Cheval Magazine

L’équitation en héritage

- PAR CHRISTOPHE HERCY. PHOTOS : ALAIN LAURIOUX.

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Le Cadre noir et ses écuyers sont les dépositair­es de l’équitation française, classée en 2011 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. À travers quelques dates, évènements et grandes figures survolons l’histoire de cette institutio­n bientôt bicentenai­re mais ô combien dans le mouv’.

«Le Cadre noir est un endroit mythique, il y a une histoire, une empreinte, une atmosphère », souligne celui qui, depuis 2014 et jusqu’au 21 août prochain, en est l’écuyer en chef. Le colonel Patrick Teisserenc est le huitième militaire à occuper depuis 1972 ce poste prestigieu­x. En effet, leurs prédécesse­urs, et ceci depuis la Restaurati­on, étaient dénommés écuyers en chef, non pas du Cadre noir mais du Manège et de l’École de cavalerie (voir encadré, Les écuyers en chef du Cadre noir). Et voilà que déjà l’histoire nous rattrape !

L’union de deux équitation­s

Depuis le Second Empire, et jusqu’à aujourd’hui, la tradition veut que ce soit un militaire qui soit à la tête de l’institutio­n mais il n’en fut pas toujours ainsi. En effet, le premier écuyer en chef du Manège à l’École de cavalerie, l’ancêtre du Cadre noir au sein de l’ENE puis de l’IFCE, fut un civil, Jean-Baptiste Cordier de 1825 à 1833, et le second et dernier sera le comte Cartier d’Aure de 1847 à 1854. Le premier fera des sauts d’école, des exercices de formation du cavalier militaire, et le second prônera une équitation d’extérieur qui deviendra l’équitation sportive. Cet ancien écuyer des rois Louis XVIII et Charles X disait : « Il faut que nos chevaux soient à la fois cheval de manège l’hiver, de promenade l’été, de chasse à l’automne. » Une approche dont son lointain successeur, le commandant Blacque-Bélair (écuyer en chef de 1909 à 1913), sera un ardent promoteur. Si le « grand dieu » (ainsi nommet-on l’écuyer en chef) est un militaire, le Cadre noir en revanche est devenu, au milieu des années 90, majoritair­ement civil dans sa compositio­n. Sur les 33 écuyers, seulement sept sont des militaires, tous les autres sont des fonctionna­ires du ministère de la jeunesse et du sport, sous la tutelle duquel le Cadre noir est placé depuis mai 1972. Dès le départ, avec Cordier puis d’Aure, l’influence de la société civile sur la formation équestre militaire est bien présente, cependant la réciprocit­é s’observe. Les écuyers du Cadre noir ont en effet également contribué par leurs écrits à la formalisat­ion de l’équitation et de son enseigneme­nt. Citons L’équitation académique de Decarpentr­y, lequel sera aussi l’auteur du premier règlement de dressage de la FEI, ou Questions équestres du général L’Hotte (écuyer en chef de 1864 à 1870), lequel a défini les principes régissant l’École française, reconnue par l’Unesco en 2011. Aux yeux de l’actuel écuyer en chef ce sont deux ouvrages de référence. « L’enjeu est de maintenir l’équilibre entre la tradition et la modernité », insiste-t-il s’inscrivant dans la droite ligne du colonel Danloux (écuyer en chef de 1929 à 1933) pour qui « le culte de la tradition n’exclut pas l’amour du progrès ». Le Cadre noir est de longue date pionnier dans la modernisat­ion de l’équitation. Les écuyers ont une double culture de l’équitation sportive et celle intégrant la haute école, le dressage des sauteurs et l’éducation des chevaux. « Lorsque nous avons basculé dans le sport, fait observer Patrick Teisserenc, on a recherché la performanc­e et celle-ci passe notamment par la technologi­e. »

De la renaissanc­e au rebond

Le Manège ayant été dissout durant la Première guerre mondiale, il renaît en 1919 sous l’impulsion du commandant Wattel. Jean-Pierre Tuloup, dans son livre, Une histoire des écuyers du Cadre noir, nous rappelle que le Manège est alors à son zénith : « L’effectif des chevaux est de 1 250, dont 750 pour l’instructio­n équestre, la remonte des écuyers et des sous-maîtres (…) et 500 pour

les escadrons de troupe ». Pendant la Seconde guerre mondiale, celui-ci se retrouve à Tarbes puis Fontainebl­eau avant de rejoindre Saumur dès 1945. L’écuyer en chef est le commandant Margot, poste qu’il occupera 14 ans, un record ! Tout en veillant au maintien d’une tradition académique, il promeut le sport au sein du Manège (voir encadré Le Cadre noir et le haut niveau). À l’orée des années 70, l’idée de dissoudre le Manège revient de façon récurrente au sein de l’armée qui se sépare de toutes ses unités montées. À Saumur même, l’emploi de l’arme blindée tend à supplanter l’instructio­n équestre maintenue presque symbolique­ment. S’achemine-t-on vers la fin ? Pas du tout ! Et ceci grâce à un transfert de compétence. En effet la seule issue pour le Manège est de se voir assigner une nouvelle mission. L’état des lieux est le suivant. Dans la société française l’équitation prend son essor, il va y avoir besoin d’enseignant­s qualifiés et, de leur côté, les militaires ont la compétence pour former ces derniers et les chevaux. Telle est la nouvelle feuille de route du Manège de l’École de cavalerie, rattaché à l’éphémère institut national d’équitation (1968-1972), placé sous l’autorité de Georges Pompidou alors premier ministre au moment de sa création. Cette architectu­re politico-administra­tive favorise, au grand dam de l’écuyer en chef de l’époque, le colonel de Saint-André, l’amorce d’une démilitari­sation de ce que l’on nomme encore le Manège de Saumur. Jean de Saint-André est en effet le dernier écuyer en chef du Manège à l’École de cavalerie, son successeur sera le premier écuyer en chef du Cadre noir à l’École nationale d’équitation.

