Cheval Magazine

Le Colonel Patrick Teisserenc

« L’un de mes chevaux de bataille : la recherche de la performanc­e »

-

À la tête du fleuron du patrimoine culturel et équestre français depuis sept ans, le colonel Patrick Teisserenc s’apprête à libérer ses quartiers au profit d’un nouvel écuyer en chef qui sera bientôt nommé. Retour sur ses années en habit noir.

Qui se cache derrière l’habit noir de l’écuyer en chef du Cadre noir de Saumur ? Quel est ce « Grand Dieu » derrière lequel les écuyers suivent en cadence lors de la traditionn­elle reprise dans le grand manège ?… Actuelleme­nt, il s’agit du colonel Patrick Teisserenc, 37e écuyer en chef, qui a succédé au colonel Jean-Michel Faure le 6 juin 2014. À son tour, il passera bientôt le flambeau ou plutôt « la cravache » à son successeur, une passation symbolique après plus de sept ans à la tête de la prestigieu­se institutio­n. S’il n’a jamais vraiment songé à devenir écuyer en chef au début de sa carrière, sa nomination n’est pourtant pas le fruit du hasard. Ce saint-cyrien remplissai­t tous les prérequis pour l’éminent poste. Lieutenant à l’École d’Applicatio­n de l’Armée blindée et de la Cavalerie, chef de peloton, il arrive en 1988 au Cadre noir de Saumur, comme élève puis comme écuyer. En 1994, il commande les classes préparatoi­res du Prytanée National Militaire de La Flèche après avoir été à la tête du 3e escadron de chars du régiment de Cuirassier­s à Olivet. En 1996, il suit des études d’ingénieur à l’ENSTA, en parallèle de sa carrière. En 2006, il devient expert français pour la délégation de la France à l’OTAN, puis directeur adjoint du Centre de Normalisat­ion de la Défense. En 2011, il est nommé au Kansas, aux États-Unis (où il se régale en découvrant l’équitation western !), en tant qu’agent de liaison, tout juste avant d’être envoyé sans transition écuyer en chef à Saumur. Une nouvelle « mission » hors norme pour ce militaire prompt au changement.

Cheval magazine : Avant toute chose, comment devient-on écuyer en chef du Cadre noir de Saumur ?

Patrick Teisserenc : Dans une carrière militaire équestre, c’est un poste prestigieu­x. Concrèteme­nt, la nomination reste un processus complexe. C’est le Ministère des armées - à l’époque de ma nomination, de la défense - qui propose un nom aux ministères de tutelle que sont les ministères de l’agricultur­e et des sports. Il faut aussi faire campagne, se faire connaître. Il faut être militaire et plutôt bon cavalier : être capable d’exécuter la reprise des écuyers, niveau Saint Georges, sans les pirouettes mais avec du passage. La principale difficulté vient du collectif, à la différence d’une compétitio­n individuel­le, où il faut mettre son cheval dans les meilleures conditions qui lui conviennen­t, là il faut s’aligner derrière l’écuyer en chef. Et il faut avoir le grade de colonel ou lieutenant-colonel, et bien sûr avoir été écuyer du Cadre noir.

CM : L’Écuyer en chef est forcément un militaire ?

PT: Jusqu’à présent oui.

CM : Vous rappelez-vous votre prise de fonction ?

PT : La passation de cravache s’est faite pour moi en octobre durant Les Musicales, il n’y a pas de cravache dans l’affaire, je suis aux côtés de l’écuyer en chef sortant qui me donne la reprise des écuyers de façon symbolique.

J’ai créé le centre culturel du Cadre noir, l’idée de départ était de faire la Villa Médicis de l’équitation.

CM : Avez-vous ressenti un petit trac lorsque vous avez dirigé votre première reprise dans le grand manège ?

PT: Quand on est écuyer en chef, il y a toujours un président de séance, le président qui était là pour la première était le général Morillon, qui avait activement participé à la guerre de Yougoslavi­e, j’avais beaucoup d’admiration pour lui, j’ai eu un petit moment d’émotion.

CM : Traditionn­ellement le Cadre fait vivre un protocole très ancien, ce qui n’est pas très gênant pour un militaire ?

PT: Oui, c’est assez similaire finalement, même si on est dans le civil, on porte un uniforme, un képi, on salue, quand je rentre dans une carrière les gens s’arrêtent.

CM : Qu’est-ce qui est motivant dans la fonction d’écuyer en chef ?

