Décoder ses expressions faciales
Pour exprimer nos émotions, comme la peur, la joie ou la colère, nous adoptons des expressions faciales, dites universelles, car elles sont présentes quelle que soit la culture et sont comprises par tous. Les scientifiques ont montré que le cheval était lui aussi capable de manifester ses émotions de cette façon. Savez-vous les reconnaître ?
L’aventure scientifique autour du décryptage des expressions faciales du cheval a commencé en 2015, par une étude réalisée par Jen Wathan et ses collègues de l’Université de Sussex. Ils ont décrit dans le détail toute la musculature faciale du cheval et chaque micromouvement qu’il est capable de produire. Surprise : le cheval a un large panel de mouvements faciaux, dont beaucoup sont communs avec les primates (et donc les humains). Autrement dit, il est physiquement capable de bouger avec une extrême finesse chaque petite partie de sa tête. Les chercheurs ont alors identifié des « AU », pour Action Units, qui correspondent à chaque type de mouvement possible de l’un des muscles de la tête, comme une contraction des zygomatiques qui va tirer la commissure des lèvres. Un code a été attribué à chacune de ces unités, dont certains sont communs avec l’être humain en raison de la similarité entre les mouvements. Grâce à ce travail, lorsqu’une nouvelle étude sur les expressions faciales est réalisée, les chercheurs peuvent se baser sur ces unités pour décrire laquelle est mise en jeu.
Les expressions faciales de douleur
À la suite, d’autres équipes ont cherché à lier ces mouvements de la face, avec des émotions ou des sensations. Les premières expressions faciales qui ont été décrites ont concerné la douleur. C’était vraiment une priorité pour les chercheurs que d’identifier des indices de la souffrance chez le cheval. En effet, cette espèce est très silencieuse quand elle a mal, afin d’éviter d’attirer les prédateurs vers un animal blessé ou malade. Le cheval qui souffre reste donc très discret… et c’est un véritable challenge de trouver des indices observables et objectifs de douleur. Deux équipes ont travaillé en parallèle : une équipe italienne, menée par Emmanuella dalla Costa, et une équipe suédoise, menée par Pia Haubro Andersen. Dans le premier cas, les chercheurs ont étudié la douleur liée à la castration et dans le second la douleur aigüe liée à une brûlure. Des expressions très caractéristiques ont pu être identifiées. Pour résumer, on observe une contraction de tous les muscles vers l’arrière. Pour aller plus loin, les Italiens proposent d’observer la tête du cheval pendant une minute, quand il ne dort pas ni ne mange, et de se focaliser sur six unités en particulier (oreilles, muscles au-dessus des yeux, yeux, muscles masticateurs, bout du nez, naseaux). Pour chacune d’elle, on note s’il y a ou non la présence d’une position caractéristique, que les auteurs ont appelé « grimace » (voir l’encadré). Ce protocole d’évaluation de la douleur a été intégré dans un protocole d’évaluation européen du bien-être appelé AWIN horse et dans sa version française Cheval bien-être.
Observer son cheval au pansage
À la suite de ces études, d’autres types d’expressions ont été identifiées. En France, nous avons voulu travailler sur ce que le cheval cherche à nous dire au moment du pansage et en particulier quelles sont les expressions qui indiquent qu’il apprécie notre façon de le brosser et celles qui montrent qu’il n’aime pas. Deux types d’expressions faciales bien contrastées ont pu ainsi être révélées. La première est assez connue des cavaliers : le cheval avance sa lèvre supérieure, ses yeux sont ouverts ou mi-clos, ses oreilles sont orientées vers l’arrière (mais pas plaquées), et l’encolure est plutôt à l’horizontale. Le cheval nous indique ainsi qu’il apprécie notre contact. Parfois, il peut exprimer cette mimique de façon très ostensible, mais d’autre fois c’est beaucoup plus subtil. Certains n’avancent que très légèrement la lèvre supérieure, et il ne faut pas passer à côté de ce signe. C’est là que le cavalier doit être extrêmement attentif et bien regarder la tête de son cheval. Mais en général, si on continue à gratouiller le cheval quand il commence à faire cette tête, alors, on va renforcer
petit à petit le comportement : au fil du temps, il va prendre confiance dans nos intentions et accentuer de plus en plus son expression. L’autre expression qui a été décrite est adoptée lorsque les chevaux n’apprécient pas le contact. L’encolure est alors relevée, les yeux sont grands ouverts, et on observe comme un petit rictus au niveau de la lèvre supérieure : le cheval relève légèrement sa lèvre supérieure au niveau de la commissure, laissant parfois apparaitre un peu les dents. Si on ne repère pas cette expression, qui là aussi, peut parfois être extrêmement subtile avec juste cette légère contraction des commissures, le cheval va devoir passer à l’étape supérieure pour nous faire comprendre son inconfort, et c’est là que certains vont commencer à menacer de mordre… voire à mordre pour de bon. C’est pour cette raison qu’il est essentiel, dans chacune de nos interactions, de chercher à comprendre ce que le cheval veut nous communiquer au travers de ces mimiques. Or, selon une étude que l’on a menée dans diverses écuries privées, centre équestres ou pensions, rares sont les cavaliers qui observent leur cheval pendant le pansage. Ils n’adaptent alors pas leur façon de brosser à ce que les chevaux cherchent à leur dire. Le résultat est qu’une majorité d’entre eux détestent ce moment et peuvent finir par vraiment chercher à mordre ou à taper.
