Joël Person, le noir est sa couleur
Il a choisi pour forme d’écriture le dessin. De son trait une présence et une puissance inouïes se dégagent. Le cheval, qui le fascine depuis l’enfance, est au centre de son oeuvre. Portrait.
Par la verrière entrouverte, offrant une vue imprenable sur le Sacré-Coeur et les toits de la butte, nous parviennent les rumeurs de la rue. La grande pièce aux murs blancs et au toit de verre est un espace à la déco épurée. Deux fauteuils anciens tiennent compagnie à une table, une vieille baignoire en fonte évidée s’est mue en canapé. Près d’un chevalet en bois clair, de petites boîtes cartonnées formant un monceau à l’équilibre fragile, contiennent des bâtonnets de pierre noire de différents diamètres. Lui, de dos, revêtu d’un tee-shirt blanc, d’un pantalon et de baskets gris, semble interroger le grand format qui occupe son mur de travail dans cette pièce baignée de lumière. Celui-ci représente des pur-sang à la lutte lors d’une course. Le cadrage est resserré sur les jambes, les poitrails et les nez. Elle s’intitule étonnement Les chevaux de l’Apocalypse. Joël Person nous en donne aussitôt l’explication : « parce que je les ai faits alors que nous étions en plein confinement ». Le rendu est tel qu’avec un peu d’imagination, on en percevrait presque le souffle, la frappe de leurs pieds sur la piste, et les invectives entre jockeys. Dans sa main il tient un gros fusain, qui ressemble à s’y méprendre à un bout de bois calciné, avec lequel il effectue de légères retouches, ici sur un poitrail, là un antérieur. « Je l’utilise surtout au début pour l’esquisse générale du sujet. »
Un dessin à perpétuité
Bien que d’imposante dimension ce dessin d’environ 3 m n’est qu’une partie d’un triptyque de 9,30 m ! « Je dois ajuster ce morceau avec le panneau qui sera à sa droite. » Ceci en vue d’une exposition à l’automne (voir encadré). Cet ensemble en devenir se révèle n’être lui-même qu’un fragment d’une frise sans fin, c’est le principe du all-over. « Je n’aime pas terminer les choses, ça me stresse », avoue-t-il. En répétant ce sujet sériel, Joël Person multiplie ad libitum la dimension de sa création. En effet, à droite du panneau, on voit que le papier forme un gros rouleau qu’il dévidera au gré de dizaines et de dizaines d’autres séries semblables, et à la fois tellement différentes. « Lorsque je les assemble (les chevaux, ndlr), je ne sais pas ce que cela va donner. J’essaie d’être le plus précis sur le plan anatomique, sans savoir avec les vides ce que cela va créer puisque j’en mets un derrière un autre. » Finalement, Joël Person appréhende le tableau comme une partition musicale. « Ce que j’aime aussi, ce sont les surprises en associant ce poitrail avec celui-ci », dit-il en nous désignant deux chevaux de la fresque. Ne jamais savoir comment cela va finir lui plaît. « J’ai des carnets de croquis conservés depuis 10, 20, 30 ans, que je transforme sans cesse, par des superpositions. » On perçoit là encore sa réticence par rapport à l’achèvement d’une oeuvre, surseoir toujours à l’inéluctable. Joël Person joue avec le blanc épargné du papier. « Il est le même partout mais il apparaît différemment en fonction des contrastes que je fabrique. » Cette circulation des valeurs de gris fait par analogie penser à une partition, le dessin engendre une musicalité, on y revient encore ! L’attrait d’un grand format est de pouvoir plus facilement rentrer dedans. « Lorsqu’on dessine en petit, on travaille avec sa main, le trait est nerveux, précis alors que sur un grand, on sollicite son bras, son corps. Il y a comme de l’escrime, je suis au contact et m’éloigne. Le geste est démultiplié et mou. »
Sur le vif et à main levée
« J’attaque toujours en direct, à main levée. » Même s’il travaille beaucoup d’après des photos qu’il assemble, Joël Person insiste sur un point. « Ceux qui dessinent d’après photos,
s’ils n’ont pas la maîtrise de la technique du dessin sur le vif, il ne se passe rien, c’est du remplissage. Je dessine tout le temps sur le vif donc, en partant d’une photo, je vais la fouiller, la réinterpréter. » Si la technique s’acquiert, il n’en va pas de même pour la sensation, ni la sensibilité. Et s’il n’avait pas laissé libre cours à l’une et l’autre, Joël Person n’aurait probablement jamais dessiné de chevaux. Ceux-ci montés, embouchés, en plein effort, c’est ce qui plaît au dessinateur. « Le cheval dans un pré, ça ne m’intéresse pas, il devient banal, je l’aime lorsqu’il est contraint, dressé, cela transforme sa morphologie. » Ce qu’aime par-dessus tout Joël Person, c’est la perception visuelle. « Pour moi, dessiner c’est une transformation de la réalité en formes ; un dessin ressemblant n’est pas forcément un bon dessin. » En cela le cheval est un sublime modèle. « Il est plus qu’un nu, c’est un écorché ». Il nous explique son rapport à la plus belle conquête de l’homme. « C’est un animal très androgyne, à la fois puissant et fragile, Degas (grand peintre du XIXe, ndlr) en parle comme d’une danseuse. » L’évocation de ce peintre impressionniste, par ailleurs remarquable dessinateur, n’est pas un hasard. Il fait partie des artistes qui ont influencé Joël Person. Dans son Panthéon, règne l’éclectisme car il va de Michel-Ange, auquel sa mère, ancienne élève aux Beaux-Arts, l’a sensibilisé très tôt, à Guido Buzzelli, génie italien de la BD. Entre ces deux pôles figurent aussi les peintres français Eugène Delacroix, Théodore Géricault (XIXe siècle, ndlr), et l’Anglais George Stubbs (XVIIIe siècle, ndlr). Au début de ses études, les deux premiers ont exercé sur lui une véritable fascination. « Leur façon de représenter les chevaux me bouleversait profondément. Le tableau de Delacroix, La mort de Sardanapale (visible au Louvre, ndlr), en particulier. Il concentre une énorme tension