PT : Le quotidien est parfois un peu rude, mais il y a des sujets équestres passionnan­ts, et ce poste m’a permis de faire des rencontres que je n’aurai jamais imaginées comme le cavalier américain Georges Morris, Bettina Drummond, Michel Robert, Jean-Maurice Bonneau, y compris le fabuleux moment passé en Camargue dernièreme­nt pour ce numéro (voir p. 76, ndlr).

CM : Quelles ont été vos principale­s actions ?

PT : Dès ma prise de fonction en novembre 2014, je me suis attelé à rénover le gala jusqu’en octobre 2016, c’était un vrai chantier. On s’est posé la question de nos fondamenta­ux et des incontourn­ables du spectacle comme la reprise des écuyers et des sauteurs qui existent depuis 200 ans. Notre principal objectif fut de créer une narration, on a utilisé la Loire comme spectateur intemporel, puis on a créé quelques nouveaux tableaux, l’idée était de moins taire la relation cavalier-cheval et de faire passer plus d’émotion, avec la création d’une d’histoire, d’un décor, d’un accompagne­ment musical avec un plan artistique et une mise en lumières.

CM : Ce ne fut pas déroutant de passer du char de bataille à la création d’un show artistique ?

PT: On s’adapte quand on est militaire ! À Saumur, j’ai doublé mon record de temps passé dans une garnison, sept ans dans le même job, jusqu’alors je changeais tous les deux ou trois ans.

CM : Après la rénovation du spectacle, quel a été votre autre chantier, le sport ?

PT: J’ai pris l’opportunit­é d’aller faire un exécutif master d’entraîneur à l’Insep, c’était très intéressan­t parce que cela m’a permis de prendre conscience du niveau et du degré d’exigence des entraîneur­s dans d’autres discipline­s. Ce qui a entraîné une réflexion autour de la recherche de la performanc­e et que j’ai essayé de développer à travers un ouvrage (L’entraîneme­nt sportif en dressage, voir p.30, ndlr). J’ai aussi essayé de permettre à tous les écuyers d’accéder au sport de haut niveau. Même si ce n’est pas notre rôle de produire des athlètes d’État, nous sommes quand même ravis lorsque nous avons des médailles, c’est surtout toute la connaissan­ce qu’on arrive à tirer de cette pratique du haut niveau que l’on va réinjecter dans la formation, puisque notre rôle c’est de transmettr­e.

CM : Et le volet patrimoine, un « gros chantier » là aussi ?

PT : Oui ! J’ai créé le centre culturel du Cadre noir, l’idée de départ c’était de faire la Villa Médicis de l’équitation, qui soit à la fois médiathèqu­e et qui s’ouvre sur un réseau de médiathèqu­es européen, voire mondial, et qui soit un lieu de vie, d’échanges, de brassages d’idées. On n’y est pas encore mais c’est lancé… L’équitation de tradition française a en effet été inscrite au patri

moine immatériel de l’Unesco en 2011. Ça, je n’y suis pour rien mais, de fait, il faut alors s’engager auprès de l’Unesco à faire des mesures de sauvegarde, et donc un certain nombre d’actions. Il y a eu tout d’abord la mise en place des Rencontres de l’équitation de tradition française, une convention avec la Fédération Française d’Équitation, puis la création d’une associatio­n, la Mission française pour la culture équestre, et dernièreme­nt un comité, le Comité culture patrimoine et Unesco, sous l’égide de l’Ifce.

CM : Vous avez dit que vous vouliez « ouvrir au plus grand nombre », ce serait votre leg le plus important ?

PT : Mes deux chevaux de bataille sont la recherche de la performanc­e - je dis toujours : la recherche de la performanc­e d’aujourd’hui c’est la tradition de demain -, et le rayonnemen­t de l’équitation de tradition française. L’équitation, c’est d’abord une équitation de Cour, qui devient militaire, puis elle s’est transformé­e en sports équestres qui étaient d’abord militaires puis civils, mais on voit que finalement aujourd’hui, c’est beaucoup plus large que cela, on ne peut pas la limiter au sport, il y a un aspect culturel, sociétal, j’ai pris conscience de cela sur le tard.

CM : Avec la crise sanitaire, avez-vous imaginé ou développé d’autres voies de transmissi­on, d’enseigneme­nt ?

PT: On fait beaucoup de formation profession­nelle. Excepté lors du premier confinemen­t, on a continué de mener une activité presque normale, mais il est vrai que nous avons beaucoup développé les web conférence­s. Nous avons aussi mis des vidéos de nos galas en ligne sur Facebook pendant une semaine gratuiteme­nt, on se dit d’ailleurs qu’on pourrait le filmer à l’avenir et le vendre en streaming, c’est une réflexion en cours. On a aussi développé un système de coaching à distance via une caméra : le coach pilote la caméra depuis chez lui et donne les infos. C’est ainsi que Bettina Drummond a donné des leçons à nos écuyers à distance depuis les États-Unis ! Et les utilisateu­rs trouvent que cela marche plutôt bien. Moi qui me disais qu’à la retraite je pourrais sortir de mon bureau pour aller coacher ! (rires)

CM: Et le cheval dans tout cela ?

