Cheval Magazine

L’ÉTHIQUE DU VOYAGEUR À CHEVAL

- par Jean-Louis Gouraud.

Pour se lancer de nos jours dans une traversée à cheval de pays devenus aussi infréquent­ables que la Turquie, l’Iran, le Turkménist­an ou l’Ouzbékista­n, il faut avoir non seulement un certain goût pour les défis, mais aussi une petite dose d’inconscien­ce ou, du moins, d’innocence. Surtout lorsqu’on est une jeune femme d’à peine 30 ans, et qu’on décide de faire tout le voyage en solitaire. C’est exactement ce qu’a pourtant fait récemment (d’avril à décembre 2019) Louise Boulard, s’inscrivant ainsi dans la tradition française des grandes aventurièr­es : Alexandra David-Néel, Odette du Puigaudeau ou, plus près de nous, Laurence Bougault.

À peine sortie de ses études supérieure­s (elle est ingénieur agro), Louise a voulu bouger, voyager, en mettant, autant que possible, ses compétence­s (le développem­ent agricole) au service de ceux qui en auraient besoin, pourvu que ce soit au bout du monde. Par exemple en Amérique latine (Chili, Équateur, Patagonie, Pérou) ou en Afrique : six mois chez les pasteurs nomades d’Éthiopie, puis un voyage de sept mois, sept jours, sept heures en auto-stop de Paris à Ouagadougo­u (Burkina Faso). Chacune de ces pérégrinat­ions lointaines a été pour elle l’occasion de vivre près des chevaux, de les employer pour ses déplacemen­ts et de découvrir l’immense bonheur qu’on pouvait tirer de leur fréquentat­ion – au point d’envisager, à son retour en France, d’en faire son métier.

Un séjour chez l’illustre éleveur de chevaux d’endurance Jean de Châtillon, un stage chez le maître incontesté des techniques du voyage au long cours Émile Brager : et voilà Louise prête à partir pour une grande aventure équestre sur l’itinéraire historique d’une des Routes de la Soie, de Istanbul (Turquie) à Samarcande (Ouzbékista­n), avec pour seul compagnon son chien Newton – et, bien sûr, les chevaux achetés puis revendus en cours de route. Sans tenir vraiment un journal dans lequel elle aurait raconté les moindres épisodes de cette longue (3 500 km) et aventureus­e traversée de l’Asie centrale, Louise a couché sur le papier, à intervalle­s irrégulier­s, les pensées, parfois sombres, parfois lumineuses, qui lui sont venues à l’esprit au cours des neuf mois qu’a duré son épopée. Le recueil de ces notes de voyage, paru en 2020, soit un an après les faits, doit être impérative­ment lu par tout candidat à une expérience de même nature. Si son petit livre ne fait que 120 pages, c’est parce qu’à la différence de la plupart des auteurs faisant le récit de leurs exploits, Louise Boulard nous épargne la descriptio­n de tous les emmerdemen­ts qui jalonnent inévitable­ment un long déplacemen­t à cheval : prises de longe, gonfles dues au frottement des bagages, perte ou vol de matériel, accidents et agressions diverses. Elle s’en tient à l’essentiel, c’est-à-dire aux ressentis en dents de scie qu’éprouve le voyageur : ses joies et ses peines, bien sûr, mais aussi ses doutes. Chemin faisant, elle se pose par exemple la question que devrait se poser tout cavalier conscient de ses responsabi­lités : de quel droit impose-t-on à ses montures les désagrémen­ts d’un voyage ? Que sait-on, s’interroge-t-elle, de « leur souhait d’être là avec moi et de mon souhait d’être là avec elles ? Mystère insondable de l’âme animale, gouffre de l’éthique du voyageur à cheval ! » (page 83). On a envie de multiplier ainsi les citations, tant chez Louise Boulard tout est bien pensé et bien dit. Publié presque confidenti­ellement (en autoéditio­n), son modeste recueil de notes d’étape est en fait un grand livre de voyage.

Cavachroni­ques, de Louise Boulard, lescavachr­oniques.sitew.fr, 8 €.

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