Le cheval au travail
Comprendre ce que le cheval ressent au travail et en particulier lorsqu’il est monté est aussi une question cruciale. À l’heure actuelle, seule une étude a été publiée sur ce sujet. Il s’agit d’une étude menée sur des chevaux de ranch au Brésil, qui travaillent plusieurs heures par jour. L’objectif était de déterminer s’il est possible de détecter qu’un cheval est fatigué en regardant sa tête.
Pour cela, les chercheurs ont filmé les chevaux avant d’aller travailler et juste après afin de faire la comparaison. Et effectivement, après un travail long et intense, les chevaux ont les traits comme tirés. On peut notamment observer une forte tension au niveau du bout du nez, avec les lèvres et le menton contractés, comme tirés en arrière. Les chevaux ont aussi tendance à fermer un peu les yeux. Et parfois, certains d’entre eux présentaient les mêmes mimiques que celles décrites en cas de douleur : au bout de longues heures de travail, certains doivent ressentir en plus de la fatigue, des
« … cette espèce est très silencieuse quand elle a mal, afin d’éviter d’attirer les prédateurs vers un animal blessé ou malade. Le cheval qui souffre reste donc très discret … et c’est un véritable challenge de trouver des indices observables et objectifs de douleur. » LÉA LANSADE
douleurs. C’est vraiment intéressant que les professionnels mais aussi les amateurs apprennent à reconnaître cette mimique pour arrêter leur cheval à temps. Elle pourrait être enseignée aux cavaliers de sport, et en particulier aux cavaliers d’endurance, mais aussi aux randonneurs, pour qui les montures passent de longues heures sous la selle. Beaucoup d’autres recherches sont encore nécessaires pour mieux comprendre tout ce que les chevaux nous disent au travers de leurs mimiques. Pour le moment, les scientifiques n’ont décodé qu’un petit pourcentage de toutes les expressions faciales que le cheval est capable de produire. Il reste encore beaucoup de recherches à mener. Mais en attendant, chacun peut s’entraîner à observer ses chevaux et se forger sa propre expertise.
Apprendre à reconnaître les expressions du cheval
Il est vrai que lorsque l’on n’a pas l’habitude de regarder les expressions des chevaux, ce n’est pas aisé
de comprendre ce qu’ils nous disent. Mais c’est clairement quelque chose qui s’apprend, et à force de prêter attention à leurs expressions, le regard s’aiguise et le moindre changement nous saute aux yeux. Ce qui est important, c’est de bien considérer la tête dans sa globalité, en prenant aussi en compte la hauteur d’encolure. Ce n’est pas suffisant de se focaliser uniquement sur les oreilles par exemple. Pourtant, c’est souvent la seule chose que l’on apprend aux cavaliers. Le fameux « oreilles en avant : tout va bien ; oreilles en arrière : méfiance » n’est pas un bon critère. Regardez un cheval qui apprécie les gratouilles : il a les oreilles tournées vers l’arrière et ce n’est pas mauvais signe. À l’inverse, un cheval qui a peur et est prêt à fuir a les oreilles en avant, et là, il vaut mieux être prudent ! Il est essentiel de considérer la combinaison de tous les traits. Les chevaux, tout comme nous finalement, parlent aussi beaucoup avec leurs lèvres : pincées dans le cas de la douleur, crispées au niveau des commissures lorsqu’il y a inconfort au pansage, ou au contraire avancées et mobiles pour signifier qu’ils apprécient les gratouilles. Les tensions au-dessus de la bouche, la forme des naseaux, plus ou moins allongés, ou l’ouverture des yeux sont aussi à considérer. Plus on regarde la forme de chacune de ces parties et qu’on les met en relation avec le contexte dans lequel le cheval les exprime, plus on devient habile pour comprendre ce que le cheval nous dit. De plus, pour bien comprendre quels sont les muscles qui peuvent bouger, avoir quelques connaissances de l’anatomie de la tête des chevaux est un vrai plus. Le plus fascinant dans tout ça est de constater que les chevaux, eux, ont de vraies facilités pour lire nos expressions, alors qu’il est si difficile pour nous de décrypter les leurs. En effet, les chevaux sont extrêmement doués pour lire nos expressions faciales de colère, de joie, etc., même en regardant une simple photo de notre visage, hors de tout contexte.
Des chevaux experts !
Encore mieux, ils savent associer les photographies de nos expressions aux intonations de voix correspondante : par exemple, une photographie d’un visage joyeux avec une voix joyeuse. Nous sommes, pour la plupart, loin de pouvoir faire la même chose avec eux. Mais, avec de l’entraînement, chacun peut devenir expert en reconnaissance des expressions faciales ! La recherche devrait nous y aider, car de nombreux projets sont en cours dans le monde. Certaines équipes cherchent même à développer des applications qui pourraient automatiquement détecter les mimiques des chevaux et les décrypter afin de nous indiquer explicitement ce qu’ils ressentent… rêve ou réalité, nous verrons dans quelques années !