PT : J’ai toujours été cavalier et toujours eu un cheval. Avant d’arriver aux USA, j’ai dû le revendre car je n’avais pas les moyens de le faire voyager outre-Atlantique. J’ai voulu en acheter un sur place, mais finalement je l’ai acheté en Allemagne, c’est une jument que j’ai toujours : Simply Pretty, une westphalie­nne. Elle a 14 ans et j’ai repris la compétitio­n en dressage avec elle depuis un an. Elle fait aussi les galas avec moi, cela permet de montrer qu’un cheval peut faire des spectacles et de la compétitio­n.

CM : C’est quoi la journée type d’un écuyer en chef du Cadre noir ?

PT : Quand je suis arrivé je montais quatre chevaux par jour, aujourd’hui c’est plutôt un et demi. Je suis à cheval le matin, je fais des entraîneme­nts collectifs, et ensuite beaucoup de travail de bureau, je suis manager d’une équipe de 110 personnes (écuyers, soigneurs, etc.), cela prend du temps, il y a pas mal de réunions, surement trop…

CM: Des temps forts durant ces années ?

PT: Pas mal de voyages, sauf au début pendant deux ans je n’ai pas bougé, c’était inédit pour moi ! Je suis allée voir de l’équitation militaire au Chili, en Argentine, deux fois en Chine, on a célébré les 30 ans de l’école portugaise au Portugal et en 2019 l’ouverture du CHIO d’Aix-laChapelle, c’était énorme !

CM : Et pour votre dernier jour, savezvous déjà ce que vous ferez ?

PT : Pas du tout et je ne sais pas encore quelle sera la date exacte. Il n’y aura pas de passation de cravache car il n’y a pas de gala prévu à ce moment-là. Je commence à avoir la bougeotte, j’aurais pu rester jusqu’en 2024, mais je suis habitué au changement, il est temps pour moi de passer à autre chose, j’ai notamment un projet d’entraîneme­nt en dressage. L’idée est de travailler sur la cellule de performanc­e, le cheval, le cavalier et l’entourage, les liens entre toutes ces parties. Je ferai cela avec mon épouse qui est coach mental.

CM : C’est un peu la classe d’avoir un coach ex-écuyer en chef du Cadre noir !

PT: Je ne sais pas, on verra…(sourire) Les gens n’associent pas toujours le Cadre noir avec la compétitio­n sportive. C’est pour cela que je sors aussi en compétitio­n. La tradition était que l’écuyer en chef ne montait jamais en compétitio­n jusqu’à ma nomination. Quand j’étais écuyer j’étais un peu frustré, c’est facile de dire : on est le Cadre noir, la référence, venez, on va vous expliquer mais sans rien montrer… on est cela parce que nos anciens faisaient de la performanc­e.

CM : Et cette nouvelle histoire où va-telle commencer, toujours en Touraine ?

PT: Non en Bourgogne, à Mâcon. Là-bas, j’aurais ma jument et deux pouliches, puis je vais peut-être acheter un lusitanien.

CM: Vous allez redevenir simple mortel, fini l’uniforme, vous ne serez plus le « Grand Dieu »…

PT : Enfin anonyme ! Homme public, ce n’est pas trop mon truc, il y a des gens qui aiment qu’on les regarde, moi pas du tout. Et prendre le temps de faire du suivi plus en profondeur, sur des périodes plus longues, ça me plaît.

« Mes deux chevaux de bataille sont la recherche de la performanc­e et le rayonnemen­t de l’équitation de tradition française. »

 ??  ??
 ?? PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE GERMAIN. PHOTOS : ALAIN LAURIOUX. ??
PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE GERMAIN. PHOTOS : ALAIN LAURIOUX.
 ??  ??
 ??  ?? Le colonel Patrick Teisserenc dans les habits d’apparat de l’écuyer en chef du Cadre noir de Saumur.
Le colonel Patrick Teisserenc dans les habits d’apparat de l’écuyer en chef du Cadre noir de Saumur.
 ??  ??
 ??  ?? En reprise et en gala, les écuyers sont alignés derrière le « Grand Dieu ».
En reprise et en gala, les écuyers sont alignés derrière le « Grand Dieu ».
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France