L’EFFRAYANT BESTIAIRE DE BARTABAS
De la même façon que la Genèse a raconté comment le Tout-Puissant créa le monde en six jours, le dieu Bartabas raconte dans son nouvel ouvrage le combat millénaire de l’homme pour s’extraire de son animalité.
Quitte à surprendre son public habituel, l’illustre écuyer, fondateur du Théâtre Zingaro et de l’Académie équestre de Versailles, se livre aujourd’hui au périlleux exercice (littéraire) de raconter une histoire dans laquelle les chevaux ne jouent pas le premier rôle.
Dans une langue très personnelle et très travaillée, l’écrivain brosse, en vingt-deux saynètes, un tableau imaginaire et fantasmatique de l’apparition de l’homme sur terre, de sa lutte pour sa survie de proie obligée de devenir prédatrice, et de ses efforts « surhumains » pour s’extirper de sa propre bestialité… dont il ne se débarrassera d’ailleurs jamais.
Il y a dans cette épopée beaucoup de sang et de fureur : la bagarre entre les espèces est permanente et impitoyable. Regroupés sous un beau titre musical (Les Cantiques du
corbeau, aux éditions Gallimard), les vingt-deux Chants qui composent ce nouveau livre sont autant de petits poèmes en prose, qui évoquent irrésistiblement tantôt Lautréamont
(Les chants de Maldoror), tantôt Rimbaud – spécialement lorsqu’il est question, au début du vingt-deuxième et dernier Chant, par exemple, d’une « aube navrante », qui rappelle celles du Bateau ivre.
Dans cette succession de courts chapitres, Bartabas montre l’extrême violence, l’extrême cruauté, l’extrême sauvagerie du monde vivant, dans lequel l’homme « se situe assez bas dans l’échelle des espèces ».
« Beaucoup me surpassent par leur capacité physique phénoménale, écrit le narrateur, (…) et seule la mort fait de moi leur égal ».
Ceux qui ont vu les spectacles de Bartabas savent bien qu’il a toujours eu l’inspiration macabre. Mais on découvre à la lecture de ses Cantiques du corbeau que la mort est chez lui bien plus qu’un tourment : une hantise, une obsession. Et peut-être aussi une tentation ! La dernière phrase de ce petit livre de tout juste 100 pages laisse en effet peu de doute à ce sujet : « Abandonner notre désir de vie et faire de la mort l’issue volontaire reste le privilège de l’homme. »