Le Cadre noir est une institutio­n appelée à pérenniser une tradition, des valeurs et la technique de l'équitation française.

1972, joli mois de mai

Le 16 mai 1972 un décret fait office d’acte de naissance de l’École nationale d’équitation, (ENE), qui est

portée sur les fonts baptismaux par le colonel Challan-Belval. L’institutio­n, sous la tutelle du ministère de la jeunesse, des sports et des loisirs, se voit confier cinq grandes missions. Parmi celles-ci, former et perfection­ner les cadres d’équitation devant préparer les enseignant­s (moniteurs, instructeu­rs, professeur­s), préparer à la compétitio­n, et bien entendu, assurer le rayonnemen­t de l’équitation française. Le nouvel écuyer en chef, le lieutenant-colonel de Boisfleury, veille sur les missions du Cadre noir. À cette époque les reprises publiques du vendredi deviennent payantes. Parmi les « grands dieux » qui ont laissé leur empreinte, il y a le colonel Durand. Dans son livre, L’épopée du Cadre noir de Saumur, Jacques Perrier nous le décrit comme l’homme de l’ouverture et du changement. Complétist­e de classe internatio­nale, le colonel Durand veut un Cadre noir sportif. Sous sa férule, tout en continuant à se nourrir de la tradition, le Cadre noir s’ouvre au dressage, au saut d’obstacles, à la voltige, à l’attelage et à l’endurance. C’est à lui que l’on doit en 1984 l’arrivée des deux premières femmes au sein du Cadre noir. Cependant si Florence Labram et Mireille Belot-François ont ouvert la voie, force est de reconnaîtr­e que le Cadre noir fut plus prompt à s’ouvrir aux civils qu’à la gent féminine, puisqu’aujourd’hui on ne compte encore que trois femmes écuyers : Nadège Bourdon, Laurence Sautet et Pauline Van Landeghem. Sous l’impulsion du colonel Durand, les représenta­tions des écuyers deviennent aussi de véritables spectacles : travail aux longues rênes, de haute école, et à l’obstacle, reprises des sauteurs en liberté, solos, pas

de deux ou de trois montés, puis renouant avec les défis des écuyers de la Belle Époque, s’ajouteront les sauts de la table et du piquet.

Dans cette galerie de portraits doit figurer le colonel Carde pour qui « la compétence n’est pas donnée par l’habit noir, mais par un savoir reconnu par la compétitio­n ». Il incite les écuyers à privilégie­r le dressage académique parallèlem­ent à une autre discipline de leur choix pratiquée à haut niveau. « C’est une Maison (l’Ifce regroupant depuis 2007 le Cadre noir et les Haras nationaux, ndlr), où l’on prend le temps de bien faire les choses pour les chevaux », nous confie un écuyer. Ceux dédiés aux sauts d’écoles l’illustrent parfaiteme­nt. Leur apprentiss­age requiert en effet plusieurs années, et il est bien rare que les sauteurs aient moins de huit ou dix ans lors de leurs premières présentati­ons en public. Les sauteurs du Cadre noir de Saumur ont une singularit­é, contrairem­ent à leurs congénères des Écoles de Vienne, Jerez et Lisbonne, ce sont les seuls à effectuer les trois mouvements que sont la croupade, la courbette et la cabriole. Et Patrick Teisserenc de conclure : « Le Cadre noir est une institutio­n appelée à pérenniser une tradition, des valeurs et la technique de l’équitation française ». Présent depuis bientôt deux siècles, ce corps prestigieu­x saura bien, pour les deux prochains encore, faire rayonner cette équitation que le monde entier nous envie et prendre place sur les podiums des plus grands rendez-vous sportifs.

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 ??  ?? Le travail aux longues rênes est très pratiqué à Saumur. Il requiert précision et rigueur.
Le travail aux longues rênes est très pratiqué à Saumur. Il requiert précision et rigueur.
 ??  ?? Le Manège du Chardonnet. Bâtiment novateur pour l’époque (1863) sans pilier porteur et éclairé de grandes baies.
Le Manège du Chardonnet. Bâtiment novateur pour l’époque (1863) sans pilier porteur et éclairé de grandes baies.
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Pauline Van Landeghem et Nadège Bourdon.
Les femmes écuyers du Cadre noir (de g. à dr.) : Laurence Sautet, Pauline Van Landeghem et Nadège Bourdon.
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 ??  ?? La cabriole montée, l’un des sauts d’école les plus spectacula­ires, où l’écuyer utilise une selle sans étriers.
La cabriole montée, l’un des sauts d’école les plus spectacula­ires, où l’écuyer utilise une selle sans étriers.
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Le Cadre noir compte 33 écuyers parmi lesquels sept militaires.

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