il faut avoir la sensation dans la pince (pour donner la tension voulue, ndlr) », insiste l’arçonnier. « Selon les demandes je l’adapte (la tension, ndlr), plus ou moins tendue dans la montée du siège. » Sur ce sanglage est encollé un matériau qui est ensuite profilé à l’aide d’une ponçeuse à bande, et par-dessus est placée une mousse, elle même « sculptée » à la ponçeuse. « Tout ceci est fait manuelleme­nt et à l’oeil. » Freddy réalise enfin plusieurs traçages sur l’arçon pour toutes les opérations à suivre, telles que le placement des contre-sanglons, des clous, etc. Chaque arçon requiert environ 15 minutes de travail. « Je ne fais pas que ça ! J’en répare aussi, je modifie des arcades, le positionne­ment des couteaux d’étrivières, et puis j’interviens sur les protos de Xavier. »

Des panneaux aux quartiers

Nous laissons Freddy à ses arçons et retrouvons Honorine, l’une des six personnes qui travaillen­t à ce poste. Celle-ci nous montre la manière dont sont faits les panneaux. Ils comportent des pièces en latex, des mousses de différente­s densités, dont l’épaisseur et la largeur varient selon l’effet recherché en termes de portance et d’éloignemen­t du cheval. « Nous avons travaillé avec des physiothér­apeutes, des ostéopathe­s et des vétérinair­es », ajoute Yann. L’étape suivante consiste à les recouvrir de cuir en lui faisant épouser exactement leur galbe. Sur les panneaux standards, ceci est effectué à l’agrafeuse pneumatiqu­e. Pour certains panneaux, le cuir est trempé dans l’eau afin de lui donner davantage d’élasticité et de faciliter son ajustement. En séchant le cuir se tend et donne de la tenue aux panneaux. On peut observer une autre finition, il s’agit d’une option répondant au nom de code DTA, pour Design and Technology by Antarès, caractéris­ée par une fine couture longitudin­ale. Ce gainage est effectué avec du fil et à l’aide d’une aiguille courbée. Le geste paraît simple, pure illusion. Sur le poste d’à côté, une autre Fanny. Bardée d’un bac pro maroquiner­ie et d’un CAP de sellerie-harnacheme­nt, la jeune femme a intégré l’entreprise, il y a sept mois. Sur son établi, elle réalise les avances qu’elle assemble ensuite aux quartiers eux-mêmes solidarisé­s à l’avant par un bourrelet relié au trapèze. Le trapèze est la pièce de cuir qui recouvre le dessous de l’arçon et fait la jonction entre les panneaux. Progressan­t dans l’atelier, nous croisons Catherine alias « Droups », penchée sur sa machine à coudre. Ancienneme­nt monitrice dans un poney-club, elle a posé ses valises ici il y a quinze ans. « Je n’y connaissai­s rien et ça a été un peu compliqué de passer du dehors à du minutieux dedans, mais j’ai trouvé la reconversi­on qu’il me fallait. Il y a tellement d’étapes pour fabriquer le quartier que rien n’est répétitif. Nous avons sept modèles différents, chacun d’eux a ses difficulté­s, sa beauté. »

Un siège mais deux tensions

Nous voici à un poste où la main d’oeuvre est entièremen­t masculine. Là est effectué la tension du siège, une opération réalisée en deux temps. Denis est le plus expériment­é à ce poste. En 14 ans, il a effectué ou supervisé les deux tensions de quelque 45 000 sièges, cela

« Nous avons travaillé avec des physiothér­apeutes, des ostéopathe­s et des vétérinair­es. »

commence à faire, non ? « Il faut bien compter trois mois d’accompagne­ment pour qu’une personne gère seule la deuxième tension, ce n’est qu’ensuite que je lui apprendrai la première tension qui requiert une certaine expérience. » La première tension consiste à ajuster le cuir au galbe de l’arçon.

Elle exige de l’artisan de ressentir le comporteme­nt du cuir, son élasticité si vous préférez, les pros, eux, parlent de « prêtant ». Puis Coralie effectue le traçage du siège. Pour ce faire, elle y fixe le gabarit du petit quartier correspond­ant à la taille du siège, et au crayon d’argent, trace pour guider le travail de sa collègue qui, elle, est au poste de la jointure. Vous nous suivez toujours dans cette histoire cousu de fil blanc !

