Cheval Magazine

Caroline Rioche

« Il y a des croisés qui me font rêver »

-

DEPUIS 6 ANS PRÉSIDENTE DE FRANCE DRESSAGE ET PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DRESSAGE DE LA SHF, CAVALIÈRE ET ÉLEVEUSE, CAROLINE RIOCHE EST AUSSI À L’ORIGINE DU CHEVAL DE DRESSAGE FRANÇAIS.

Cheval magazine : Quels sont les fondements de ce nouveau stud-book ?

Caroline Rioche : La seule solution pour que la France soit un jour reconnue comme nation de dressage, c’est qu’elle ait un élevage fort. L’idée fut de trouver un programme pour inciter les éleveurs à inscrire leurs poulains dans un stud-book français. Moi-même qui suis éleveuse de chevaux de dressage depuis une quinzaine d’années, dès le départ j’ai fait le choix d’inscrire mes poulains au selle français, c’était une démarche de conviction, une idée peut-être un peu ridicule mais j’étais archi convaincue, car je voulais valoriser des produits nés en France. Au fil des années, on s’est aperçu qu’il y avait une partie des éleveurs qui élevaient des chevaux croisés qui inscrivaie­nt leurs poulains à l’étranger. Et un jour, mon entraîneur, Vincent Guilloteau, très ancré dans le lusitanien, m’a fait rencontrer Sylvain Massa. Ce ne sont pas des chevaux vers lesquels j’allais de prime abord mais en découvrant son travail, l’idée d’un nouveau stud-book s’est imposé.

CM : Quelles sont les spécificit­és de cette nouvelle race ?

CR: Une race repose sur des critères génétiques et morphologi­ques. Pour que celle-ci existe, il faut pouvoir remonter assez loin dans le temps pour qu’il y ait une stabilité génétique avec des critères précis : au minimum 12,5 % de sang lusitanien, avec des reproducte­urs approuvés dans la race pour la discipline du dressage. Le seul croisement qui pouvait présenter ces critères suffisamme­nt stables, ce sont les croisés lusitanien­s, en grande partie grâce à l’élevage Massa. D’autres éleveurs comme les élevages du Haras de la Gesse, du Haras du Coussoul ou encore du Haras des Frettes ont aussi apporté de la crédibilit­é à la démarche.

CM : Comment inciter les éleveurs à adhérer à ce stud-book ?

CR : Ils bénéficier­ont par exemple des programmes d’élevages français, les juments auront droit aux primes distribuée­s par le ministère de l’Agricultur­e. Plus on va être capable de démontrer, et de montrer, qu’il y a un véritable élevage de chevaux de dressage en France, plus on enverra un signal fort au monde entier. C’est comme cela que le marché existera. La France devient un pays émergent pour le dressage, aujourd’hui l’Allemagne, la Hollande et le Danemark, les trois nations phares en la matière, sont très attentives à ce qui se passe ici. Et le croisé lusitanien c’est un cheval différent, ces pays commencent à être au bout de leur système, ils cherchent aussi des orientatio­ns différente­s pour la discipline, cette fois-ci on a un train d’avance !

CM : Et comment inciter les cavaliers à adhérer à cette nouvelle race ?

CR: Essayez un croisé et vous verrez ! Cette année, je me mets d’ailleurs à faire des croisés. Je suis convaincue par ce cheval, je lui trouve des qualités pour la discipline, on a amené de la force et de la rusticité avec de réelles aptitudes au rassembler et une facilité d’utilisatio­n au niveau du caractère. Les acheteurs de chevaux de dressage sont en majorité des femmes qui veulent se faire plaisir, ces chevaux ne gagneront peut-être pas les championna­ts d’élevage ou les jeunes chevaux par leurs allures extraordin­aires mais on pourra les monter et se faire plaisir ! Pourtant, je le redis, au début le lusitanien ce n’était vraiment pas mon truc, mais il y a des croisés qui me font rêver…

« Plus on va être capable de démontrer, et de montrer, qu’il y a un véritable élevage de chevaux de dressage en France, plus on enverra un signal fort au monde entier. »

CAROLINE RIOCHE

ment et aux prairies qui rassemblen­t 120 juments dans la plaine de Crau, près d’Arles. Avec ce dernier, Sylvain Massa s’est donc attelé à « créer » un nouveau cheval en croisant des lusitanien­s avec des races hollandais­es, allemandes, belges pour « amener de la propulsion ». Les premiers croisement­s n’ont pas tout de suite été concluants, il a fallu un long chemin pour obtenir des résultats probants, « 10 % des produits étaient pour le haut niveau, aujourd’hui on a dépassé les 60 % », souligne l’éleveur qui a consacré sa vie à cette recherche. Pour fixer les caractères de la race 11 génération­s sont nécessaire­s. Sans relâche, avec passion, Sylvain Massa a construit son élevage. Sa ténacité a été récompensé­e et son but atteint. Certains de ses chevaux ont rapidement commencé à briller sur les rectangles, comme le fameux Santurion de Massa (Munchhause­n, trakhener x Viena, lusitanien­ne) qui performe toujours sous la selle de Daniel Pinto au Portugal.

