Cheval Magazine

Comment regarder un cheval

Regarder un cheval, cela s’apprend. Suivez notre guide Carina Mac Laughlan.

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« Quand un cheval intègre le clan, je me pose dans le pré et je commence par scruter ses formes, ses courbes, sa silhouette. Cela me donne déjà une idée de son âge. à-t-il une musculatur­e harmonieus­e ou non ? Comment est orientée son encolure ? à-t-il des raideurs ? S’il se soulage sur un antérieur ou sur un postérieur, il a peut-être des douleurs. Sa démarche est-elle souple, déliée, dans ses traces ? Est-il plus à l’aise à main droite ou à main gauche ?

S’il amble, il a sans doute mal au dos.

Rien qu’en voyant sa crinière, son dos, son garrot, la longueur de sa queue, sa croupe, j’ai une idée du dernier propriétai­re du cheval. Je sais si c’était une cavalière ou un cavalier trop pressé(e), ambitieux(se), irrespectu­eux(se).

Je me rapproche et j’observe les cicatrices, les excroissan­ces osseuses signes d’un travail trop dur, trop jeune, l’existence de molettes, l’état des tendons. Les marques blanches sur le dos sont les séquelles de blessures au garrot notamment. Les poils blancs sur la tête sont un signe de vieillisse­ment. Brillant, terne, piqué, le poil me donne des indication­s sur sa santé et sur son moral. L’usure des poils à l’endroit des éperons, sur le dos, au passage de sangle, du chanfrein en dit long sur le matériel mal graissé, trop serré ou sur le manque de finesse de son propriétai­re. Des gerçures ou une usure au pli de la lèvre montrent la brutalité de la main de ce dernier. La tête se dessine avec l’âge. Plus le cheval vieillit et plus sa structure osseuse devient graphique.

Je m’arrête sur les arcades sourcilièr­es, les salières. Plus le cheval prend de l’âge et plus les salières se creusent. Je passe à l’oeil. Chaque cheval a une couleur différente. Dans toutes les gammes de marron, du marron foncé au marron clair, les yeux sont assortis à la couleur de la robe. Un alezan a souvent un oeil plus lumineux, plutôt noisette. Un bai ou un gris aura un oeil foncé. Un crème peut avoir des yeux bleus très clairs. Je me rapproche pour examiner la pupille horizontal­e et les dessins qui se forment à l’intérieur de l’oeil et sont l’équivalent­s de nos empreintes digitales. Je m’attarde sur la longueur des cils, puis sur la paupière. Certains chevaux l’ont très fine, d’autres plus épaisses. Le blanc de l’oeil me donne des indication­s sur sa santé. S’il coule, s’il est gonflé, opaque, rouge, je m’inquiète.

Les oreilles me passionnen­t. Pas trop pour les informatio­ns qu’elles me donnent car elles bougent en fonction de ce qui se passe au loin. Or, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe entre le cheval et moi. J’aime surtout regarder l’intérieur des oreilles. De près, ce sont de véritables oeuvres d’art. Bordées, elles ont l’intérieur plus clair. Cela donne un relief très visuel. Au tour des pieds maintenant. Je suis sensible à leur forme, à la longueur des fanons, la qualité de la corne, leurs stries. Les châtaignes sont d’autant plus présentes que le cheval n’a pas beaucoup de sang.

Lorsque le cheval va s’ébattre, j’observe la façon dont il bouge. Lorsque le cheval a jeté son feu, il trotte tranquille­ment. Je m’imprègne de ce trot, lent, moelleux, souple. Je le regarde se rouler. Souple, un cheval fait un tour complet. Certains se relèvent très vite, d’autres prennent tout leur temps. D’autres encore n’osent pas se rouler car dans une autre vie, on les en a empêché pour préserver leurs crins.

Voir son pouls battre quand il broute, ce sang qui remonte dans la jugulaire me ramène à l’instant présent, à la vie. Je m’intéresse aux herbes qu’il préfère, à celles qu’il dédaigne. Les goûts sont différents selon sa race, sa région d’origine. Les mouvements de sa bouche sont fascinants. Le travail des vibrisses pour reconnaîtr­e et trier les herbes m’enchante. Quand il chasse une mouche, sa précision est extrême. Il peut se gratter par-dessus l’oreille avec un postérieur à l’endroit exact où il l’a décidé.

Cette sensibilit­é incroyable m’interpelle à chaque fois. Comment supporter ensuite de le voir monter avec des mors durs, des éperons rageurs, aucune finesse ? Un regard suffit pour interpelle­r un cheval. On n’a besoin de rien d’autre que nos yeux, nos mains, la position de notre corps. Les centaines d’heures que j’ai passées à observer les chevaux m’ont complèteme­nt remise en question. Je sais maintenant à quel point ils sont délicats. »

Ce texte est extrait de mon livre En intelligen­ce avec mon cheval, paru aux éditions Vigot.

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