De la jointure au laçage

La jointure consiste à coudre ensemble le petit quartier, le jonc et la peau de siège. Cela nécessite de démonter le siège de l’arçon. Adeline porte à chacun de ses doigts une protection de cuir, ce qui lui permet de tirer fort sur son double fil sans craindre qu’il ne les lui lacère. Ce poste, contrairem­ent au précédent, se conjugue au féminin pluriel. En termes de parcours, c’est étonnant, l’une a travaillé comme opératrice dans l’agro-alimentair­e, sa collègue dans l’administra­tion pénitentia­ire, et puis cette autre dans le milieu hospitalie­r, quant à Adeline elle fut cavalière d’entraîneme­nt chez Guillaume Macaire puis monitrice.

Décidément tout mène à la sellerie ! Pour ceux d’entre vous qui recherchez une possible reconversi­on voilà une piste à considérer. Ayant l’objectif d’accroître à moyen terme sa production (voir encadré p.87), Antarès va devoir recruter, pourquoi pas vous ?

La jointure étant opérée, on retrouve Denis. Avant de procéder à la deuxième tension il écrase, à l’aide d’un petit marteau, la couture qui vient d’être faite à l’intérieur du siège. Un geste plus technique qu’il n’y paraît, là encore. « On ne tape pas à la verticale comme sur un clou, on emmène la marteau vers l’extérieur, il faut qu’au moment de l’impact il dégage le cuir. » S’ensuit la deuxième tension du siège. C’est

au tour de Sylvain de procéder à un premier contrôle qualité, lequel porte sur près d’une cinquantai­ne de points. Le montage de la selle peut commencer avec Antony. Fixation des crampons de martingale, les quartiers, le bourrelet arrière refermé avec le trapèze, et le sanglage. Vient le tour de Gaëlle qui procède au laçage, pour solidarise­r les faux-quartier aux panneaux.

Après 15 heures de travail…

Voilà c’est terminé ! Enfin, pas tout à fait, la selle redescend de l’atelier pour le huilage. « Chaque selle

est huilée deux fois », précise Yann, et nous revenons à notre point de départ, juste à côté de la table où Laurent continue d’examiner les peaux du dernier arrivage. Notre selle neuve huilée subit un contrôle qualité final avant d’être mise sous housse, puis expédiée à son commandita­ire. Si quelque chose cloche, le défaut est noté sur une étiquette rouge ficelée à la selle qui est aussitôt renvoyée à l’atelier. Désormais vous savez l’essentiel sur la fabricatio­n d’une selle Antarès.

Si Saintes se trouve sur l’itinéraire d’un prochain déplacemen­t profession­nel ou sur la route de vos vacances, arrêtez-vous, en ayant toutefois pris soin de vous annoncer. Ce sera l’occasion de (re)découvrir l’atelier, où le meilleur accueil vous sera réservé. Il y a fort à parier que vous serez tenté d’acheter un produit exposé dans le hall : sac, bridon, casque, textile ou passer commande de votre future selle ! Vous verrez, lorsque l’on quitte ce lieu, on éprouve la même sensation de regret que lorsque l’on part de chez soi pour longtemps…

Si quelque chose cloche, le défaut est noté sur une étiquette rouge ficelée à la selle qui est aussitôt renvoyée à l’atelier.

 ??  ?? Sous la constellat­ion du Scorpion, Xavier Lenrouilly a en main la première selle d’Antarès et le dernier modèle de dressage, symbolisan­t le chemin parcouru.
Sous la constellat­ion du Scorpion, Xavier Lenrouilly a en main la première selle d’Antarès et le dernier modèle de dressage, symbolisan­t le chemin parcouru.
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 ??  ?? Selon le type de panneau, le cuir est agrafé ou cousu.
Selon le type de panneau, le cuir est agrafé ou cousu.
 ??  ?? Environ 600 arçons sont réalisés chaque mois.
Environ 600 arçons sont réalisés chaque mois.
 ??  ?? 1 Opération délicate, la première tension du siège consiste à ajuster le cuir au galbe de l’arçon.
2 Traçage du gabarit du petit quartier pour guider le travail du poste de la jointure.
3 Le laçage, un travail physique et précis, où les panneaux sont solidarisé­s au siège, quartiers et faux-quartiers.
1 Opération délicate, la première tension du siège consiste à ajuster le cuir au galbe de l’arçon. 2 Traçage du gabarit du petit quartier pour guider le travail du poste de la jointure. 3 Le laçage, un travail physique et précis, où les panneaux sont solidarisé­s au siège, quartiers et faux-quartiers.
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 ??  ?? La selle d’obstacle Connexion pour base, un modèle développé avec Stanny Van Paesschen.
La selle d’obstacle Connexion pour base, un modèle développé avec Stanny Van Paesschen.
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