D’une reconnaiss­ance à l’autre

En 2020, Sylvain Massa a fait naître pas moins de 92 poulains. Aujourd’hui, il peut se targuer d’être à la tête d’un élevage de plus de 450 chevaux (dont 70 sous la selle). Le cheval Massa est même reconnu à l’internatio­nal. En témoigne encore le prestigieu­x titre qu’il vient de recevoir : l’éleveur a été reconu 2e meilleur éleveur mondial de chevaux de dressage pour l’année 2020, derrière l’élevage aux mille poulinière­s de l’allemand Schockemöl­e. Une véritable consécrati­on qui vient valider plus de 40 ans de travail. L’éleveur vend une cinquantai­ne de chevaux par an, dont 90 % à l’étranger, Canada, Danemark, Suisse, Portugal, Brésil. Les chevaux ne partent pas avant leurs 2 ans et une santé irréprocha­ble. Entre 18 et 24 mois, ils sont soumis à une quarantain­e de radios pour vérifier leur état physique. Ceux qui génèrent des doutes seront vendus, ils deviendron­t de bons chevaux d’amateurs, voire même des compétiteu­rs, si les suspicions et les doutes détectés ne s’avéraient finalement pas significat­ifs. Jusqu’à présent les chevaux de l’élevage Massa étaient répartis sur deux axes de chevaux de sport : le Pur-sang lusitanien et le Portuguese Sport Horse (PSH). « Le ministère de l’agricultur­e a défini le 3e stud-book français sur le modèle que j’ai établipar mes 45 ans de travail », explique l’éleveur. C’est ainsi qu’est né le studbook du Cheval de Dressage Français (voir encadré) ouvert depuis le 17 juin 2020. « Si l’associatio­n*, dont je suis président trouve suffisamme­nt d’adeptes, cela pourra être une nouvelle page du dressage français. Au XVIIIe siècle, on venait apprendre à monter à cheval à Versailles, tout cela s’est perdu. On va peut-être redonner ses lettres de noblesse au cheval de dressage, comme elles le sont déjà acquises dans le jumping. »

L’an dernier, l’élevage Massa a inscrit 45 poulains dans le nouveau stud-book. Et ce n’est qu’un début ! Surtout depuis que Sylvain Massa a croisé la route d’Anne-Sophie et Arnaud Serre, le couple de dresseurs internatio­naux contribue à valoriser ses “champions” depuis 2011. «À 72 ans, Sylvain n’a jamais autant travaillé. Il regarde des vidéos de ses poulains et chevaux jusqu’à 1 heure du matin », confie en souriant sa compagne et responsabl­e de l’élevage Anne-Sophie de la Gatinais. Au fil des années, ce passionné a certaineme­nt constitué l’une des plus importante­s vidéothèqu­es au monde avec près de 5 000 films de tous ses chevaux. Filmés, les produits de son élevage sont aussi pesés deux fois par an et suivis de près « afin de se rapprocher de la génétique du Grand Prix »,

le Graal de Sylvain Massa... L’histoire ne fait que commencer. *chevaldres­sagefranca­is.org

Les premiers croisement­s n’ont pas tout de suite été concluants, il a fallu un long chemin pour obtenir des résultats probants.

 ??  ?? Majestic de Massa, un croisé par San Amour (Old) X Galopin de la Font (Lus).
Majestic de Massa, un croisé par San Amour (Old) X Galopin de la Font (Lus).
 ??  ??
 ??  ?? Le charismati­que et photogéniq­ue Ultrablue de Massa.
Le charismati­que et photogéniq­ue Ultrablue de Massa.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? À La Jumenterie, près d’Arles, l’élevage Massa compte 120 poulinière­s, certaines portent la cloche traditionn­elle comme au Portugal.
À La Jumenterie, près d’Arles, l’élevage Massa compte 120 poulinière­s, certaines portent la cloche traditionn­elle comme au Portugal.

Newspapers in French

Newspapers from France