RÉENSAUVAGER LE MONDE
C’est la nouvelle idée à la mode : « Il faut réensauvager le
monde ». Il faut non seulement faciliter le retour des ours et des loups dans les zones dont ils avaient été chassés, mais peut-être faut-il aussi « faire revivre des espèces
disparues », comme le propose le titre de l’ouvrage (extrêmement sérieux) des deux chercheurs Lionel Cavin et Nadir Alvarez (éditions Favre, 2021). En occupant de plus en plus d’espace, en colonisant les terres, les forêts, en défrichant les zones vierges, l’homme a appauvri la nature. « L’utilisation des pesticides, d’engrais chimiques et la destruction des haies, prairies, marais (etc.) ont fortement affecté la biodiversité », ajoutent Béatrice et Gilbert Cochet, un couple de naturalistes auteurs d’un livre en forme de plaidoyer : L’Europe réensauvagée : vers un nouveau monde (Actes-Sud, 2020). Ce fort désir de réensauvagement habite depuis longtemps des passionnés. Dans les années 1930, les frères Heinz et Lutz Heck (l’un était directeur du jardin zoologique de Munich, l’autre de celui de Berlin) ont évité de justesse l’extinction du bison d’Europe. Ils ont également tenté de reconstituer un auroch, l’ancêtre sauvage commun à toutes les races domestiques de vaches actuelles. Ils auraient aimé pouvoir faire revivre un petit cheval, le tarpan, mais ils s’y sont pris trop tard : il avait totalement disparu d’Europe au milieu du XIXe siècle.
On connaît les efforts considérables consentis aujourd’hui pour éviter l’extinction du petit cheval d’Asie, connu sous le nom de son « découvreur », l’explorateur russe Prjevalski : une véritable saga, racontée avec talent (et imagination) par une romancière norvégienne, Maja Lunde, dans un gros livre qui vient d’être traduit en français et publié sous le titre un peu vague : Une histoire de chevaux et d’hommes (Presses de la Cité, 2021).
Beaucoup se sont interrogés sur l’utilité de déployer de tels moyens, tant d’argent et tant d’énergie, lorsque des analyses ADN ont récemment permis de découvrir qu’en fait le cheval de Prjevalski n’était pas vraiment « sauvage », mais descendait d’une espèce équine qui avait été autrefois domestique… L’idée de redonner vie à des espèces disparues (en termes scientifiques, cela s’appelle la « désextinction » !) n’est pas nouvelle. Sans évoquer la fiction de la résurrection de dinosaures, façon Jurassic Park, certains naturalistes ont envisagé sérieusement l’idée, en partant du matériel génétique récupéré sur des dépouilles préhistoriques, de recréer des mammouths ! Ce qui a amené certains à se demander si l’on ne pourrait pas, en utilisant les mêmes méthodes, faire revivre aussi l’homme de Néandertal ! ? Au secours !
Je me pose, pour ma part, une tout autre question : est-il raisonnable de parler aujourd’hui de réensauvagement du monde, alors que le processus inverse ne paraît pas véritablement achevé ? À suivre, même de loin, l’actualité du monde – les guerres, les injustices, les violences, les cruautés, le terrorisme, les exclusions, les barbaries –, on constate en effet que l’homme est encore bien loin d’être débarrassé de sa sauvagerie, de s’être complètement désensauvagé !